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Les organisations non gouvernementales (ong) occupent une place de plus en plus visible au sein du système mondial du commerce. On a beaucoup écrit sur les ong depuis la rencontre ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (omc) à Seattle en 1999. Au-delà des événements médiatiques et des protestations-chocs, on s’interroge à savoir si les ong exercent une influence réelle dans cette sphère d’activité. Plus précisément, les ong peuvent-elles modifier le cours des négociations ? Cet ouvrage, tiré des recherches doctorales de l’auteure qui enseigne à l’université de Tasmanie en Australie, mesure l’influence des ong sur l’omc et ses membres.
Il faut préciser que l’auteure explique bien qu’elle ne s’intéresse pas à toutes les ong, mais seulement aux organismes non radicaux et réformateurs ayant un membership établi et un personnel professionnel rémunéré. Nommons à titre d’exemple : le Fonds mondial pour la nature (wwf), Oxfam international, les Amis de la terre internationale (foei), l’Institut international du développement durable (iisd) et le Réseau du tiers-monde (twn). Elle exclut d’emblée les associations représentant le patronat, telles que les chambres de commerce et autres associations d’affaires. Il en est de même des organisations radicales qui contestent l’existence même de l’omc. Ce choix méthodologique limite la portée de l’étude, mais il faut dire que la tâche de recherche se trouvait simplifiée. Les grandes ong de cette nature font connaître efficacement leur position par la voie de blogues et de sites internet, de mémoires et de publications.
Pour mieux comprendre le rôle des ong dans le domaine de la politique commerciale, Murphy procède à des études de cas dans les secteurs des normes du travail, de la propriété intellectuelle et des investissements étrangers. Il faut se souvenir que depuis sa création en 1995 l’omc a été la cible de nombreuses attaques publiques des ong. La controverse s’est amplifiée au fur et à mesure que l’organisme s’est engagé dans des domaines qui jusque-là n’étaient pas l’apanage traditionnel des politiques commerciales. L’omc est ainsi devenue la cible de lobbying de nombreux groupes qui tentent d’influencer les décisions prises au sein de cette organisation internationale.
Avant d’amorcer l’analyse des différents dossiers centraux à l’omc, Murphy propose un retour sur les grandes approches des relations internationales. Par la suite, elle définit son cadre théorique centré sur la gouvernance et inspiré des travaux de Robert Keohane et de Joseph Nye et en particulier de leur théorie de la dépendance complexe. Selon celle-ci, l’interdépendance contribue à la croissance des coalitions trans-gouvernementales et entraîne un marchandage politique. En somme, le modèle centré sur la gouvernance propose une démarche pluraliste de la politique internationale. Il permet de comprendre la façon dont la coopération et la compétition entre les ong, les agences gouvernementales et les États se déroulent et augmentent la capacité des ong d’influencer le processus international. Il est postulé que c’est par la création d’alliances et de coalitions avec des États membres de l’omc que les ong arrivent à influencer les décisions. Cette situation aurait pour effet de contribuer à l’intensification des relations entre les ong et les États-nations. Les forces des ong sont leur capacité à légitimer des débats et à bâtir des réseaux mondiaux pour mener des campagnes de causes dites justes.
L’auteure examine, d’une part, les stratégies et tactiques des ong dans leur quête d’influence sur la prise de décision et, d’autre part, les façons dont elles contribuent aux processus de la politique commerciale. Les activités des ong sont décrites de façon détaillée. L’auteure a procédé à des entrevues du personnel des ong, suivi les forums mondiaux tenus par des organismes et dépouillé les documents de l’omc. L’étude est méticuleuse et relie efficacement les activités des ong aux campagnes de sensibilisation retenues, soit les domaines des normes du travail, de la propriété intellectuelle et des investissements étrangers. Murphy montre bien que les ong ont joué un rôle important en sensibilisant l’omc et ses membres au moment de l’amorce du processus de formulation de politiques. Les trois campagnes retenues témoignent de la façon dont les ong ont contribué à dégager un consensus au sein des autres organismes, mais également comment leurs objectifs ont rejoint ceux de plusieurs États membres. Une conclusion principale de l’analyse est que les ong ont su sensibiliser des États à leurs positions. À plusieurs reprises, les ong ont réussi à attirer l’attention des États sur des domaines négligés. Elles ont, par leurs actions, positionné des dossiers et fourni aux États, particulièrement ceux de pays en voie de développement, des argumentaires fort appréciés. Bien qu’exclues du processus de décision et de négociation à l’omc, les ong ont joué un rôle significatif en faisant la promotion d’un consensus entre eux de façon à présenter l’image d’une société civile unie. Les ong ont été actives au sein de forums intergouvernementaux autres que l’omc et elles ont appuyé des pays en voie de développement dans la formulation de leurs positions de négociation et fait usage de leurs liens avec des États influents. Selon Murphy, des sources montreraient qu’un petit nombre d’ong ont commencé à jouer un rôle à l’interne en ayant accès aux délégations officielles de certains États à l’omc. Si l’étude est convaincante, soulignons tout de même qu’elle comporte peu de références aux sources primaires. En somme, nous aurions souhaité plus d’informations sur les prises de position des ong et un dépouillement systématique de leurs mémoires et témoignages. Néanmoins, l’ouvrage de H. Murphy contribuera à la réflexion des chercheurs et praticiens de la politique commerciale et à celle de tout observateur du domaine des organisations internationales. Enfin, cette étude comporte une réflexion théorique que les étudiants des relations internationales trouveront riche et pertinente.