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Avec une préface originale du politologue Maurice Vaïsse qui recense les travaux qui comptent selon lui sur la thématique des relations internationales dans le champ plus étroit des relations franco-américaines, cet ouvrage collectif dirigé par René Lukic aborde la question du point de vue chronologique et thématique, dans l’espace à la fois bilatéral, transatlantique et global. Neuf auteurs américains, canadiens et français ont contribué à ce livre. L’addition des chapitres, thématiques et chronologiques, peut amener des « ruptures » souvent propres aux ouvrages collectifs et les conclusions du livre ne sont pas suffisantes pour « rattraper » l’exercice.
Néanmoins, le sujet est passionnant et les thèses avancées pertinentes, avec des analyses particulières comme le projet de gouvernement allié en France à la fin de la Deuxième Guerre mondiale ou l’assistance américaine dans le domaine nucléaire. Lukic dirige une étude dont plusieurs cadres fondamentaux sont souvent rappelés ou apparaissent au détour d’une argumentation. Primo, on saisit l’importance donnée au gaullisme, comme doctrine politique qui a marqué et qui marque encore les relations, parfois tumultueuses, avec les États-Unis. Secundo, on rappelle le poids de la dissymétrie entre les deux acteurs, avec, au final, l’hégémonie américaine. Tertio, le caractère volatil des relations transatlantiques entre Paris et Washington, oscillant dans une dialectique de coopération et de conflit, alimente bien des visions idéologiques et des contradictions diplomatiques.
Stratégies indirectes, instrumentalisation, coopération ambiguë, agendas cachés, diabolisation, récriminations, complicité, souveraineté, orgueil national ; autant de mots retrouvés souvent au travers des différentes contributions pour symboliser sémantiquement des formes diverses d’antiaméricanisme ou d’« anti-hexagonalisme », à des degrés divers. Mais cela serait trop simple.
De toute évidence, du point de vue géopolitique, la France n’a pas historiquement « changé de camp » et, aujourd’hui, la coopération et les intérêts communs abondent entre les deux pays. C’est avant tout, pour Paris, la recherche du partenariat et de la souveraineté protégée, et non la subordination et la dépendance envers les Américains. Alliés certainement, mais en « toute autonomie ». Plusieurs contributions de l’ouvrage développent cette obsession autour de la souveraineté et de l’indépendance nationale à travers les champs politiques, nucléaires, économiques, techniques, monétaires, dont les exemples fournis seront les illustrations évidentes. L’Europe unie peut être un contrepoids à l’hégémonie européenne, mais chacun sait que les États européens n’iront pas jusqu’à sacrifier leurs liens transatlantiques, tandis que la France, qui défend cette vision, n’oublie pas qu’elle se veut, avant tout, autonome, avant d’imaginer un jour se fondre dans un cadre fédéraliste.
Nous relèverons la contribution de Georges-Henri Soutou qui a examiné les relations franco-américaines sous Pompidou et Giscard d’Estaing. La prise en compte des facteurs politiques internes, le jeu des réconciliations et les questions économiques, les considérations stratégiques et militaires vont permettre de mieux appréhender les causes spécifiques de rapprochement mais aussi de refroidissement qui créent ces oscillations permanentes caractérisant les relations franco-américaines, faisant en sorte au final que les deux présidents concernés se sont avérés être plus « gaulliens » qu’on ne l’avait souvent cru à l’époque. Ces nuances rappellent celles de la contribution de Frédéric Bozo sur les relations bilatérales à la fin de la guerre froide.
L’analyse de Bruno Bourliaguet sur l’assistance et la collaboration dans le domaine du nucléaire militaire entre Américains et Français doit ici être épinglée. Elle offre au lecteur peu au fait une vision plus proche de la réalité que celle, mythifiée, d’une rivalité constante entre Paris et Washington, le second empêchant à tout moment le premier de disposer des technologies nucléaires. Certes, derrière certains soutiens américains et autres « procédures d’informations négatives », les États-Unis souhaitaient éviter que Paris ne concentre trop de moyens en « réinventant des technologies » déjà éprouvées par les Américains. Une économie recherchée par divulgation directe ou indirecte de technologies afin, au final, d’orienter autant que faire se peut une part du budget français vers les armements conventionnels. Ces collaborations autant que les ambitions hexagonales pour un nucléaire franco-germano-italien expriment les postures ambiguës des autorités françaises. Aujourd’hui, la collaboration autour des technologies de simulation semble moins empreinte d’interrogations politiques. Deux autres articles balaient, d’une part, le champ historique avec l’examen de l’antiaméricanisme politique en France depuis la Deuxième Guerre mondiale (Lukic) et, d’autre part, le bilan historique des relations franco-américaines (Cogan) ; sans parler de l’inclusion de deux études de cas : une sur la crise en Irak (Le Voguer) et l’autre sur les enjeux du terrorisme (Deschênes).
Assurément un livre dense qui complète ceux parus, il y a peu, dans la foulée du 40e anniversaire du retrait français du commandement intégré de l’otan et ceux attendus autour du premier anniversaire de la « normalisation française » sous la présidence sarkozienne.