Comptes rendusDroit international

Les limites du droit international. Essais en l’honneur de Joe Verhoeven, Pierre d’Argent, Béatrice Bonifé et Jean Combacau, 2015, Bruxelles, Bruylant, 557 p.[Record]

  • Alain-Guy Tachou Sipowo

…more information

  • Alain-Guy Tachou Sipowo
    Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique, Université McGill, Montréal, Canada

La crise de la gouvernance globale de ces dernières années pose de manière impérieuse la question du rôle du droit international dont la mission classique est de fonder la paix entre les nations. Des enseignants, chercheurs et praticiens chevronnés en droit international engagent dans cet ouvrage une réflexion sur les limites de leur discipline. Fort bien documentée, l’oeuvre apporte un éclairage stimulant sur un ensemble de problématiques que la doctrine de la science juridique n’a eu de cesse de réinventer au cours de l’évolution de la matière. Dans la pure tradition francophone, bien que quelques contributions de langue anglaise y figurent, l’étude se structure en quatre grandes parties, abordant chacune une thématique particulière. Dans la première partie, les contributions se demandent si la « vie privée » de l’État, concept utilisé par Joe Verhoeven pour décrire la notion de « domaine réservé », soit l’ensemble des matières relevant de la compétence exclusive de l’État, survit à l’extension tentaculaire du droit international. Si Gérard Cahin apporte une réponse nuancée à son étude originale sur la place du droit international dans l’exercice du pouvoir constituant par l’État, la plupart des contributeurs de cette partie s’entendent pour reconnaître l’érosion du domaine réservé. Pour Pierre-Marie Dupuis, François Rigaux et Jan Klabbers, le pouvoir de l’État est conditionné soit par certaines normes, à l’instar de celles découlant des droits de l’homme ou des exigences de la responsabilité et de l’éthique, soit par les contraintes inhérentes aux personnes et aux situations qu’il est appelé à régir. Mathias Forteau suggère à cet égard de rompre avec une conception communément partagée, qui oppose droit international privé et droit international public. Ces disciplines ne peuvent être distinguées à partir de leur seul objet puisqu’elles se rejoignent quant à leur internationalité et leur souci réciproque de coordination. Dans la deuxième partie, l’entreprise de distinguer ce qui relève effectivement du domaine réservé de l’État aboutit au même constat. Pierre Klein est seul en mesure d’affirmer que l’interdiction du recours à la force n’a pas été étendue aux situations internes, celles-ci continuant de relever du pouvoir régalien des États. Le domaine réservé s’avère aussi difficile à délimiter. Il en est ainsi pour l’exécution en droit interne des décisions des tribunaux internationaux ainsi que pour la compétence de l’État en matière d’examen des demandes d’asile ou en matière de sécurité nationale. L’État n’est pas sur ces points à l’abri d’un contrôle par les instances internationales quant à sa conformité au droit. Ces évolutions sont cependant loin de sonner le glas de la souveraineté. Pour certains contributeurs, cette dernière est encore nécessaire, le tout étant de savoir sous quelle forme elle s’exprime. Tantôt elle est retenue par l’État, tantôt elle est exercée par ce dernier. La troisième partie de l’ouvrage examine plus précisément les limites du droit international à partir des rapports que cet ordre juridique entretient avec les États et les ordres juridiques régionaux. Le droit élaboré par les organisations régionales peut servir d’amplificateur du droit international ; c’est le cas de l’Organisation des États américains (oea). Ce même droit peut encore l’étirer jusqu’à novation en droit interne, comme un auteur en fait état à propos du droit de l’Union européenne qui prohibe les contremesures, cette institution permettant à un État d’obtenir d’un autre le respect de ses engagements par des mesures de contraintes pacifiques. Ces instances sacralisent le consensus comme technique de conclusion des engagements internationaux. Bien que procédant d’une bonne intention, Raymond Ranjeva y voit un risque d’incertitude pour le droit. Le consensus relativiserait le consentement de l’État. Or, ce consentement gagnerait à être ménagé puisqu’il est malgré tout …