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Cet ouvrage est le premier publié par Zed Books dans une nouvelle collection intitulée Development Matters, qui entend replacer les questions relatives à cette thématique dans un cadre (à la fois historique, conceptuel et politique) plus large que celui de la production habituellement générée en réaction aux événements immédiats. Il remplit parfaitement cet office, Björn Hettne fournissant ici une réelle mise en perspective de la notion de développement, loin de toute approche linéaire ou déterministe, en s’attachant à la notion de développement de l’État lui-même, sans la limiter à la grille de lecture habituellement fournie par l’étude des relations Nord-Sud. De son propre aveu, Hettne affiche ainsi son ambition de contribuer par cet ouvrage à la connaissance du développement plus qu’à la science de celui-ci, un rôle qu’il attribue aux études du développement dont il s’estime étranger.

Comme il l’annonce dans la préface, Hettne a par ailleurs souhaité mettre sa réflexion en étroite relation avec celle de Karl Polanyi, qu’il considère comme un théoricien modèle des dynamiques du développement, bien qu’il ne se soit lui-même jamais réclamé de cette discipline. L’ouvrage est dès lors émaillé de citations et de références aux travaux de l’intellectuel hongrois, à qui Hettne offre ainsi également un hommage.

Thinking about Development est un ouvrage relativement concis, structuré en huit chapitres. À l’exception du premier, consacré au cadre théorique et aux relations entre le développement et, respectivement, l’histoire, les valeurs et la sécurité, les différents chapitres abordent des enjeux liés au développement de l’État présentés dans l’ordre chronologique de leur apparition, sous l’angle de l’histoire des idées et de la pensée économiques. L’auteur évoque ainsi la création d’un État moderne forgé dans la révolution industrielle et trempé dans l’idéologie des révolutions libérales du 17e siècle, l’avènement de la pensée marxiste et finalement les modèles de politique économique opposés dans la période sombre de la montée des totalitarismes et des débuts de la guerre froide.

Dans la seconde moitié de l’ouvrage, Hettne penche davantage vers l’histoire ou la sociologie des relations internationales contemporaines. Toujours dans une perspective historique, il brosse alors à grands traits les enjeux géopolitiques liés à la bipolarité, à la naissance des études du développement, à la mondialisation et à la gouvernance globale, tout en présentant succinctement les principaux théoriciens qui ont travaillé sur ces questions. Il fait ainsi ressortir la multiplicité, et le plus souvent la concurrence, de visions du développement qui constituent des réponses théoriques à des enjeux politiques s’inscrivant dans un contexte donné.

Enfin, c’est sur la question du développement global que l’ouvrage s’achève, avec une réflexion portant sur le triptyque qui réunit la liberté, l’ordre et la justice comme éléments fondateurs de toute réflexion sur l’enjeu du développement ; d’après Hettne, c’est en effet l’équilibre changeant entre ces trois valeurs qui a structuré à la fois l’évolution de la pensée politique en Europe occidentale et le contenu même de l’idée de développement.

Le refus de l’auteur de distinguer entre une perspective Nord et une perspective Sud du développement de l’État se justifie bien évidemment par l’argument selon lequel les conceptions de la première ont été structurantes pour la seconde, mais également par sa volonté de casser un cliché. En effet, la présentation chronologique de l’ouvrage répond avant tout à une volonté de contextualiser la notion de développement dans un cadre donné. Hettne veut lutter contre l’approche linéaire et téléologique du développement, qu’il entend réfuter en soulignant les évolutions et les contradictions rencontrées par ce concept au fil du temps.

Dès lors que son propos consiste à mettre en exergue la concurrence et l’instrumentalisation permanentes des visions du développement à travers l’histoire, la poursuite d’une théorie sociale globale constitue la seule issue possible de sa démarche, et elle fait l’objet de la conclusion ; pour Hettne, en effet, le phénomène de mondialisation et la notion de développement global regroupent en leur sein des enjeux aussi opposés que les objectifs du millénaire pour le développement, les forums sociaux mondiaux, ou la guerre contre le terrorisme, au point d’interroger à la fois la pertinence du discours occidental pour l’invention d’une théorie sociale globale et l’universalité des valeurs que ce discours véhicule. Pour sortir de cette impasse, Hettne plaide pour une transformation urgente des études du développement par l’adoption d’une démarche résolument interdisciplinaire, seule à même d’appréhender la complexité nouvelle de ces problèmes, et seule à même également de répondre à la question essentielle de ce qui pourrait rendre possible l’existence d’une société globale.

Avec son bref aperçu des différents théoriciens dont la vision a structuré le concept de développement depuis la création de l’État moderne, Hettne s’adresse avant tout à un public qui dispose d’un minimum de bagage culturel et historique, mais sans pour autant s’être préalablement immergé dans les questions de développement. L’ouvrage se lit comme une agréable leçon publique, où l’érudition de l’auteur nous emmène à travers les siècles pour nous montrer le caractère multiple et, finalement, l’historicité même de la notion de développement, un enjeu trop souvent dilué dans le discours institutionnel posé par ses acteurs et parties prenantes. À vouloir conserver une approche globale, Hettne en finit toutefois par demeurer inévitablement superficiel, et c’est à se demander si son tour du monde des idées ne requerrait pas un approfondissement. Mais puisque l’ouvrage constitue, il faut le rappeler, le premier d’une nouvelle série publiée par l’éditeur, gageons que celle-ci en proposera quelques-uns.