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La relation sino-américaine amorce un virage historique. Conformément à la prévision de Bonaparte, la Chine s’est bel et bien éveillée et étonne le monde, créant un nouveau paradigme dans la redistribution du pouvoir sur l’échiquier international. L’ouvrage renouvelle et enrichit les études internationales en évaluant les défis posés par l’essor du dragon chinois comme puissance concurrente des États-Unis. Pour concrétiser le rêve chinois et restaurer la grandeur passée, Beijing s’est engagée dans un marathon pour égaler les États-Unis sur trois plans : le PIB, la puissance militaire et culturelle et, enfin, le PIB par habitant.

Pour reprendre les analyses de John Mearsheimer, l’empire du Milieu – le centre du monde – pourrait transformer sa puissance économique en puissance militaire à mesure qu’elle deviendra plus prospère. Mais l’émergence de la Chine n’a pas obligatoirement pour corollaire le déclin de la puissance américaine. Elle traduit une nouvelle donne qui ne contredit pas nécessairement les intérêts américains. Dans un monde plus global, ni la Chine ni les États-Unis ne sont en mesure de faire front seuls à l’ampleur des défis qui s’annoncent. Pour éviter les tensions, les deux géants doivent composer avec leur rivalité et éviter qu’elle n’évolue en antagonisme. En 2011, l’administration Obama déclarait que l’Asie allait devenir le pivot de la politique étrangère américaine. L’aigle américain a recentré ses priorités sur l’Asie. Ce revirement repose sur des objectifs stratégiques ancrés dans l’ouverture économique et la résolution pacifique des conflits.

La première partie de l’ouvrage aborde la croissance économique de la Chine, notamment le déficit des comptes courants des États-Unis avec la Chine et sa volonté de remplacer le dollar. En 2014, la Chine est devenue la première économie mondiale par l’importance de la richesse réelle qu’elle produit annuellement, et l’écart va continuer à se creuser. Beijing a accumulé plus de trois trillions de dollars de devises internationales. Avec de tels avoirs, elle exerce nécessairement une grande influence.

Le miracle économique chinois résulte pour une large part de l’ouverture du marché intérieur américain. Après être remonté aux racines historiques des relations sino-américaines, l’ouvrage analyse l’influence que les politiques américaines, telles que l’octroi de la clause de la nation favorite et l’entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont eue sur l’émergence de la Chine comme puissance économique.

Les auteurs décortiquent notamment le processus de libéralisation de l’économie chinoise, les relations commerciales sino-américaines, l’importance des investissements américains en Chine, l’influence économique grandissante de la Chine dans l’économie mondiale, les rivalités commerciales entre les États-Unis et la Chine… Les effets pervers de cet essor sont montrés : bulle immobilière, croissance inefficace, tensions sociales, sous-évaluation du yuan, pratiques commerciales illégales, violation de la propriété intellectuelle, corruption, révolte agraire… La croissance chinoise repose sur les multinationales, donc sur la délocalisation industrielle et la sous-traitance, mais aussi sur l’économie du savoir.

La deuxième partie traite des aspects géopolitiques posés par l’émergence chinoise. Après l’épineuse question des droits humains (protestations populaires, effondrement démographique, discrimination envers les minorités ethniques…), l’ouvrage pointe les problèmes environnementaux (pollution de l’air et de l’eau, sécurité alimentaire) et la nécessité d’amorcer un « virage vert ». Les défis militaires et géostratégiques ne sont pas omis. Les points de conflit et les enjeux régionaux en Asie de l’Est, de même que les implications pour les États-Unis, sont importants : problématique coréenne, rivalité sino-japonaise, question de Taïwan, conflit en mer de Chine du Sud, relations sino-birmanes et sino-indiennes. Enfin, les auteurs scrutent le rôle grandissant de la Chine sur la scène internationale (ONU, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (BRICS), G-20), la compétition pour s’implanter en Afrique et la rivalité en Amérique latine.

L’hégémonie est difficile à atteindre et, plus encore, à maintenir. Ainsi, on peut s’interroger sur la capacité des dirigeants chinois à exercer le leadership dont leur pays a besoin et à répondre aux aspirations de la classe moyenne. La Chine ne se vante pas de sa suprématie économique, elle que le Fonds monétaire international (FMI) classe dans la catégorie « pays émergents et en développement » pour le niveau de vie individuel de ses habitants, ce qui lui donne des droits spécifiques dans les négociations internationales. Quant à Washington, sa rétrogradation au deuxième rang n’enlève rien à sa puissance militaire ou monétaire ni à sa capacité d’influence idéologique. Les États-Unis demeurent le principal moteur de l’économie mondiale, en raison notamment de leur capacité innovatrice.

Le centre du monde s’est déplacé de l’Atlantique vers le Pacifique. Pour autant, le 19e siècle sera-t-il chinois ? Les États-Unis occupaient la position de leader incontesté depuis 1872, lorsqu’ils ont eux-mêmes détrôné la Grande-Bretagne. Nous avons vécu dans un monde dominé par les États-Unis depuis le 19e siècle. Et nous avons vécu pendant 200 ans, depuis Waterloo, dans un monde dominé par deux démocraties qui ont été à l’avant-garde dans le monde entier en termes de libertés civiques et de processus démocratiques. Le monde est-il prêt à troquer un ordre international basé sur la promotion de la démocratie pour un nouvel ordre autoritaire d’inspiration chinoise ? Difficile à croire tant l’alliance tacite unissant les États-Unis au Vieux Continent est forte. Pour asseoir leur suprématie, les États-Unis ont bénéficié du soutien des puissances européennes. Le leadership des relations internationales peut être une responsabilité partagée. Il est donc envisageable qu’Américains et Chinois puissent nouer une relation durable sur la base de la coopération et du respect mutuel.