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L’articulation actuelle et future de la coopération de sécurité dans l’espace de l’Atlantique Nord est l’un des thèmes les plus débattus dans le domaine de l’analyse des relations internationales. Les contributions rassemblées par Peter Schmidt sont censées offrir une perspective inhabituelle en mettant l’accent sur la coopération de sécurité nord-atlantique qui a lieu en dehors du cadre établi de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (otan). En effet, il serait réducteur d’orienter l’analyse vers la seule question de savoir si l’alliance est et sera incontournable ou si au contraire la tendance ne va pas vers une relation avant tout bilatérale entre les États-Unis et l’Union européenne (ue), signale Schmidt dans son avant-propos.

Récapitulant les conceptions de la relation nord-atlantique des gouvernements à Washington, John Van Oudenaren rappelle qu’ils ont pratiquement abandonné tout effort d’établir un cadre général pour leur rapport à l’Europe à partir de 1974, date de « l’année de l’Europe » proclamée par Henry Kissinger, qui s’est soldée par un échec à refonder ces rapports. En faisant un récapitulatif similaire du côté européen, Schmidt fait remarquer que, l’ue ayant élaboré depuis des moyens autonomes d’intervention dans la gestion de la sécurité internationale, la situation actuelle a des caractéristiques « hybrides » : une intégration partielle des initiatives européennes dans le cadre de l’otan, un dépassement de la part de l’ue de l’attention prioritaire longtemps donnée aux États-Unis et une tendance à ce que la relation nord-atlantique devienne plutôt bilatérale. Volker Heise observe quant à lui un triple décalage nord-atlantique affectant la coopération de sécurité : en matière de l’importance donnée à l’outil militaire, en matière de capacités et en matière d’encadrement institutionnel.

C’est dans ce contexte que se déroulent des processus qui sortent du cadre de l’otan ou au moins mettent en question sa domination dans le domaine de la coopération de sécurité nord-atlantique. Sebastian Harnisch emploie la notion de « minilatéralisme » pour étudier les démarches diplomatiques des trois plus grands États membres de l’ue dans la crise autour du programme nucléaire iranien et son glissement d’une posture de médiation vers la tentative de trouver un soutien pour une posture plus ferme face à l’Iran au Conseil de sécurité des Nations Unies. La portée de ce genre d’initiative en dehors des cadres multilatéraux établis, argumente-t-il, dépend aussi de ce que les acteurs les plus importants voient un intérêt dans une approche a priori plus flexible, ce qui a été le cas entre autres des États-Unis. Ce genre de défi touche aussi l’engagement partagé de l’ue et des États-Unis dans le « quartet » formé avec la Russie et les Nations Unies concernant le conflit israélo-arabe ou plus particulièrement israélo-palestinien, comme le relève Markus Kaim. Mais Robert E. Hunter fait remarquer aussi que le quartet n’a jamais été mis à l’épreuve sans être condamné d’avance par d’autres événements ou par un manque d’engagement de la part notamment des États-Unis, alors qu’il y a là une esquisse de ce que pourrait être un élément d’un partenariat stratégique nord-atlantique bilatéral.

Outre ces études de « minilatéralisme » européen ou nord-atlantique, plusieurs contributions s’attachent à la coopération entre l’otan et l’ue et sa Politique européenne de sécurité et de défense (pesd). Charles Pentland et Frank Kupferschmidt prennent le cas de l’ancienne Yougoslavie comme exemple de ces rapports. Leurs conclusions se recoupent : s’il y a des éléments qui pointent vers le partenariat stratégique, celui-ci est loin encore d’être atteint, comme l’écrit Kupferschmidt. Pentland souligne qu’actuellement il n’existe aucune délimitation des responsabilités préétablie entre l’otan et la pesd. Dans le cas de la crise du Darfour, souligne une autre contribution, les deux structures sont en fait intervenues séparément, même si, finalement, cette situation n’a pas pesé trop lourdement sur les relations nord-atlantiques. Heise et Schmidt soulèvent d’ailleurs l’interrogation à propos des effets que peut avoir la volonté de l’otan de pouvoir compter sur des éléments non militaires en cas d’intervention sur ces rapports, et Eberhard Lübkemeier évoque la possibilité que les membres de l’ue qui font partie de l’alliance y présentent une position commune.

L’ouvrage comprend aussi une partie où il est question des positions de certains États face à la coopération de sécurité nord-atlantique, où le tournant en tout cas apparent qu’a pris la position française avec le retour dans la structure de commandement intégré de l’otan n’a cependant pas pu être pris en compte. Y figurent également des contributions qui traitent des approches divergentes dans l’espace de l’Atlantique Nord en matière d’établissement de la paix, de la cohésion nationale et de structures étatiques en cas d’intervention, de même que des paramètres pour mener à bien la stabilisation d’une situation de conflit.

De ce fait, il s’agit plus d’un regroupement de papiers de recherche traitant d’aspects de la coopération de sécurité nord-atlantique que d’un véritable ouvrage collectif articulé autour du thème principal, en dehors de la qualité individuelle des contributions. Van Oudenaren et Schmidt, en guise de conclusion, proposent d’ailleurs avant tout un résumé plutôt qu’un retour sur la question initiale. Dans l’idée d’étudier plus en profondeur les éléments de la coopération de sécurité nord-atlantique qui vont au-delà de l’otan, il apparaît aussi discutable de s’attacher autant aux relations de l’alliance avec la pesd. Si l’idée mise en avant par Schmidt est intéressante, elle mérite donc sans doute une exploitation plus rigoureuse.