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Dans Trusted Guardian, Damon Coletta porte un regard rafraîchissant sur l’avenir des relations entre les États-Unis et leurs alliés européens en suggérant qu’il serait profitable pour tous que soit établi un système commun de gestion de l’information en temps de crise au sein de l’otan. Un problème qu’il soulève d’emblée tient en ce que les États-Unis considèrent que l’apport des nouvelles technologies de l’information (nti) à leur politique étrangère et de sécurité ne varie pas, qu’elles soient utilisées en temps de crise comme en temps de guerre. Or, pour l’auteur, les nti devraient jouer des rôles distincts selon ces deux moments. S’il est évident que la haute technologie a permis aux États-Unis de développer la puissance militaire conventionnelle la plus précise, rapide, légère et létale de l’histoire moderne, elle n’a pas réussi à réduire les incertitudes inhérentes aux crises internationales, qui s’expriment principalement dans la difficulté à juger des intentions et de la résolution d’un adversaire. Ce faisant, les Américains ne se sont pas rendu compte que les nti pourraient tout de même améliorer leur performance en temps de crise si celles-ci étaient appliquées à renforcer leur capacité à convaincre leurs alliés de la justesse de leurs actions. Coletta est farouchement convaincu de l’importance de la diplomatie comme instrument de politique étrangère et de sécurité, comparant celle-ci à la musique : sa force réside dans sa recherche de l’harmonie et du rythme, dans sa capacité à démontrer son respect envers ses alliés, en reconnaissant implicitement que sans leur soutien la puissance américaine n’est plus orientée vers l’atteinte d’une paix durable et équitable dans le système international. C’est donc au service de la diplomatie entre alliés que les nti pourraient jouer un rôle positif beaucoup plus grand. En mettant en place au sein de l’otan une structure où seraient partagées la récolte, l’analyse et la diffusion du renseignement, les alliés des États-Unis pourraient avoir beaucoup plus confiance dans les intentions de ces derniers, favorisant la formulation de positions communes que les adversaires de l’Alliance auraient beaucoup plus de difficulté à « disloquer » dans les moments névralgiques que sont les crises internationales.
Partant de cette prémisse, Coletta construit un argumentaire bien structuré et convaincant pour tenter de démontrer la justesse de ses recommandations. Ne pouvant procéder par démonstration historique, il emprunte un chemin quelque peu tortueux pour arriver à ses fins. Faisant appel à la théorie des jeux, il tente, dans un premier temps, de démontrer formellement la proposition selon laquelle une bonne communication avec ses alliés produit une meilleure position de négociation pour un État que s’il fait fi de ses partenaires potentiels. Dans la mesure où l’appui avoué des alliés permet de soutenir avec crédibilité des demandes contraignantes face à un adversaire, le prix de la défiance augmente de manière significative pour celui-ci. Une fois cette démonstration complétée, Coletta s’affaire à comparer le déroulement d’un ensemble de crises internationales (Berlin 1948-1949 ; Berlin 1961 ; Cuba 1962 ; Kosovo 1998-1999) pour explorer l’idée selon laquelle le raffinement technologique qui a permis la production d’un renseignement toujours plus précis au fil du temps n’a pas amélioré, en soi, la position des États-Unis face à leurs adversaires. Constamment, les intentions des adversaires demeurent invisibles aux antennes, radars et satellites américains. Cette partie de l’ouvrage comprend également une étude des négociations entre alliés précédant la guerre d’Irak de 2003, où l’auteur soutient que c’est surtout la réticence des États-Unis à partager leurs renseignements sur l’état des programmes de développement d’adm par l’Irak qui a permis à la France et à l’Allemagne d’opposer une résistance si farouche au projet américain de changement de régime. Le livre se termine sur une réflexion sur l’otan comme instrument pouvant actualiser la thèse de la paix perpétuelle de Kant.
Cet ouvrage dégage une leçon importante, soit que les crises dans lesquelles les États-Unis se retrouvent périodiquement ne sont jamais des affaires bilatérales. Le multilatéralisme à la carte représente ainsi aux yeux de l’auteur une attitude qui mine à long terme la capacité des États-Unis à exercer un véritable leadership au niveau international. Il est cependant dommage que le concept central du livre, « l’infrastructure informationnelle commune », ne soit jamais clairement défini. À la lecture, on en vient à comprendre qu’il s’agit principalement de capacités de renseignement technique qui seraient utilisées de manière collective au sein de l’otan. De plus, Coletta ne considère pas l’idée qu’il pourrait être plus facile de faire tomber, de Washington, plusieurs barrières à la distribution des produits du renseignement américain que de trouver la volonté politique commune de développer un système qui serait de toute façon, comme il l’avoue candidement, grandement inférieur à ce que peuvent produire les capacités américaines.
Par son idée principale, ce livre s’adresse d’abord et avant tout à un public préoccupé par l’état toujours incertain des relations transatlantiques. Quiconque cherche, par ailleurs, à parfaire ses connaissances sur le rude marchandage entre alliés qui a marqué les crises de Berlin, des missiles de Cuba, du Kosovo ou de l’Irak y trouvera également son compte, les études de cas de Coletta étant très bien documentées même si elles reposent entièrement sur des sources secondaires. Il est finalement probable que la place importante qu’il donne à son modèle mathématique décrivant les négociations en temps de crise puisse rebuter plus d’un lecteur, mais ses propos demeurent assez clairs dans l’ensemble pour permettre aux néophytes de passer outre ces démonstrations formelles sans rien perdre de l’essence de ses idées.