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Avec pour objet d’étude un territoire de 6 700 km² dont l’autonomie est désormais inscrite dans « le marbre du droit », le livre dirigé par Matthieu Chillaud devrait devenir incontournable, car il comble avantageusement un vide dans la littérature scientifique francophone, couvrant l’histoire militaire et diplomatique ainsi que le droit institutionnel et international des îles Åland. Celles-ci ont un capital géostratégique considérable qui a attiré les convoitises croisées de la Finlande, de la Suède et de la Russie. Pendant sept siècles, elles ont appartenu au Royaume de Suède, avant de faire partie de l’Empire russe, puis d’être rattachées à la Finlande devenue indépendante, en 1917. La Deuxième Guerre mondiale a ravivé les ambitions de l’urss et a remis en cause le régime de démilitarisation négocié un siècle auparavant. Les îles Åland ont alors été contraintes d’organiser leur défense mais, avec la signature du traité de Paris en 1947, le régime de désarmement a été conforté et toute velléité de satellisation par l’Union soviétique écartée.

Si la démilitarisation a permis de détourner les appétits territoriaux des puissances voisines, l’autonomie a été la clé d’un compromis chapeauté par la sdn et toujours en vigueur. La Convention de 1921 a ainsi posé les bases de la neutralisation et constitue le pilier d’un corpus juridique essentiel à la pérennité du statut original des îles Åland. Les autres traités sont présentés tout au long des douze chapitres, créant des passerelles pour guider le lecteur dans le maillage juridique qui a fait des îles Åland les « îles de la paix ».

Au coeur de l’ouvrage, la contribution de Mathieu Chillaud constitue un chapitre pivot qui apporte les références théoriques étayant les textes plus descriptifs et permettant d’inclure dans une réflexion scientifique les spécificités du statut des îles Åland. Ce retour à la théorie ne nuit pas pour autant à la modernité du texte, bien au contraire, et le lecteur attentif apprendra ainsi que l’obligation de démilitarisation a nourri le droit des conflits armés, qui rejoint le droit humanitaire. En outre, après une explication des régimes distincts de démilitarisation, neutralité et neutralisation, la dimension stratégique internationale est révélée dans l’évolution des rapports de force entre puissances. Les mesures de désarmement sont en effet différentes selon qu’elles s’appliquent à l’encontre du vaincu, ou sur le territoire d’un État qui n’a pas été vaincu. Rapprochant la focale, Louis Clerc et Philippe Lasterle accordent une attention particulière à la politique étrangère et militaire de la France, dont l’« intérêt à éclipses » pour la région a été déterminé au gré des alliances avec l’Angleterre, la Pologne ou l’Empire ottoman et de la concurrence avec la Russie bolchévique ou l’Allemagne défaite. Ces éléments historiques, juridiques et théoriques exposés, Ove Bring se pose la question de la personnalisation juridique des îles Åland sur la scène internationale. Il appert que celles-ci ont pu plus facilement agir en qualité de « personne » tant sur la scène internationale que sur la scène intérieure. En outre, l’adhésion de la Finlande à l’ue et le protocole d’Åland ont renforcé la personnalité internationale des îles. Élisabeth Naucler note également que ces dernières, comme les îles Féroé et le Groenland, ont acquis une identité internationale par le truchement du Conseil nordique et du Conseil nordique des ministres. Toutefois, elles restent « des sujets internationaux de statut “inférieur” » puisque, par exemple, elles ne disposent pas d’un siège au Parlement européen.

Il reste que le régime d’autonomie est ancré dans l’ordre juridique national et international et, comme le souligne Sia Spiliopoulou Åkermark dans le dernier chapitre, qu’il a le mérite de « s’ajuster commodément aux réalités contemporaines ». Le lecteur est ainsi invité à suivre les changements institutionnels à venir de ce laboratoire de paix né au 19e siècle. Il dispose pour cela d’une boîte à outils complète grâce aux riches annexes. S’il risque de s’écarter de certaines contributions plus narratives qu’analytiques, le récit des batailles navales ou des échanges de télégrammes diplomatiques le plongera aussi dans la réalité palpitante de la région. Il pourra en outre s’appuyer sur les documents que l’éditeur a pris soin d’inclure en introduction : un tableau des toponymes en finnois avec leur équivalent en suédois, ainsi que des cartes situant les îles dans la Baltique. Une carte plus précise avec les noms des îles et des principales villes fait toutefois défaut, de même qu’une chronologie listant les dates clés des batailles et des traités.

Quoi qu’il en soit, pour le chercheur, le militaire ou toute personne intéressée par les questions de stratégie et de diplomatie européennes, l’ouvrage sera aussi fascinant qu’instructif, car il constitue une plongée dans l’histoire de ces îles dont les fortifications sont devenues des musées à ciel ouvert et les institutions une référence pour d’autres territoires au statut contesté. Cette alliance de l’intelligence et de l’évasion séduira le lecteur, à qui l’ouvrage donnera autant à voyager qu’à étudier.