Les théories relatives aux causes de la guerre sont souvent basées sur l’hypothèse selon laquelle l’acteur rationnel est à la poursuite de la satisfaction matérielle, ignorant ainsi l’importance de l’aspect symbolique. Les ouvrages de Lindemann ainsi que de Lindemann et Ringmar fournissent un cadre théorique et rapportent plusieurs études de cas dans le but, d’une part, d’explorer empiriquement le lien entre la non-reconnaissance et les causes des guerres interétatiques et, d’autre part, de démontrer que la non-reconnaissance (autant que les intérêts matériels) peut devenir une cause réelle de la guerre. Il s’agit d’abord d’ouvrages qui proposent un nouveau cadre théorique en Relations internationales. L’ouvrage de Thomas Lindemann se compose de deux parties. Dans la première partie, l’auteur définit son cadre théorique. En spécifiant que le lien entre la guerre et la quête de reconnaissance est probabiliste et non pas déterministe, l’auteur ne cherche pas à remplacer d’autres théories qui expliquent les causes de la guerre ; son but est plutôt de démontrer que la guerre peut également être motivée par la nécessité de préserver les images de soi des acteurs. S’appuyant sur une variété de théories issues de différentes disciplines, Lindemann reconnaît que certains désirs de reconnaissance sont socialement construits, alors que d’autres sont basés sur des besoins psychologiques élémentaires comme le respect, l’estime de soi, l’identité, etc. Il soutient que ce sont là des motivations universelles de la nature humaine et que leur déni peut conduire à un comportement agressif. Lindemann énonce quatre principales hypothèses, chacune montrant un lien différent entre la non-reconnaissance et la guerre : La seconde partie de l’ouvrage de Lindemann est consacrée à deux études empiriques où l’auteur tente de valider ses hypothèses. Dans sa première étude empirique, Lindemann examine le lien entre la non-reconnaissance structurelle et l’usage de la force dans différentes périodes conflictuelles impliquant les grandes puissances dans les quatre systèmes internationaux : deux périodes stables (le Congrès de Vienne entre 1815 et 1853 et la paix entre les démocraties entre 1945 et 1991) et deux périodes instables (l’entre-deux-guerres de 1919 à 1939 et la guerre froide de 1945 à 1953). Pour lui, la stabilité ne peut pas compter uniquement sur l’équilibre des puissances. Elle doit aussi s’appuyer sur d’autres facteurs, par exemple la compatibilité identitaire des États, les traités de paix, l’intégration de toutes les grandes puissances dans les institutions internationales et l’existence d’une « hégémonie bienveillante » qui évite l’humiliation des États vaincus. La seconde étude empirique de Lindemann examine cette fois-ci quatre crises interétatiques, dont deux qui ont conduit à la guerre (la guerre des Six Jours de 1967 entre Israël et l’Égypte, puis la guerre qui a sévi en Irak entre 2001 et 2003) et deux qui n’y ont pas conduit (la crise des missiles de Cuba de 1962 et la crise américano-libyenne de 1986 à 2004). Lindemann tente de présenter la dimension « fluide » de la (non-) reconnaissance. Selon l’auteur, étant donné que les chefs d’État cherchent aussi à cultiver une certaine image d’eux-mêmes et de leur collectivité (homo symbolicus), de nombreuses guerres auraient pu être évitées si l’on avait tenu compte des aspirations de sécurité de la partie adverse. Cela inclut la possibilité de permettre à celle-ci de « sauver la face » ainsi que les préoccupations de maintenir une identité spécifique et la nécessité d’une certaine empathie. Ainsi, la guerre est probable lorsque les coûts symboliques de la paix sont plus élevés que les coûts symboliques de la guerre. La gestion pacifique des crises internationales dépend donc de la capacité des acteurs à s’engager dans une sorte de politique de reconnaissance mutuelle qui …
Causes of War The Struggle for Recognition, Thomas Lindemann, 2010, Colchester, uk, ECPR Press, 169 p.The International Politics of Recognition, Thomas Lindemann et Erik Ringmar (dir.), 2012, Boulder, co, Paradigm Publishers, 239 p.[Record]
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Irakli Gelukashvil
Département de science politique, Université du Québec à Montréal