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Cet ouvrage collectif de douze chapitres sur la politique étrangère du Canada met à contribution deux champs disciplinaires : l’histoire et les sciences politiques. Son originalité est d’offrir une étude de l’intérêt national du Canada sur un siècle (1909-2009), au moyen d’analyses sur le commerce, l’identité nationale et la sécurité.
L’ouvrage soutient comme argument central que l’intérêt national est avant toute chose déterminé, remodelé et ajusté en fonction des premiers ministres et des contextes. Selon les époques, cet intérêt national s’est cristallisé sur l’unité nationale, la sécurité humaine, l’identité canadienne, la prospérité économique ou la promotion des valeurs canadiennes. La défense de l’intérêt national s’est effectuée aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Canada.
À l’extérieur, la défense de l’intérêt national s’est jouée, d’une part, dans les relations canado-américaines et, d’autre part, dans les instances internationales.
Devant l’intransigeance de Washington, le Canada a dû diversifier ses relations économiques afin de diminuer sa dépendance vis-à-vis des États-Unis. Cela a été rendu possible par la politique de la « troisième option », qui a démontré que la défense de l’intérêt national du Canada à l’extérieur n’était pas limitée aux relations canado-américaines en dépit de l’importance de celles-ci.
Dans les instances internationales, cela s’est fait au niveau de l’onu et de la Francophonie. Il s’agissait de promouvoir la liberté, le bilinguisme et l’unité canadienne. À ce sujet, Gendron explique que le lancement de la l’Organisation mondiale de la Francophonie en 1965 causa des problèmes à l’unité nationale canadienne, notamment avec les velléités d’indépendance du Québec. Cependant, le regain d’intérêt du Canada pour les pays francophones a permis l’ouverture de plusieurs représentations diplomatiques dans ces pays. L’accroissement de ces représentations diplomatiques avait du reste commencé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puisque leur nombre passa de 7 en 1939 à 64 en 1956.
Qu’en est-il de la dimension nationale de l’intérêt national canadien ? À ce sujet, les contributeurs de cet ouvrage parlent de souveraineté, de sécurité nationale et d’unité nationale.
Pour donner un éclairage sur cette question, Metcalfe s’est intéressé à la manière dont l’identité nationale a été préservée dans les années 1930, en grande partie grâce au premier ministre de l’époque, Mackenzie King, dont la politique axée sur le compromis fut déterminante. Cette politique a ensuite suscité de l’intérêt après avoir connu quelques réticences de participation. Le fait majeur et déterminant a été l’adhésion de jeunes diplomates soucieux de la préservation de l’unité nationale. Cependant, cette unité nationale a été mise à rude épreuve avec l’émergence d’idées souverainistes, notamment dans la partie francophone dont l’objectif était de s’autonomiser et de s’écarter de la tutelle de la Grande-Bretagne qui engageait le Canada dans des guerres qui ne le concernaient pas, comme ce fut le cas avec la Seconde Guerre mondiale. Metcalfe souligne toutefois qu’en raison du niveau d’éducation et de la faiblesse technologique de l’époque, le poids de l’opinion publique sur la politique étrangère est demeuré faible, si bien que la définition de l’intérêt national a été somme toute l’apanage d’une élite.
De son côté, Hillmer a insisté sur la genèse de la politique étrangère du Canada qui, pour mieux défendre les intérêts du pays, devait passer par une autonomisation à l’égard de la Grande-Bretagne. C’est ainsi que les précurseurs de la diplomatie canadienne, et principalement Skelton, ont estimé que la souveraineté du Canada était un gage de défense de l’intérêt national. Ils n’excluaient toutefois pas une collaboration avec la Grande-Bretagne, privilégiant l’intérêt mutuel. Toutefois, le fait nouveau qu’il fallait intégrer à cette époque était que l’intérêt du Canada allait progressivement différer de celui de la Grande-Bretagne. Afin de défendre au mieux cet intérêt national naissant, la construction au Canada d’une diplomatie embryonnaire fut indispensable. Cela a été rendu possible par la constitution d’une équipe compétente dont les membres étaient parfois recrutés à l’étranger. Cette approche a donné un tonus à la première vague d’acteurs chargés de défendre l’intérêt national. Grâce à leur compétence et à leur savoir-faire, ces derniers ont su protéger les intérêts économiques canadiens face aux États-Unis dans le domaine du pétrole, de la pêche et de la gestion de l’eau. On note que leurs objectifs étaient tout à la fois de préserver la croissance économique, le bien-être des populations, mais également la protection des valeurs démocratiques et de liberté. Ce fut un bon départ pour la défense de l’intérêt national canadien par les Canadiens eux-mêmes.
En somme, l’actualité de l’ouvrage, sa richesse, sa vision rétrospective des divers aspects de l’intérêt national canadien et son caractère pluridisciplinaire lui confèrent une grande valeur intellectuelle. C’est donc un bon ouvrage à mettre à la disposition des étudiants comme des chercheurs intéressés aux enjeux de la politique étrangère du Canada qui, au demeurant, possède un riche passé.
Cependant, l’ouvrage aurait pu avoir plus d’impact s’il avait quantifié les gains acquis dans la défense de cet intérêt national. De plus, il ne s’est pas attardé aux effets de la politique de la « troisième option ». Par exemple, nous aurions voulu savoir pourquoi le Canada s’aligne en dépit de cette politique sur les positions américaines, malgré le coût que cela comporte. Quel est alors l’intérêt de l’absence du linkage dans les relations des deux pays ?