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Voici une analyse de la construction du potentiel industriel, agricole, commercial et technologique du Brésil et du rôle qu’ont joué dans ce processus les grandes entreprises d’État, après 80 ans de modèle « développementiste ». Le livre publié par Brainard et Martinez-Diaz explique pourquoi le Brésil peut être considéré comme une superpuissance économique. Dans cet ouvrage divisé en quatre parties comprenant neuf chapitres, un groupe d’experts analysent les divers facteurs et éléments de ce processus. Le premier, c’est que le Brésil a profité de deux tendances mondiales à long terme : la demande croissante de matières premières et la nécessité de stabiliser le climat de la terre.
Un deuxième point essentiel est constitué par les tentatives délibérées du gouvernement de pousser les entreprises à entrer dans des secteurs dans lesquels, autrement, elles n’auraient pu aller, le plus important étant peut-être le secteur de l’énergie. Aujourd’hui, le Brésil tire 46 % de son énergie de sources renouvelables, comparativement à une moyenne mondiale de 13 % et à la moyenne de l’ocde qui est de seulement 6 %. Il a aussi la meilleure infrastructure dans le monde pour la production commerciale et la distribution d’éthanol.
Sennes et Narcisse, dans le chapitre 2, expliquent comment Petrobras (Petróleo Brasileiro) a mobilisé son expérience d’exploration en eau profonde et de technologie de production pour monter une stratégie d’envergure internationale avec des opérations dans 26 pays. L’expansion de l’agro-industrie a également été l’un des facteurs clés. André Nassar, au chapitre 3, illustre la façon dont l’agro-industrie a exploité les gains de productivité pour pénétrer les marchés mondiaux. Geraldo de Barros s’interroge ensuite sur les défis que doit relever le Brésil pour devenir une superpuissance agricole. Il affirme la nécessité de rétablir la structure des investissements dans les infrastructures, la science et la technologie, avec un secteur privé qui est devenu beaucoup plus important sur le plan financier. Motta Veiga signale au chapitre 5 que le « développement national » a encore une influence puissante sur la façon dont les leaders politiques brésiliens pensent pousser l’intégration. Sur ce plan, on observe des différences entre les derniers gouvernements. Alors que Cardoso a choisi de donner la priorité aux négociations avec l’Union européenne et les États-Unis, le gouvernement Lula s’est davantage orienté vers les pays du Sud. Mais il y a des lignes de continuité : le poids croissant accordé au secteur agroalimentaire dans la mise en place de la politique commerciale du Brésil et la position de tolérance zéro en matière de conflits dans les relations entre environnement et questions de travail, d’une part, et négociations commerciales multilatérales et préférentielles, d’autre part.
Mauricio Mesquita Moreira, au chapitre 6, met en évidence trois dimensions de la politique commerciale qui sont incompatibles avec l’indépendance économique : l’accent mis sur le commerce Sud-Sud avec des pays comme l’Inde et l’Afrique du Sud, l’insuffisance des efforts pour aboutir à des accords commerciaux avec les grandes économies et la tendance à exagérer les avantages du mercosur. Ber Ross Schneider, au chapitre 7, analyse le rôle et le poids des multinationales. Il constate que les grandes entreprises au Brésil sont très différentes de celles des autres pays, car elles sont principalement concentrées dans les ressources naturelles, les produits intermédiaires et certains services, notamment bancaires. En 2005, plus de 40 % des plus grandes entreprises de l’Amérique latine étaient brésiliennes. Mais, sauf au Chili, ces entreprises ont tendance à croître beaucoup plus dans leurs grands marchés nationaux. Schneider souligne que les politiques du Chili, du Brésil et du Mexique ont soutenu la croissance des grandes entreprises, avec des environnements politique et macro-économique moins volatils qu’en Argentine, en Colombie, au Venezuela et au Pérou.
En analysant le rôle de la technologie dans le développement des multinationales, Edmund Amann accorde pour sa part une attention particulière aux questions critiques de l’accumulation des capacités technologiques et de leur interaction avec les politiques publiques. Enfin, Marcelo Neri, au chapitre suivant, évoque le rôle des politiques d’aide sociale et conclut que celles-ci ont eu un effet bénéfique sur la répartition des revenus.
Plusieurs chapitres du livre signalent la participation importante de l’État brésilien dans le développement technologique, grâce à des investissements dans les centres de recherche et les institutions. Signalons l’importance de embrapa (Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária), par sa contribution au développement des technologies qui ont permis de doubler la productivité de l’agro-industrie depuis 1975, et de profiter des nouvelles opportunités pour les produits agricoles sur le marché mondial. La présence de deux centres de recherche d’ingénierie et de technologie a renforcé embraer (Empresa Brasileira de Aeronáutica) et contribué ainsi à son succès commercial dans l’industrie aéronautique, alors que le centre de recherche de Petrobras a aidé l’entreprise dans le développement de l’exploration pétrolière offshore et que les technologies de production ont fait du Brésil un producteur de pétrole, pour ne mentionner que deux exemples importants.
L’étude de cas du Brésil offre de nombreuses leçons pour les pays en développement qui sont en train de repenser leurs stratégies de développement et d’intégration internationale, par exemple en ce qui concerne le rôle de l’État. Ce livre présente l’influence positive qu’a eue l’État brésilien dans le développement économique actuel. À la lumière de ce que soulignent les différents auteurs, l’influence interventionniste reconnue des politiques macro- et microéconomiques étatiques dans les décisions d’investissement des grandes sociétés nationales et dans leurs stratégies technologiques a été essentielle pour mettre le Brésil sur la voie qui doit lui permettre de devenir l’une des grandes puissances économiques du monde au 21e siècle.