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Qui ne connaît pas la situation géopolitique du Caucase du Sud devrait se réjouir de la parution de cet ouvrage. Il présente une introduction sur une région qui, certes, n’est pas abonnée à la une des journaux, mais n’en est pas moins un enjeu important pour l’Europe. Comme le sous-titre du livre de Samuel Lussac l’indique, le Caucase du Sud est « au carrefour énergétique de l’Europe de l’Ouest ». Doctorant en Relations internationales à l’Institut d’études politiques (iep) de Bordeaux, l’auteur effectue sa thèse sur la coopération régionale entre l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie. Une coopération qui s’illustre essentiellement autour du transport des matières premières, gaz et pétrole. D’où un ouvrage essentiellement axé sur les relations économiques.
Comme le rappelle l’auteur, ce sont d’abord les problèmes économiques qui ont récemment attiré l’attention de l’opinion publique internationale sur cette région et plus particulièrement les altercations commerciales entre l’Ukraine et la Russie en 2006 à propos du prix du gaz. Ces disputes ont conduit à la fermeture des robinets de gaz, laquelle a eu des conséquences sur l’approvisionnement en gaz de certains pays de l’Union européenne.
C’est ensuite la guerre à l’été 2008 entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie avec l’entrée des troupes russes dans le conflit qui a braqué les radars européens et américains sur la région. Autant d’événements qui poussent l’Europe à une interrogation cruciale : comment diminuer sa dépendance énergétique envers la Russie ? Celle-ci fournit en effet 26 % du gaz naturel et 15 % du pétrole de l’ue. Et, selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie, l’Europe devra importer 70 % de ses besoins énergétiques dans vingt ans. Pas question donc de livrer à Moscou toutes les clés de l’énergie européenne. Depuis la publication en 2006 du livre vert sur la sécurité énergétique de l’Europe, le maître mot est la diversification des sources et des voies d’approvisionnement. D’où l’intérêt de Bruxelles pour le Caucase du Sud.
Une vingtaine de pages suffisent à l’auteur pour rappeler la courte, mais non moins mouvementée, histoire postsoviétique des trois principaux pays de la région : Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie. Plus de vingt ans après les indépendances, la région reste tourmentée par des conflits non résolus : Ossétie du Sud pour la Géorgie, Haut-Karabagh dans les relations arméno-azerbaïdjanaises.
Samuel Lussac estime que les multinationales ont largement contribué à stabiliser une partie de la région. En exploitant le pétrole d’Azerbaïdjan, bp a entraîné Bakou et ses voisins dans une coopération économique profitable à tous. Des accords importants ont été signés pour garantir le transport des matières premières. bp aurait ainsi contribué à la régionalisation du Caucase du Sud.
Une tâche que la multinationale a accomplie avec le plein soutien de Washington. Car les Américains ont été plus prompts que les Européens à mesurer l’importance de cette région pour la sécurité du vieux continent.
Dans les années 1990, la politique de l’ue est restée très discrète, par manque de temps et de moyens – la priorité étant donnée à l’intégration des pays de l’Europe de l’Est – et en raison du choix de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne de traiter elles-mêmes les relations avec le Caucase du Sud, sans y inviter l’ue. Bruxelles a bien lancé quelques programmes d’aide, tels qu’inogate et traceca, mais qui ont surtout brillé par leur timidité.
L’auteur souligne le changement à partir de 2003. Le regard de l’Europe sur le Caucase change, et pas seulement à la faveur de la Révolution des roses qui voit l’accession au pouvoir de Mikheil Saakachvili en Géorgie. Parlement européen et Commission européenne s’accordent pour inclure les États sud-caucasiens dans l’initiative de voisinage. La région accueille alors un représentant spécial de l’Union européenne, le Finlandais Heikki Talvitie. Dès lors, souligne l’auteur, l’ue « s’affirme comme un acteur politique dans le Caucase du Sud ».
La bataille des pipelines peut commencer : le russe Gazprom avec le projet Southstream contre les Européens et leur projet Nabucco. Sans compter les initiatives alternatives : il en existe au moins trois (tap, White Stream, itgi), dont certaines bénéficient du soutien de l’Europe !
L’auteur insiste alors sur les deux obstacles majeurs qui se dressent devant cette inflation de projet. Le premier est un problème de tuyaux : sur quelles ressources vont-ils se brancher ? Celles de la mer Caspienne sont particulièrement sollicitées et il n’y en aura pas pour tout le monde. Faut-il alors se connecter sur les ressources de l’Iran ? Une option difficilement envisageable tant que Téhéran ne se pliera pas aux injonctions de la communauté internationale à propos de son programme nucléaire. Retour à la case départ : il se pourrait alors que les ressources russes fassent leur grand retour à la faveur d’accords bilatéraux entre Moscou et certains pays européens.
C’est justement le deuxième obstacle soulevé dans ce livre : existe-t-il une cohésion européenne dans ce dossier ? L’auteur pense que non et remarque : « Chaque État membre cherche à assurer son approvisionnement unilatéralement et aucune coordination n’est orchestrée à Bruxelles pour acheter le gaz des États producteurs. » Pendant que les paradoxes rongent l’ue, d’autres acteurs pourraient en profiter, comme la Russie, mais aussi la Chine qui voudrait également constituer son propre corridor énergétique de l’Ouest.
Accessible à un large public, le livre de Samuel Lussac permet incontestablement d’y voir plus clair sur la géostratégie du Caucase du Sud. Il aurait toutefois été plus exact de titrer l’ouvrage « Géoéconomie du Caucase » tant les enjeux sont plus économiques que politiques.