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Cet ouvrage a été réalisé autour des travaux du 15e colloque de l’Association France-Canada d’études stratégiques qui s’est tenu à Grenoble en octobre 2010. Cette association est née en 1995 par institutionnalisation de contacts informels entre chercheurs et universitaires des deux rives de l’Atlantique. Les liens engagés et enrichis ont permis de publier une série d’ouvrages dont les derniers le furent dans la collection « Études stratégiques internationales » des établissements Bruylant, gérés actuellement par Larcier, dépendant lui-même des éditions De Boeck.
L’ouvrage dirigé par la professeure Tercinet, à qui l’on vient de rendre hommage en fin de carrière et après de nombreuses publications de référence, est structuré en deux grandes parties : la mise en question de l’État (comprenant des contributions sur le questionnement sur l’État et sur l’État remis en cause de l’extérieur) et des États en question (intégrant des articles sur les États problèmes et les États entre fragilité et défaillance). Bien entendu, comme pour tout ouvrage collectif, chacun y trouvera matière à réflexion autant que de critique sur le caractère inégal des contributions, mais c’est un truisme de l’écrire au vu de ce type de livre. Relevons qu’il n’existe pas de bibliographie finale sur la thématique de l’État, mais des bibliographies spécifiques dans quelques contributions. L’absence d’harmonisation n’empêche aucunement cet ouvrage agréable à lire de contenir d’utiles développements.
Ainsi, Paul Bacot présente une étude sur le lexique des catégories d’États avec quelques filtres syntagmatiques ; appellations d’apparence géographique qui cachent des distinctions d’ordre politique, économique ou stratégique et qui cristallisent des enjeux sociaux par leur formulation.
Jean-François Rioux nous entraîne dans la problématique de « la pacification de l’État : indicateurs, sources et conditions ». En dehors de la hausse du niveau de vie, du déclin démographique et de la sécularisation en Occident – qui ont une grande importance à partir du 17e siècle dans la baisse de la violence et que l’auteur n’aborde pas ‒, la pacification de l’État (celui perçu comme « fauteur de guerre et monstre de répression ») semble disparaître au profit d’une vision où l’État démocratique et libéral est un facteur de paix dans les Relations internationales. Pour l’auteur, le constat est que, si le monopole de l’État sur la violence légitime a augmenté, le résultat n’a pas été celui d’une hausse de la violence. Ce sont les facteurs politiques conjoncturels et structurels qui ont permis l’émergence de l’État pacifié moderne. L’État a étouffé la violence civile dans les sociétés occidentales avec pour preuve la baisse phénoménale des homicides privés, de la violence politique à caractère religieux ou aristocratique. L’explication tiendrait à la fois aux changements socioculturels – la fameuse « civilisation des moeurs » ‒, au renforcement de l’autorité étatique monarchique, à la professionnalisation de la justice qui devient punitive plutôt que compensatrice (réparation monétaire) mais aussi à la fin du mercenariat. Certes, la violence était toujours prégnante, mais de moins en moins légitimante, et la pacification étatique interne a fait de sérieux progrès ces trois décennies, par exemple en Europe ou en Amérique latine. La pacification du système international est en route, certes avec de nombreuses exceptions et retours en arrière, mais la tendance lourde demeure « visible ». Pour explication, Rioux rejette celle sur l’hégémonie américaine, comme celle sur l’obsolescence de l’État (Auguste Comte, Kenichi, Beck) pour mettre plutôt en évidence la paix nucléaire par la dissuasion, les négociations des organisations internationales (Russet) ou la consolidation de l’État (Holsti), nonobstant le fait que cette hypothèse n’a pas encore été vérifiée de façon historique et comparative. Reste l’approche matérialiste et surtout culturelle (Weber, Elias) associant à la carte la bourgeoisie, les intellectuels, certains monarques, les antimilitaristes qui ont pu soutenir la pacification de l’État et qui amènent bien des études dans les champs constructivistes, libéralistes et postmodernistes. Rioux aborde aussi l’hypothèse kantienne en ce qu’au final celle-ci, incarnée dans la démocratie représentative, favoriserait la paix par le culturel (habitus et apprentissage de la résolution des conflits) et processus décisionnel ouvert. Le lien entre démocratie et paix serait inscrit et serait à considérer comme un phénomène à long terme, y compris dans les politiques intérieures. Les normes libérales vont d’ailleurs se répandre en dehors de la sphère occidentale. Quant aux facteurs économiques (commerce, prospérité, capitalisme) associant aussi Kant, il se pourrait qu’ils soient également des facteurs de stabilité et de non-belligérance. Et notre auteur développe en final ses critiques des adeptes de « l’apocalypse d’un nouveau Moyen Âge » (Kaplan, Minc, Van Creveld).
Les autres contributions examinent de différentes manières le poids et la place de l’État. Ainsi en est-il d’Yves Jeanclos, qui traite de la parcellisation des États avec le jeu entre, d’un côté, les petits ou les micro-États avec leurs « armées d’opérette » et, de l’autre, les pays protecteurs et « suzerains », le référentiel médiéval assez original étant présent dans l’argumentaire avec de nombreux exemples contemporains. Il s’agira pour Daniel Collard d’examiner les limites du système de sécurité interétatique, la nouvelle approche de la sécurité internationale et les nouveaux mécanismes de la sécurité coopérative (onu) et de la gouvernance internationale : le vieux continent devenant ainsi un laboratoire, entre Conseil de l’Europe, Union européenne, otan et csce/osce. En dehors d’études de cas sur les entreprises militaires et de sécurité privée (Thierry Garcia) comme éléments révélateurs de l’inadaptation du droit international et des droits internes, l’ouvrage aborde les « États problèmes » et les États fragilisés avec des contributions sur Israël (Jean-François Guilhaudis), la Slovaquie (Stanislav J. Kirschbaum), l’Iran (Pierre Pahlavi), le Liban et la Somalie (Josiane Tercinet et Louis Balmond), le Yémen (Houchang Hassan-Yari), le Tchad et le Soudan (Abdelkérim Ousman), la piraterie (Michèle Bacot-Décriaud), mais aussi le Moyen-Orient vu avec des lunettes constructivistes (Ali G. Dizboni). Relevons aussi la contribution particulière de Geslin sur l’État et la sécurité environnementale et qui développe des notions originales comme celles de « défaillance environnementale des États », « d’ingérence écologique », « d’opérations de maintien de la paix environnementale » ou du « droit à l’anthropocène ». Assurément, si l’ouvrage dirigé par Josiane Tercinet ne peut aborder la totalité de la réflexion sur l’État, les approches présentées ici peuvent alimenter la réflexion transversale sur les rapports entre États et sécurité internationale et aider l’étudiant à s’ouvrir à ces problématiques toujours renouvelées.