Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Martin Breaugh et Francis Dupuis-Déri (dir.), 2009, La démocratie au-delà du libéralisme. Perspectives critiques, Outremont, Athéna, 198 p.[Record]

  • Sylvie Ramel

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  • Sylvie Ramel
    Département de science politique
    et Institut européen, Université de Genève

En introduction à cet ouvrage collectif est posée la question clé qui parcourt l’ensemble des contributions : la pensée libérale est-elle consensuelle ou hégémonique ? Le point de départ d’un tel questionnement est un double constat posé par Breaugh et Dupuis-Déri : le libéralisme serait un « a priori théorique et normatif » pour la plupart des philosophes et théoriciens politiques contemporains, d’où un manque de pluralisme des perspectives. Les deux auteurs soulignent ainsi comment des « communautariens » comme Michael Walzer ou Charles Taylor ont avant tout visé à « réformer le régime libéral », alors que d’autres ont eu tendance à « parfaire le modèle libéral », comme les deux penseurs « libéraux », figures de proue de la « démocratie délibérative », Joshua Cohen et Jürgen Habermas. Au fil de huit chapitres denses et fouillés, cet ouvrage propose de « penser la démocratie au-delà du libéralisme », en explorant les principes de base de la démocratie libérale que sont la liberté, l’égalité, le pouvoir, le contrat social, la nation, la souveraineté et l’éthique délibérative. Le propos se veut pluridisciplinaire, touchant à la fois le politique, la philosophie, l’anthropologie, l’économie et l’histoire. Ainsi, l’ouvrage rend compte d’un large éventail de débats interrogeant la notion même de démocratie libérale. Adoptant une perspective historique, André Vachet évoque par exemple l’évolution du lien dialectique entre individu et société. Il souligne l’apparent paradoxe entre l’affirmation universelle de la démocratie et le formalisme de sa pratique institutionnelle. Ce faisant, l’auteur pointe une tendance du pouvoir étatique à devenir autonome de ses bases sociales. Dans le même temps, il relève une réduction, dans le sens commun, du politique à l’État et de l’État au gouvernement. L’État serait ainsi marginalisé comme instance positive ou créative, réduit à une fonction minimale de garantie et de gestion de l’ordre général contre les débordements et le désordre. Vachet tente également de démontrer que l’État-providence n’est au final qu’un instrument de l’essor du capitalisme, la garantie de moyens suffisants devant permettre l’accès aux biens de consommation. Enfin, il souligne comment, avec le pluralisme politique et le développement de l’administration publique, se forme un corps de « personnel politique » dont la subsistance même dépend de l’autonomie et de la puissance de l’État, ajoutant ainsi à une déconnexion croissante entre État, démocratie et politique. À relever également, la contribution de Jules Townshend, qui tente de mettre en lumière les conséquences limitatives du capitalisme sur le potentiel démocratique du cadre libéral, sur la base des thèses marxistes de C.B. Macpherson. L’auteur note comment les théories de la démocratie tant « radicale » que « délibérative » font abstraction du capitalisme dans leurs modèles d’analyse : les « délibératifs » en appelant à l’inévitable triomphe, in fine, de la raison, les « radicaux » faisant abstraction du fait que l’épanouissement individuel et collectif peut être directement lié à l’accès aux ressources capitalistes. À travers la pensée de Macpherson, il propose une voie qui considérerait que toute théorie de la démocratie comporte des limites intrinsèques face auxquelles le « droit à l’autonomie et à l’épanouissement individuel » devrait être une visée démocratique. Un argument que l’on retrouve dans la discussion de Dupuis-Déri sur les limites de la démocratie délibérative face à la théorie anarchiste, ainsi que dans une traduction inédite d’un texte de Carole Pateman, initialement paru en 1989. Celle-ci retrace la généalogie d’une conception de la démocratie libérale comme seul véritable modèle politique de démocratie jusqu’à la théorie « modérée et sensée » de John Locke, examinant comment ce genre de théories s’appuie sur le politique comme catégorie réifiée, ainsi que …