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Comme bien des ouvrages scientifiques, La lutte contre le terrorisme international est le prolongement d’une thèse de doctorat. On ne peut que remercier les éditeurs de prendre quelques risques en s’ouvrant à cette littérature universitaire souvent difficile d’accès, très pointue, imposant une lecture attentive. Il s’agit ici de présenter les interactions entre la lutte contre le terrorisme international et la licéité du recours à la force armée. En soi, le sujet est éminemment riche et porteur d’interrogations, d’autant que l’histoire immédiate nous indique que le terrorisme a acquis ses propres « lettres de noblesse ». Mais ce qui fait la richesse de cet ouvrage, rédigé avec clarté et précision, réside dans l’analyse interprétative de bien des événements de contre-terrorisme : de l’opération « Plomb durci » à « Liberté immuable », en passant par « Eldorado Canyon » et l’affaire Lockerbie, ainsi que les épisodes de Bali, de Beslan ou d’« Iraki Freedom ».

C’est toute la qualité de ce livre bien structuré, qui examine à la fois les dimensions juridiques de l’emploi de la force, y compris la portée de l’interdiction, les notions de légitime défense et ses conditions d’évocation vues comme des tentatives d’extension d’un droit d’exception ainsi que leur exercice, dont la question de l’autorisation du recours à la force dans des situations impliquant la question terroriste. L’objectif est bien de préciser le contenu et la portée du jus contra bellum autour du principe de l’interdiction de recours à la force face au terrorisme, sachant que les exceptions à cette interdiction sont la légitime défense et l’emploi de la force sous l’égide du Conseil de sécurité ; sachant aussi que les États invoquent, dans la quasi-totalité des cas, un droit à la légitime défense et plus exceptionnellement une autorisation par le Conseil de sécurité de recourir à la force.

Toute la richesse de l’ouvrage réside dans l’examen point par point de ces différents critères, mais aussi dans l’analyse systématique des résolutions du Conseil de sécurité à propos du terrorisme international ainsi que le pouvoir de qualification du Conseil et ses limites. L’objectif de Corthay est de savoir pourquoi le Conseil de sécurité des Nations Unies a régulièrement autorisé des États à recourir à la force armée, alors que le mécanisme engagé n’avait pas été explicitement prévu dans la Charte. La méthode pratiquée consiste à préciser les fondements juridiques du mécanisme d’habilitation et à détailler les critères d’une autorisation justificatrice avant de choisir deux cas de figure : la situation en Afghanistan depuis l’automne 2001 et la situation en Irak depuis mars 2003.

Il s’agit donc bien de travailler à la fois sur le juridique, le coutumier, la doctrine ou la posture des États face aux contraintes et aux exceptions. En cela, l’exercice engagé est particulièrement systématique et exhaustif, si tant est que nous osions encore employer cet adjectif.

L’auteur donne maints exemples d’arrêts (« à charge et à décharge ») pour illustrer son propos afin de montrer les divergences méthodologiques autour du droit coutumier, jonglant entre pratique effective des États, conviction juridique (opinio juris), éléments psychologiques et devoir d’abstention. Toute la difficulté serait de rechercher l’existence d’une conviction juridique claire dans l’examen de la pratique des États. Bref, comment distinguer les convictions juridiques des convictions purement politiques, stratégiques, philosophiques, morales et religieuses ? Sortir des émotions et des pressions extérieures pourrait amener à se conformer à une obligation juridique.

L’ouvrage aborde la nature de la force prohibée, traite du terrorisme économique, de l’existence d’un seuil minimal (mesures de police), de la question de l’emploi d’armes des forces armées régulières par d’autres divisions, des effets de l’usage de la force, de la menace de recours à la force (précisée, établie, affichée, crédible), de la problématique de l’emploi de forces « privées », du recours à la force contre un État déstructuré, de la théorie de l’accumulation d’événements terroristes ou de celle de la complicité d’États tiers.

L’auteur examine en détail le concept de légitime défense, invoqué, à tort ou à raison, par les États pour recourir à la force contre le terrorisme international. Le problème est que cette notion est équivoque, car elle n’offre pas le même sens (défense, agression, punition) à l’esprit de chacun. La doctrine est alors divisée, tout comme les États, alors que la légitime défense reste une exception au principe de l’interdiction de recours à la force. Eric Corthay nous rappelle également que le terme « agression armée » (article  51 de la Charte) a mené à deux grands courants doctrinaux interprétatifs : l’extensif (Waldock, Schwebel) et le restrictif (Ago, Randelzhofer). Il nous précise aussi les longs efforts consentis pour définir juridiquement les termes d’agression (résolution 3314 et son annexe), d’arme, de forces armées, de test de gravité suffisante.

Dans cet ouvrage, bien des opérations américaines, israéliennes, iraniennes sont ainsi analysées du point de vue juridique.

En terminant, l’auteur aborde aussi les conditions juridiques à l’exercice de la légitime défense, entre stopper et repousser une agression, prévenir la perpétuation d’attaques futures, protéger les ressortissants à l’étranger. Chaque fois, des exemples sont donnés et analysés, y compris en examinant les conditions de nécessité, de proportionnalité, de temporalité et d’immédiateté, avec les concepts de légitime défense préventive et préemptive.

L’auteur prend attitude et insiste, en conclusion, sur l’importance de maintenir une interprétation restrictive du droit de légitime défense, du reste confirmée par la jurisprudence internationale, surtout en matière de contre-terrorisme. Il appelle plutôt à utiliser le Conseil de sécurité. Au-delà, il s’agira de traiter les causes profondes du terrorisme. Mais cela imposerait d’autres développements qui ne sont pas traités dans cet ouvrage juridique par essence.

L’ouvrage est une remarquable étude pour les universitaires parce qu’il allie précision, analyses juridiques des débats interprétatifs et présentation de multiples exemples concrets de recours à la force en contre-terrorisme. Riche de sources, outil de travail par ces nombreuses études de cas, cette somme est une référence francophone pour ceux qui se penchent sur ce défi qu’est la réponse au terrorisme.