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Certains thèmes de recherche en relations internationales sont pourvus d’une charge explosive et d’un coefficient de curiosité particulièrement élevé. Ainsi en est-il de la transparence et de la puissance en général, de la transparence et de la puissance américaine en particulier. La curiosité que charrie un tel thème n’est pas propre aux relations internationales. L’anthropologie politique a longtemps fait son miel de l’idée suivant laquelle il n’est pas de pouvoir sans mystère ; le mystère qui entoure le pouvoir et la mystification qui accompagne sa mise en scène contribuent en partie à faciliter l’obéissance. Dans ce contexte paradigmatique établi notamment par les travaux de Georges Balandier et de Marc Abélès, pouvoir et transparence semblent antithétiques notamment parce que rendre le pouvoir transparent, c’est le démystifier et par là même l’affaiblir. Aussi comprend-on aisément la puissance d’évocation de la recherche entreprise par James J. Marquardt sur la transparence et la puissance américaine dans les relations internationales. A priori, on aurait pu penser que l’anarchie internationale dans laquelle s’impose la puissance américaine est rebelle à la transparence notamment parce que, d’une part, moins les ressorts d’une puissance sont connus et maîtrisés, plus elle est efficace et que, d’autre part, moins une puissance est connue, moins elle est prévisible et peut continuer à surprendre les autres régulièrement à son avantage.
Les considérations générales et prénotions plus ou moins savantes qui précèdent sont remises en cause par l’ouvrage de James J. Marquardt. En effet, l’approche choisie est originale : il ne s’agit pas de penser en position d’extériorité, puissance américaine et transparence, mais de poser la transparence comme un instrument de la puissance américaine. La transparence est pensée ici comme un moyen par lequel les États-Unis imposent leur volonté au monde. C’est une ressource de la puissance qui a été négligée par l’analyse réaliste des relations internationales. Ce retournement de la transparence procède d’une rupture réussie avec l’approche transnationaliste qui aurait consisté à opposer la transparence à la puissance américaine. Bien au contraire, l’option américaine pour une institutionnalisation de la transparence dans les relations internationales est justiciable d’une approche réaliste. Analyser la puissance américaine dans les relations internationales depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à la fin de la guerre froide revient aussi à prendre en compte la promotion de la transparence par le biais des institutions multilatérales et les accords bilatéraux comme modalité de normaliser et de légitimer la prépondérance des États-Unis. C’est ici qu’apparaît le principal mérite épistémologique de l’ouvrage de James J. Marquardt à travers le dépassement du clivage artificiel soft power/hard power.
L’option prise par Marquardt est fondée sur une démarche théorique convaincante, à savoir la conciliation entre une approche foucaldienne de la transparence (marquée par la formation d’un pouvoir panoptique, à la fois visible et invisible, observant et surveillant les autres structurant leur champ d’action) et le réalisme structurel (admettant l’hypothèse suivant laquelle le dilemme de sécurité et l’anarchie peuvent contraindre à la transparence dans les relations internationales). L’usage fait du réalisme s’inscrit ici dans une perspective ouverte en ce sens que la supposée hostilité des réalistes au libéralisme est dépassée et transcendée ; le réalisme peut valablement prendre en compte la transparence en tant que valeur fondamentale de la gouvernance libérale et démocratique.
La tension ou alors plus précisément l’harmonie polémique entre le réalisme et le libéralisme traverse l’ouvrage de Marquardt et structure sa pensée. En effet, si la transparence est présentée comme une valeur chevillée à la trajectoire de l’État ainsi qu’à la construction de la République aux États-Unis comme on peut le constater en convoquant la pensée politique d’un des pères fondateurs tels que James Madison, en se référant à la culture de la responsabilité des dirigeants et à la reddition des comptes, il n’en demeure pas moins que le secret a sa place dans la gouvernance américaine, ainsi que l’atteste notamment la conduite présidentielle de la politique étrangère. Même un dirigeant aussi attaché à la transparence que le président Woodrow Wilson n’a pas pu éliminer totalement le secret de sa propre pratique politique. Qu’à cela ne tienne, il reste qu’il existe une histoire nationale de la transparence qui peut en partie inspirer, selon Marquardt, la politique étrangère des États-Unis.
La transparence comme instrument de la politique de puissance des États-Unis apparaît comme un héritage du passé, un capital pour le présent et un investissement porteur d’avenir :
Héritage du passé, la transparence a permis pendant la guerre froide et à sa suite d’institutionnaliser des cadres multilatéraux et bilatéraux de dialogue aux fins de réduction des tensions entre les États-Unis et l’URSS, de gel de la sphère d’influence soviétique.
Capital pour le présent, la transparence est une modalité de surveillance de la montée en puissance de la Chine à travers la recherche systématique des informations sur ses capacités et ses ressources.
Investissement pour le futur, la transparence est promue par l’administration Obama notamment comme moyen de lutter contre la prolifération des armes nucléaires, le crime organisé et la corruption, comme base de construction des régimes alliés des États-Unis d’Amérique.
Au total, l’ouvrage de Marquardt constitue une analyse originale de la puissance américaine par le biais de la transparence. En faisant de la transparence la variable dépendante de la puissance américaine, l’analyse de James J. Marquardt pèche par unilatéralisme. Tout se passe comme si ce sont toujours les dirigeants américains qui contrôlent en tout temps et en toute circonstance le discours et la pratique de la transparence ; il aurait été intéressant de prendre en compte la manière dont l’opinion publique américaine peut retourner la transparence contre la puissance, comme elle l’a fait notamment pour le Vietnam. Dans le même ordre d’idées, parce qu’il n’y a pas de puissance américaine sans interaction avec les autres, il aurait été intéressant de s’intéresser à la réception de la transparence telle qu’elle est promue par les États-Unis dans divers pays. D’où la faiblesse de cet ouvrage en ce qu’il est surtout un monologue américain sur la puissance des États-Unis.