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La présence chinoise dans les pays du Sud fait couler beaucoup d’encre dans l’étude des relations internationales au 21e siècle. Au cours de la dernière décennie, celle-ci a particulièrement bouleversé la trajectoire économique du continent latino-américain. Dirigé par Adrian H. Hearn et José Luis León-Manríquez, China Engages Latin America cherche à cartographier les principaux enjeux de la relation sino-latino-américaine. En l’absence d’une politique active des États-Unis dans la région sous l’administration Bush (2000-2008), la Chine a comblé ce vide en devenant rapidement un acteur incontournable en Amérique latine. La vingtaine de collaborations à cet ouvrage offre donc un survol des effets économiques, politiques et sécuritaires de cette nouvelle stratégie de la Chine en Amérique latine, tout en mettant l’accent sur certains États (Brésil, Venezuela, Argentine, Chili, Cuba et Mexique) et certaines zones (Amérique centrale et Caraïbes).
Évoquant l’antériorité de leur relation, qui remonte au 16e siècle avec certains États, les directeurs de l’ouvrage croient qu’une nouvelle ère vient de s’ouvrir avec l’intensité des échanges entre la Chine et l’Amérique latine. En fait, l’importance stratégique du continent latino-américain pour la Chine s’est officialisée après la publication d’un livre blanc en novembre 2008 dans lequel étaient identifiés les principaux intérêts de Beijing dans la région, en particulier les ressources naturelles. À cet égard, José Luis León-Manríquez affirme que la Chine se hisse au premier, deuxième ou troisième rang des partenaires commerciaux pour la majorité des États latino-américains. Avec des échanges commerciaux, qui sont passés de 12,6 à 143 milliards de dollars entre 2000 et 2008, Ariel C. Armony souligne que la région de l’Amérique latine et des Caraïbes est devenue la plus dynamique dans le commerce avec la Chine. Comment les responsables politiques à Washington et dans le reste des Amériques perçoivent-ils cet engagement sans précédent de l’empire du Milieu ?
D’après Cynthia A. Watson, l’administration Obama n’endosse plus la notion d’hégémonie américaine absolue sur le continent comme dans la doctrine Monroe. Par contre, Washington n’a pas l’habitude d’assister à l’implantation d’un État tiers qui s’investisse autant en Amérique latine. Daniel P. Erikson souligne néanmoins que les États-Unis acceptent tacitement la présence chinoise dans les Amériques, car elle reflète la nouvelle configuration multipolaire du système international. Toutefois, la Chine demeure sensible à la perception des Américains vis-à-vis de son implication politico-économique sur le continent. Par exemple, le gouvernement chinois a fait preuve de prudence dans sa relation bilatérale avec le Venezuela afin ne pas être mêlé aux objectifs politiques de Chávez visant à contrebalancer l’influence américaine. Comme le précise Gonzalo Sebastián Paz, le pétrole demeure la force motrice principale de la relation sino-vénézuélienne. Ainsi, l’insatiable demande chinoise pour les ressources naturelles a stimulé les exportations et la croissance économique chez plusieurs États latino-américains, et ce, même pendant la période de récession globale en 2008-2009.
L’un des États ayant le plus profité de cette conjoncture, et qui demeure le principal partenaire économique de la Chine en Amérique latine, est sans contredit le Brésil. Représentant près de 40 % du total des échanges économiques entre la Chine et les Amériques, le Brésil est aussi le plus grand marché pour les exportations chinoises. À cet égard, Rodrigo Tavares Maciel et Dani K. Nedal présentent un portrait nuancé de ce partenariat stratégique entre les deux puissances émergentes. D’une part, l’intérêt du Brésil face à l’ascension de la Chine s’inscrit dans une perspective de réforme des instances multilatérales, reflétant les nouveaux pôles économico-politiques du système international. D’autre part, Beijing semble plutôt intéressé à satisfaire ses besoins en soja, en fer et en pétrole, ce qui représente plus de 76 % des exportations brésiliennes vers la Chine. Cette prédisposition de la Chine à importer des matières premières et des produits agricoles et à exporter une gamme de biens électroniques et de produits manufacturés semble être une tendance généralisée à l’ensemble des Amériques. Cela rappelle les postulats issus du prisme de la théorie de la dépendance, notamment touchant la relation entre le centre et la périphérie. Quoique ce modèle s’avère bénéfique pour certains pays exportateurs de ressources naturelles (Chili, Pérou et Venezuela), José Luis León-Manríquez et Francisco Haro Navejas montrent comment le Mexique et l’Amérique centrale ne profitent pas de cette expansion économique. Qui plus est, les pays centraméricains et caribéens sont également au coeur d’une importante bataille diplomatique et symbolique au sujet de Taiwan, Beijing tentant par tous les moyens de faire reconnaître la politique d’une seule Chine. Ainsi, la non-reconnaissance du gouvernement taïwanais demeure la condition sine qua non pour ces petits États aspirant à accéder au marché chinois ou à recevoir de l’aide économique pour leur propre développement.
En somme, China Engages Latin America est une lecture enrichissante, mais qui se limite à la description de la relation sino-latino-américaine entre 2000 et 2010. Le passage du consensus de Washington à celui de Beijing représente l’un des changements les plus intéressants d’un point de vue politico-économique en Amérique latine ainsi que dans les relations Sud-Sud. Cependant, cette situation de dépendance de l’Amérique latine à l’égard de l’exportation de ses ressources naturelles en Chine inspire un sentiment historique de déjà-vu, suscitant de sérieuses interrogations sur la viabilité de ce modèle économique au 21e siècle. Par conséquent, l’analyse portant sur les effets socio-environnementaux des politiques « extractivistes » semble sous-développée et mériterait davantage de réflexions quant à l’avenir des relations entre la Chine et l’Amérique latine.