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La fin de l’hégémonie américaine, l’avènement d’un système multipolaire, la cristallisation de blocs régionaux ou les transformations de la puissance sont autant d’indices qui appellent à repenser le rôle des puissances émergentes à l’échelle régionale et globale. Ainsi, le leadership régional a acquis dans les derniers développements de la recherche en politique internationale une attention grandissante. Cependant, maints concepts restent à définir, maintes comparaisons à établir et maintes questions à élucider. L’ouvrage édité par Daniel Flemes propose de relever la gageure.
Constatant la stérilité de réduire la compréhension du rôle des puissances régionales à l’un ou l’autre prisme théorique, l’ouvrage propose de suivre le fil rouge du leadership sous des jours multiples, tantôt se référant aux capacités matérielles, tantôt s’inscrivant dans une approche beaucoup plus constructiviste, pour souligner le rôle des idées ou de la représentation de la puissance. C’est donc une analyse adoptant divers points d’accroche qui est proposée au gré des seize contributions constituant le coeur de cet ouvrage collectif.
À vrai dire, qu’est-ce qu’une puissance régionale ? Le questionnement se voit traité selon une double dimension. Premièrement, l’ouvrage s’attelle à mieux circonscrire la notion de région, qui reste souvent par trop floue. Les contributions s’accordent pour considérer que le cercle des puissances régionales inclut les pays qui, sur le plan régional, ont la volonté d’exercer une forme de leadership, disposent d’une puissance de projection à la fois de ressources et d’idées et font montre d’un haut degré d’influence. L’ouvrage porte ainsi sur le leadership de l’Afrique du Sud, du Brésil, de la Chine, de l’Inde et de la Russie, mais aussi de l’Iran, d’Israël et du Venezuela. Deuxièmement, il est rappelé que la notion de puissance est complexe et se présente sous divers jours. Ici, la partie théorique de l’ouvrage – et particulièrement la contribution de Dirk Nabers – s’avère particulièrement stimulante. Cette dernière bénéficie d’une analyse transversale de la notion de leadership au regard de la théorie politique, de la psychologie et du management ; la contribution lie ensuite conceptuellement les notions de puissance, de leadership et d’hégémonie, analysant les interrelations entre les deux premières et plaidant pour leur articulation avec ce que l’auteur nomme l’« hégémonie discursive ».
Cela posé, quatre sections apportent un éclairage sur diverses dimensions du leadership régional. Tout d’abord, les contraintes que rencontrent les puissances régionales dans la formulation de leurs stratégies de politiques étrangères sont examinées, portant la focale à la fois sur le niveau régional et sur le plan global. La section suivante s’intéresse, de façon ciblée, au rôle des idées. De manière générale, le sentiment qui émerge a trait au rôle fondamental des idées pour comprendre le leadership régional. L’exemple du Brésil présenté par Matias Spektor appelle ainsi à prendre au sérieux la projection de normes et de valeurs dans la façon dont le pays s’est taillé une solide légitimité dans la région. De façon analogue, on retiendra la contribution de Deon Geldenhuys, qui offre une perspective des plus intéressantes sur le leadership idéationnel – entre leadership intellectuel, entrepreneurial et de mise en oeuvre – de l’Afrique du Sud, mettant en évidence le rejet résolu du statu quo dans la politique étrangère de ce pays. Une autre section propose une analyse des dynamiques intérieures à l’économie politique des puissances régionales, jugées fondamentales pour comprendre la politique étrangère de ces pays. La contribution de Joachim Betz exemplifie parfaitement comment l’évolution des dynamiques internes travaille la politique étrangère de l’Inde, selon des rapports de force internes fluctuants. Enfin, une section jauge l’influence des puissances régionales émergentes sur l’Union européenne et les États-Unis. Mark Brawley y apporte une lecture perspicace de l’évolution de la politique américaine face à la montée des puissances émergentes.
Dans sa vocation à poser une nouvelle pierre de touche pour la réflexion sur le leadership régional, le chapitre final de Daniel Flemes et Douglas Lemke offre plusieurs pistes visant à développer l’analyse comparée des puissances régionales. D’une part, les auteurs examinent les possibilités d’améliorer la définition du concept de puissance régionale. D’autre part, ils proposent de redéfinir le statut de puissance en tant que variable plutôt que comme mécanisme de sélection des cas, appelant à développer des instruments de mesure de la puissance au sein d’un espace régional, notamment en dressant une liste des stratégies régionales de puissance.
En bref, le parti théorique consistant à combiner les atouts de divers courants théoriques est concluant, même si le résultat s’avère surtout kaléidoscopique. Il n’est en effet pas de véritable intention d’apporter une réflexion soutenue sur l’articulation elle-même de ces approches. Il reste que certaines contributions auraient mérité un ancrage plus explicite par rapport à la notion de leadership. D’un point de vue éditorial, l’ouvrage souffre quelque peu de l’absence de notices biographiques qui auraient permis de mieux situer les auteurs des diverses contributions. L’ouvrage n’offre pas moins une intéressante réflexion à la fois sur la notion de leadership en Relations internationales et sur son exercice par les puissances régionales. D’aucuns y trouveront une source stimulante de réflexion sur la façon d’aborder cette problématique et une analyse fine de l’évolution des politiques régionales et globales des leaders régionaux.