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L’ouvrage dirigé par Louis W. Pauly et William D. Coleman, titulaires respectivement de la Chaire canadienne de recherche sur la globalisation et la gouvernance (Université de Toronto) et de la Chaire canadienne de recherche sur la gouvernance globale et la politique publique (Université McMaster à Hamilton en Ontario), traite des relations qu’entretiennent le processus de globalisation et l’autonomie institutionnalisée. Plus précisément, les auteurs cherchent à rendre compte des relations entre le processus de la globalisation contemporaine et le processus d’édification, de reconduction, voire de sécurisation, de l’autonomie de différents acteurs et institutions, nationaux et internationaux. Ce livre, qui s’adresse principalement à un lectorat universitaire, offre à ce dernier un panorama conceptuel et théorique interdisciplinaire original afin d’expliciter ces relations et il s’inscrit dans une collection thématique plus large d’une série d’oeuvres collectives sous le thème de la globalisation et de l’autonomie. L’originalité et la pertinence théorique de l’ouvrage recensé trouvent principalement leur source au sein du cadre de travail spécifique auquel se sont soumis les différents auteurs, qui y participent dans le but explicite d’élaborer une nouvelle théorisation pour une problématique qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Ce cadre vise entre autres à offrir aux différents collaborateurs l’occasion de penser la globalisation au-delà de leur propre champ, conférant ainsi une dimension interdisciplinaire à l’ouvrage.

Le nouveau cadre théorique que tentent de développer les auteurs n’est pas l’oeuvre d’une édification chaotique. Il est d’abord soumis à une certaine rigidité axiomatique, à la fois conceptuelle et sociohistorique, qui confère au livre et à la nouvelle théorisation leur cohérence. Le chapitre introductif de Coleman et Pauly ainsi que de Diana Brydon, Globalization, Autonomy, and Institutional Change, constitue le chapitre phare pour l’ensemble de l’ouvrage. Dans ce chapitre, les auteurs exposent la définition des principaux concepts transversaux des travaux dirigés, dont les concepts de globalisation et d’autonomie, évacuant ainsi en partie la charge théorique et idéologique que les deux concepts sous-tendent.

Deux processus distincts entrent en relation avec l’autonomie de différents acteurs : la globalisation et l’internationalisation. La globalisation renvoie principalement à des processus à la fois économiques, politiques et idéologiques supranationaux, tandis que l’internationalisation implique une prédominance des relations entre les États. Cette distinction est primordiale, car elle favorise une compréhension spécifique du cadre relationnel dans lequel les institutions, soumises à chacune de ces dynamiques, vont influer sur l’autonomie des acteurs (de l’État jusqu’aux instances de l’onu en passant par les groupes écologistes et les producteurs maraîchers). C’est ce qui déterminera également qui sont ces acteurs au sein de l’analyse.

Le concept d’autonomie est pour sa part arrimé directement à la modernité, dans la mesure où le concept est utilisé à la fois pour les individus et pour les collectivités, dont l’État et sa souveraineté. De plus, le concept d’autonomie dans l’ouvrage implique en permanence l’idée de relation, relation qui produit, reproduit, confère ou limite l’autonomie. C’est donc dans ce cadre défini sans trop de rigidité au plan théorique que les différents collaborateurs de l’ouvrage se donnent comme mission de comprendre les racines historiques de la relation entre autonomie et globalisation, les effets de cette relation sur les lieux de pouvoir ainsi que sur l’articulation même de l’autonomie dans la globalisation contemporaine. La tâche que Pauly et Coleman se sont imposée sur le plan théorique avec cet ouvrage est très ambitieuse, voire colossale. Le résultat n’est pas complet, mais s’inscrit dans une démarche plus large (voir entre autres le site portant sur les travaux des auteurs : www.globalautonomy.ca).

La subdivision subséquente de l’ouvrage offre deux objets d’étude, et ce, tout en préservant la problématique de départ et le but avoué d’une nouvelle théorisation de la globalisation. Dans un premier temps, une série importante des textes analyse spécifiquement certaines institutions internationales (ex. : onu) et supranationales (ex. : omc) qui « mutent » sous les impératifs d’un nouveau réseau globalisé. La majorité des contributions faites dans cette partie de l’ouvrage problématisent l’autonomie des institutions, des États et des acteurs économiques face à la globalisation de l’économie. Plus spécifiquement, les textes traitent de l’institutionnalisation et du développement contraignant, principalement juridique, du processus de globalisation économique, mais également politique. La deuxième partie se concentre sur des analyses régionalisées des dynamiques de globalisation. Cette partie du livre fait ressortir ce qui semblait latent dans les analyses de la première partie, soit la nécessité de comprendre les dynamiques relationnelles au sein d’un système international multipolaire, voire de relations multilatérales qui façonnent également l’institutionnalisation de la globalisation.

Deux conclusions se dessinent parmi les différentes analyses empiriques contenues dans le livre quant à la question de la relation entre l’autonomie et la globalisation économique et politique. Sur le plan sociologique, de nouvelles formes d’institutionnalisation des collectivités nécessitent une nouvelle théorisation. Du point de vue des relations internationales, il faut rejeter la conception dominante qui considère ces relations comme un jeu à somme nulle, pour plutôt édifier une théorisation qui expose la relation entre les lieux d’autonomie que la globalisation fragmente et les nouveaux lieux d’autonomie que la globalisation façonne.

Les différents auteurs de l’ouvrage recensé ouvrent la voie à une compréhension de la globalisation qui comporte de multiples ramifications. Mais la dimension de l’interdisciplinarité fait place, à l’intérieur des différentes contributions, à un certain éclectisme théorique (de Polanyi à Weber en passant par le constructivisme critique de l’école de Copenhague et le néolibéralisme de Keohane) plutôt qu’à une édification d’une nouvelle théorisation de la globalisation. Ainsi, l’ouvrage gagne à être lu dans la perspective d’un tableau montrant différentes avenues théoriques autour d’une même problématique.