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La structure des réseaux de transport maritime en Asie reproduit remarquablement les modèles de développement occidentaux. Les échanges commerciaux maritimes en Asie possèdent cependant de profondes racines historiques. Ce phénomène est peu reconnu et encore moins expliqué. Ce livre a pour ambition de démontrer que la supposée « ouverture » de l’Asie au commerce maritime au 19e siècle n’est que le retour à un environnement de transactions maritimes antérieur à la phase de consolidation des États survenue au 18e siècle. Pour y parvenir, l’approche consiste à surmonter l’analyse nationale des échanges maritimes par une étude des relations commerciales de l’ensemble de l’arc maritime que dessine l’Asie des moussons.
Comportant dix chapitres, l’ouvrage est le fruit de la collaboration entre deux centres de recherche à Singapour et à Osaka et de colloques, ateliers de travail et séminaires tenus à Okinawa, Nagasaki et Taiwan entre 2004 et 2006. Plutôt que de commenter chaque chapitre, nous nous attarderons ici à trois éléments du livre.
Premièrement, tous les auteurs portent une attention particulière à une critique de l’historiographie sur la périodisation de l’histoire maritime de l’Asie. Les chapitres sont superbement référencés. Aucun titre majeur ne semble avoir été oublié. S’appuyant sur des documents d’archives, des découvertes archéologiques, des chroniques historiques et des biographies, les auteurs identifient les conditions économiques, sociopolitiques, institutionnelles et culturelles qui ont présidé au développement de l’économie maritime marchande de l’Asie.
Deuxièmement, ces auteurs établissent un cadre conceptuel permettant d’enquêter sur le dynamisme des processus de formation des espaces maritimes en fonction des relations sociales, économiques et politiques. De toute évidence, les systèmes de transport maritime n’opèrent pas en vase clos. Il existe un rapprochement dans la gestion et l’efficacité opérationnelle des transactions maritimes, les entreprises marchandes et l’État. Ces rapprochements peuvent être établis par une analyse des liens entre les stratégies des opérateurs de transport et les réseaux. La notion d’opérateurs de réseaux a un potentiel considérable en termes d’intégration commerciale. À cet égard, les chapitres sur l’écoumène commercial (Wade), les marchands Hokkien (Chin) et la famille Wei (Iioka) sont exemplaires.
Troisièmement, les auteurs utilisent abondamment les thèses de Wallerstein, Lieberman, Braudel, Horden et Purcell pour expliquer la construction des circuits maritimes et des ports d’escale qui ont marqué le paysage urbain et l’espace transactionnel asiatique. Dans ce contexte, l’analyse du commerce du soufre (Yamauchi), du salpêtre (Sun), des épices (Robinson), du textile et des métaux (Fujita) permet de comprendre les processus de continuité et de discontinuité dans l’explication du développement des interactions maritimes en Asie.
L’argumentaire du volume est de démontrer que le commerce maritime est un élément intrinsèque des États et des sociétés asiatiques même dans des périodes où la richesse circulait sous forme de réciprocité et de redistribution plutôt que selon les fondements d’une économie de marché. En fort contraste aux approches ethnocentriques européennes, les auteurs établissent que les processus de modernisation et d’industrialisation sont endogènes à la région.
Le livre innove sur deux plans. D’abord, les auteurs analysent l’ensemble de l’arène maritime asiatique. Loin de remettre en cause les éléments distinctifs qui président à l’émergence d’un modèle chinois ou japonais de développement de réseaux de transport maritime, ces modèles sont décentrés et placés au sein de l’interface entre l’océan Indien, l’archipel sud-est asiatique et la péninsule coréenne. Il en résulte une nouvelle perspective sur les interactions entre les espaces maritimes charnières de l’Asie-Pacifique. Cet apport détaillé permet de mieux démontrer le rôle du leadership endogène dans l’accroissement de la cohérence des transactions maritimes de la région. La seconde innovation concerne l’intégration des analyses historiques d’Asie du Nord-Est aux études savantes menées par les spécialistes de l’Asie du Sud-Est. De façon plus marquée, le manuscrit réussit à intégrer la contribution d’historiens d’Europe et d’Amérique. Cette ouverture permet d’afficher un éclairage beaucoup plus large sur l’histoire de l’Asie. Il en résulte une perspective historique qui dépasse les frontières étatiques, suggérant une nouvelle voie à suivre pour les historiens.
Comme nombre d’ouvrages de cette envergure, celui-ci comporte quelques faiblesses. Premièrement, bien que les chapitres soient très intéressants et fort instructifs, on ne peut que déplorer le manque de continuité dans l’articulation de certains chapitres. Il manque une certaine cohérence dans l’explication des changements dans la structure des échanges maritimes en Asie du Sud-Est entre le 9e et le 14e siècle. Momoki et Hasuda suggèrent que la périodisation des interactions maritimes repose sur la transformation du rôle de l’État. En fort contraste, Wade avance que les changements dans l’écoumène commercial sont fonction de la pénétration des marchands en provenance des péninsules arabique et indienne. Deuxièmement, on ne peut que regretter que les auteurs aient escamoté les flux migratoires qui ont caractérisé cette époque. Les départs de Chinois d’outre-mer remontent à un passé ancien. Les pays d’émigration ont été à la base des nombreuses associations commerciales créées dans les lieux d’arrivée, associations qui ont permis de maintenir un espace transactionnel avec le pays d’origine. Une telle approche aurait permis de mieux comprendre la véritable nature de l’entrepreneuriat maritime asiatique. Troisièmement, le manuscrit aurait gagné à inclure un chapitre sur le développement des systèmes portuaires à la lumière des liens institutionnels avec les villes. L’enchevêtrement des acteurs portuaires et urbains agissant à des échelles variées a contribué à stimuler l’environnement d’affaires fondé sur les marchés boursiers, les banques et les assurances, d’une part, et à accroître le poids de la route « portuaire » sur les circuits mondiaux de marchandises, d’autre part. Parmi les éléments représentatifs de cette relation, il aurait été possible d’identifier et de comprendre les mécanismes et les ressources mobilisés par les villes asiatiques pour améliorer les capacités, services et infrastructures du commerce maritime.
Malgré ces quelques faiblesses, l’ouvrage est d’une grande richesse. Il mérite une large diffusion auprès de tous ceux qui s’intéressent à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’actualité maritime asiatique ».