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L’Afrique demeure à la fois le continent le plus pauvre et celui le plus marqué par les conflits, malgré la création en 1963 de l’Organisation de l’unité africaine, devenue l’Union africaine en 2002, et de plusieurs communautés économiques sous-régionales. Comment expliquer que ces processus d’intégration n’aient pas eu l’impact positif auquel on pouvait s’attendre sur le développement économique, la répartition de la richesse et la sécurité sur le continent ?

L’ouvrage collectif recensé traite cette question de façon originale en faisant intervenir un concept incontournable, celui de la cohésion sociale. On cherche ainsi à combler une lacune dans la littérature, en analysant aussi ce concept dans une perspective régionale, plutôt que seulement nationale ou communautaire. En effet, alors qu’une part importante des écrits abordent l’étude de la cohésion sociale dans un contexte communautaire à l’échelle nationale, trop peu de théoriciens étudient la cohésion sociale comme un facteur de l’intégration régionale.

Candice Moore, la directrice de l’ouvrage, signale deux écueils qui menacent de telles analyses. D’abord, il faut éviter l’erreur de croire que les données empiriques et les preuves statistiques servant à l’analyse de la cohésion sociale à l’échelle nationale, par exemple, puissent être utilisées pour faire des déductions quant à la cohésion sociale à l’échelle régionale. Il faut donc bien distinguer les différents niveaux d’analyse. Ensuite, on note un manque de clarté quant à la direction causale entre la cohésion sociale et l’intégration régionale : la cohésion sociale conduit-elle à un approfondissement de l’intégration régionale, ou est-ce l’inverse ? Moore est d’avis qu’une analyse plus attentive du concept de cohésion sociale permettra d’éclaircir ce lien existant avec l’intégration régionale, pour ainsi déterminer si des institutions régionales peuvent entraver ou favoriser le développement de la cohésion sociale.

Cet ouvrage se divise en trois parties. La première traite des appro- ches conceptuelles de la cohésion sociale, de l’opérationnalisation de ce concept par les organisations régionales africaines et du sens qu’on lui donne sur le plan national. La deuxième partie aborde plus spécifiquement l’intégration régionale et le régionalisme en Afrique. Elle est complétée par deux chapitres en espagnol qui relatent l’expérience latino-américaine en cette matière. Enfin, la troisième partie aborde la cohésion sociale à l’échelle nationale dans deux sociétés ayant connu d’importants changements politiques et économiques au cours des deux dernières décennies, c’est-à-dire l’Afrique du Sud et le Vietnam.

Le chapitre de Maxi Schoeman est particulièrement intéressant, car il analyse de façon exhaustive et claire les défis auxquels doivent faire face à la fois l’intégration régionale et la cohésion sociale sur le continent africain. Il traite notamment des chevauchements géographiques entre les divers processus sous-régionaux d’intégration, tels que ceux qui existent entre la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Comme la multiplication des processus d’intégration sous-régionaux et la formation d’identités sous-régionales se font au détriment de la formation d’une identité régionale africaine sous le leadership de l’Union africaine, une lutte se trame entre les organisations d’intégration sous-régionale pour dominer et influencer les actions et les prises de position de l’organisation dont la portée se veut continentale.

Schoeman propose trois dimensions de la régionalisation en Afrique pour expliquer les lacunes des processus d’intégration sur ce continent, soit la faiblesse du commerce interafricain, le manque d’infrastructures et les nombreux conflits. En ce qui concerne cette dernière dimension, l’incapacité de l’Union africaine à dégager un consensus entre ses membres quant aux actions à entreprendre à l’égard, par exemple, des crises libyenne et ivoirienne en 2011 a permis à des acteurs externes d’intervenir sur le continent et de dicter les orientations pour y faire face.

En plus de considérer la dynamique interne, la faiblesse des États et l’absence d’unité, de coopération et de capacité d’action à l’échelle institutionnelle pour expliquer le peu d’intégration positive et, dans plusieurs cas, une croissance dans la régionalisation de l’insécurité, Schoeman tient également compte de trois ensembles de dynamiques : 1) les facteurs internes faisant en sorte que les États s’attachent à leur souveraineté de façon défensive ; 2) la place de l’Afrique dans l’économie mondiale comme pourvoyeur de ressources naturelles, favorisant ainsi des stratégies de croissance et de développement dans le monde occidental ; et 3) les conséquences des relations entre puissances à l’échelle internationale qui cherchent à miner les efforts régionaux et à mettre en avant leurs propres intérêts.

La principale recommandation adressée par Schoeman aux leaders africains qui souhaitent promouvoir le régionalisme est de mettre de côté les grands desseins institutionnels et les grands projets. Un programme moins ambitieux qui se concentrerait sur des mesures de facilitation du commerce et la coopération dans le développement des infrastructures pourrait être bénéfique pour le renforcement de la sécurité et la promotion des types d’interaction entre les peuples que les premiers théoriciens du régionalisme, comme Karl Deutsch, voyaient comme les véritables piliers de la sécurité et du développement régional.

En somme, Regional Integration and Social Cohesion est un ouvrage pertinent et d’actualité qui contribue très certainement au débat portant sur la cohésion sociale à l’échelle nationale et régionale dans le monde en développement. Il s’agit aussi d’une excellente mise à jour des approches théoriques sur le régionalisme. Enfin, l’ouvrage s’adresse à tout universitaire, étudiant de sciences sociales ou praticien qu’intéresse l’état actuel des processus d’intégration, notamment en Afrique.