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Le titre de cet ouvrage ne rend pas justice à son contenu qui va bien au-delà de la proposition des auteurs d’établir un service juridique à l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est – plus connue par l’acronyme asean – et d’en délimiter, dans une perspective de droit comparé, les structures institutionnelles. Les auteurs proposent en effet un historique politique très bien ficelé des structures de l’asean depuis sa fondation en 1967 jusqu’à l’entrée en vigueur de la Charte de l’asean en 2008. Cette période correspond au moment politique de l’Association au cours duquel le processus d’intégration se poursuit de facto avec de faibles bases administratives et juridiques, mais motivé, en particulier avec l’adhésion du Myanmar et des trois pays communistes de l’Indochine, par une volonté d’étendre la coopération à un nombre grandissant de domaines, avec le libre-échange comme fer de lance de l’intégration. La multiplication des schèmes de coopération apparaît alors comme une fuite en avant afin de pérenniser l’Association, mais le respect des engagements demeure précaire aussitôt que la coopération interétatique semble défier tant soit peu la souveraineté des pays.
Cette présentation de l’asean est articulée de façon à souligner que les pays reconnaissent à partir de la deuxième moitié des années 2000 la nécessité d’instaurer une communauté régionale fondée sur la règle de droit, mais sans jamais parler de légalisation (ou de légalisme) comme modèle de coordination des rapports interétatiques. L’asean entre alors dans une nouvelle ère en « rupture » avec la précédente : tout en refusant une « mise en commun des souverainetés », la réussite de l’approfondissement de la coopération et de l’intégration à l’intérieur des trois communautés de l’asean passe non seulement par l’élaboration de règles (par ailleurs déjà fort nombreuses), mais par leur mise en oeuvre contraignante. L’urgence se fait sentir dans les trois communautés : l’approfondissement de l’intégration économique communautaire et son extension à l’asean+6 passent par un « système de règles conforme aux engagements » ; l’établissement d’une communauté socioculturelle et d’une « identité de l’asean » exige un travail de « régulation juridique » dont l’harmonisation des lois nationales dans plusieurs domaines comme le travail ou l’environnement ; et, enfin, l’espace de paix de la communauté politico-sécuritaire exige des règles fondées sur des « valeurs et normes partagées », comme en fait foi la Déclaration des droits de l’homme de l’asean de 2012.
C’est le coeur de cet ouvrage : dans une région réticente aux processus légaux et juridiques, comment l’asean peut se transformer, dans le respect de l’Accord de Bali III, en une communauté faisant la promotion de la paix et de la sécurité, du respect de la règle de droit et de la protection des droits de l’homme ? Les auteurs offrent deux réponses : d’une part, des mécanismes de résolution des différends (mrd) à la hauteur des normes internationales et, d’autre part, la mise en place d’un service juridique.
Il existe trois mrd. Un premier dans le cadre du Traité d’amitié et de coopération (tac) de 1976 pour les différends qui n’ont aucun lien avec les « instruments » de l’asean ; le Protocole de Vientiane de 2004 pour la résolution des différends économiques – un mécanisme qui se rapproche de celui en place à l’omc – et, enfin, pour tous les autres cas, il y a le mrd de la Charte de l’asean. À la différence du Protocole qui fonctionne sur la base du consensus négatif, le mrd de la Charte exige un consensus afin d’envoyer un litige à l’arbitrage, amenant la possibilité qu’une « partie intransigeante » préfère une solution politique et non légale, rendant ce mrd relativement bénin, mais conforme à la volonté des rédacteurs de la Charte de privilégier à la fois la résolution légale et politique des différends.
Aucun pays n’a encore ratifié le mrd de la Charte ; entre eux, ils préfèrent recourir au mrd de l’omc plutôt qu’au mrd du Protocole de Vientiane, et enfin, avec la piètre performance du mrd du tac, cette situation ne fait que souligner, selon les auteurs, l’importance d’un service juridique pour une communauté fondée sur la règle de droit, mais selon nous indique que celle-ci ne peut émerger en l’absence d’un processus de légalisation, une contingence dont les auteurs ne semblent pas reconnaître toute l’importance. Il n’existe pas une tradition juridique à l’intérieur de l’asean. Cela se reflète, entre autres, dans la nature très peu juridique des documents de l’Association : des pans entiers de la coopération pour combattre la cybercriminalité ou le terrorisme n’ont aucune base légale. Sans utiliser le concept, les auteurs semblent comprendre que l’asean excelle dans le soft law qui n’exige pas un cadre juridique détaillé, mais avec plus de 1200 rencontres par année, les pays de l’asean accumulent décisions et engagements et le risque de sombrer dans l’incohérence et les contradictions est élevé.
Les auteurs font une présentation détaillée d’un service juridique en puisant dans l’expérience de l’Union européenne et d’organisations internationales. Il aurait comme tâches : 1) la rédaction des accords, des règles et de la règlementation ; 2) la provision « d’une mémoire légale institutionnelle », notamment pour éviter les incohérences et les contradictions ; 3) la provision d’avis juridiques neutres ; 4) assister le Secrétaire général dans la surveillance des accords quant à leur implantation et leur respect ; 4) offrir des services de représentation juridique ; 5) assister, dans la résolution des différends, le Sommet de l’asean (l’organe suprême d’élaboration des politiques), le Secrétaire général et les instances associées aux mrd. La dernière tâche pose problème, car l’élément de contrainte, que l’on retrouve dans toute sa plénitude au sein du mrd de l’omc, demeure quasi existant, le Protocole de Vientiane favorisant la conciliation. Le Secrétaire général et son secrétariat, pour leur part, ont été affublés dans la Charte d’un rôle minimaliste.
Malgré les limites inhérentes – soulevées tout au long de l’ouvrage – au processus de légalisation des rapports régionaux, il nous apparaît tout à fait judicieux de proposer un tel service juridique qui, participant à la « précision » des règles, pourrait bien amener les États à assujettir leurs engagements, dans un environnement juridique plus explicite, à la règle de droit – une dimension institutionnelle incontournable de la légalisation – et, à plus long terme, à « déléguer » aux mrd une autorité supranationale qui leur font tragiquement défaut.