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Si les acteurs non étatiques attirent depuis les années 1990 l’attention des chercheurs en Relations internationales (ri), leur statut et influence à l’égard du droit international (di) ont longtemps été délaissés par la doctrine et la recherche universitaire juridique. Non-State Actor Dynamics in International Law, ouvrage collectif dirigé par Math Noortmann (Oxford Brookes University) et Cedric Ryngaert (Leuven University et Utrecht University), analyse la place des acteurs non étatiques au sein du système international, non seulement en tant que récepteurs de normes ou objets du droit (law-takers) – notion de plus en plus acceptée –, mais également en tant que créateurs de normes (law-makers). Il s’agit d’un ouvrage important, à la fine pointe de la recherche interdisciplinaire entre les ri et le di, et dont les avancées bousculent les approches et visions traditionnelles du droit international, largement centrées sur les États et les organisations internationales comme uniques sources de normes internationales.
Les contributeurs, issus de diverses universités européennes, s’attaquent surtout aux débats théoriques et conceptuels entourant le rôle et la position des acteurs non étatiques – autant les firmes multinationales que les organisations non gouvernementales – sur le système juridique international en général, et sur certains régimes en particulier. En première partie, Peter Muchlinski et Leyla Davarnejad explorent respectivement le pouvoir des multinationales dans le processus de formation de normes légales. Muchlinsky propose un modèle d’analyse permettant d’évaluer si les multinationales devraient être considérées comme des sujets du di à part entière, avec les droits et sur les responsabilités qui y sont liés, et comment elles influencent la création de normes légales en matière d’investissement. Pour sa part, Davarnejad analyse l’élaboration de codes de conduite en matière de responsabilité sociale des entreprises impliquant des acteurs étatiques, des multinationales et des organisations non gouvernementales afin de déterminer dans quelle mesure ces instruments peuvent être considérés comme faisant partie du droit international.
La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse davantage aux notions de personnalité juridique et de légitimité. Noemi Gal-Or se demande si les acteurs non étatiques devraient être considérés comme une catégorie spécifique d’acteurs internationaux et s’interroge sur les critères et autorités qui leur permettraient d’acquérir ce type de personnalité juridique. Par ailleurs, s’appuyant sur les approches théoriques libérales et constructivistes des ri et sur la théorie des processus légaux transnationaux du di, Cedric Ryngaert s’attaque au lien entre la légitimité du droit international et la participation des acteurs non étatiques aux processus d’élaboration et de mise en oeuvre des normes qui le composent.
Enfin, en troisième partie, Math Noortmann et Jean d’Aspremont remettent en question la plus-value d’une perspective plus large incluant les acteurs non étatiques pour la compréhension générale du droit international. Alors que Noortmann s’interroge sur la pertinence de réintégrer la notion de « participants » développée dans la conception du droit international de l’école de New Haven plutôt que de se contenter du concept analytiquement pauvre d’acteurs non étatiques, Jean d’Aspremont se demande dans quelle mesure cette notion d’acteurs non étatiques en di est une pure construction intellectuelle des universitaires et professeurs travaillant dans cette discipline. Selon lui, les récents développements de cette niche de recherche au sein de la littérature juridique scientifique résultent plus de la volonté des chercheurs en di d’étendre leur champ d’étude que des pratiques effectives et des preuves empiriques sur le terrain. L’argumentaire d’Aspremont témoigne de son inconfort devant la tendance grandissante des chercheurs en di de s’ouvrir aux recherches interdisciplinaires afin de porter un regard nouveau sur leur objet d’étude. Il met le doigt sur le problème de la recherche empirique, qui constitue également la principale lacune de cet ouvrage et les besoins de la recherche à venir.
Il n’en demeure pas moins que Non-State Actor Dynamics in International Law constitue un ouvrage rafraîchissant, nécessaire, né d’un effort de réflexion théorique remarquable sur lequel d’autres chercheurs pourront s’appuyer dans le développement de programmes de recherche empiriques sur le statut et le rôle des acteurs non étatiques dans la formation et la mise en oeuvre de normes de droit international. Si leur rôle en tant que créateurs de normes de droit international reste à démontrer, les acteurs non étatiques se présentent aujourd’hui parmi les principaux consommateurs de droit international, d’où ils tirent leur légitimité et leur influence grandissante.