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Les ouvrages qui traitent de la monnaie en Europe ne sont pas rares, en ces temps où fleurit la littérature concernant les enjeux actuels et futurs de l’économie européenne. Cependant, trouver un bon livre, c’est-à-dire savamment construit et non décourageant, qui reprenne l’histoire de la monnaie depuis le 18e siècle pour y apporter d’intéressantes lumières, est une tâche ardue. Nous avons ici un exemplaire de ce type, un de ces ouvrages qui tentent de s’inscrire dans un courant de pensée différent afin de ne pas réécrire toujours les mêmes histoires.
Dans le cas présent, il faut noter l’importance de la technique de rédaction, ajustée à la cliométrie. L’ouvrage est donc très ordonné, laissant parfois la forme prendre le pas sur le fond, tant les contraintes imposées à ou par l’auteur semblent respectées. Il est probable que, sur un modèle oulipien, la structure autorise l’auteur à une plus grande liberté dans les propos, toujours mécaniquement justifiés.
L’organisation méthodologique de l’ouvrage est ainsi très classique, mais parfaitement exécutée, donc efficace : on pourrait ne lire que la table des matières (12 pages sans la page de garde) que l’on aurait déjà appris certaines choses assurément, tant les problématiques sont bien hiérarchisées, répertoriées dans les têtes de chapitre et développées par l’architecture pyramidale du livre.
Mais le livre n’est pas seulement organisé : après avoir repris les fondamentaux d’un système monétarisé (monnaie primaire/monnaie secondaire, fluctuation des cours...), après être revenu sur l’étude des sources de la monétarisation de notre système, après avoir évoqué les aspects d’une économie non monétarisée au 18e siècle, l’auteur passe en revue les étapes de la monétarisation ainsi que les problématiques liées aux instabilités politiques et économiques, jusqu’aux changements de perspective liés à la construction du système monétaire européen.
Un autre point qui distingue ce livre repose sur la notion d’homo monetarius. Cet individu est décrit comme celui qui, originaire d’Amérique, a toujours vécu dans un système monétaire, à l’inverse des Européens qui découvrent ce modèle de fonctionnement au gré des guerres et des perturbations économiques. Ce nouveau type d’homme a donc un pouvoir d’action et de modification du cours des événements : il prend des décisions financières et interagit avec la société. Il peut ainsi diversifier ses activités, accroître ou diminuer son capital : c’est la naissance des débouchés commerciaux et de la fortune personnelle qui transforme un individu lambda en homo monetarius. Ce sont bien entendu les pays les plus ouverts sur le monde extérieur qui font naître les premiers homini monetarii, à la différence de pays comme la France, où seule la tranche très supérieure de la population – celle qui justement est en contact avec les élites étrangères – peut avoir l’idée de l’enrichissement et de la gestion de l’argent.
Si l’ouvrage reprend pas à pas l’histoire de la monnaie, avec l’ensemble des éléments qui constituent la Grande Histoire et grâce à sa structure et à sa méthode, l’auteur se livre pourtant à quelques réflexions sur l’avenir de ce qui est désormais l’unique monnaie européenne : l’euro. Il soutient que cette monnaie serait porteuse d’un projet social, en s’adaptant à la société et aux souhaits qui naissent dans nos communautés nationales. L’euro comme élément de structuration du système économique et monétaire mondial ? Ce livre nous fournit des pistes de réflexion.
Ce livre est coupé en deux grandes parties, à la page 186, annonçant d’une part « l’histoire monétaire de l’Europe », en trois sections historiques (1800-1873, 1873-1945, 1945-2007) et, d’autre part, le résumé de l’histoire monétaire de l’Europe, avec trois grandes sections également, identiques aux précédentes. Puisqu’il faut parler du résumé (49 pages), il conviendra de noter que l’on ne comprend pas de prime abord l’intérêt de le placer après le texte originel. D’aucuns – qui le trouveraient – pourraient s’en contenter, tant les règles de structure sont là encore respectées, aussi bien dans la conservation des idées essentielles que dans la coupe effectuée au millimètre près dans la quantité de mots requise. L’exercice est donc parfaitement réussi, trop peut-être : certains ne liront que la table des matières, tandis que d’autres se contenteront du résumé et auront l’intime sentiment d’avoir compris l’essentiel de l’ouvrage. Mais bienheureux sont ceux qui s’aventureront plus profondément dans l’ouvrage : ils seront récompensés ! La quantité de détails fournie assouvira en effet toutes les curiosités, même les plus insatiables.
Mais à qui s’adresse ce livre, c’est précisément là la question : est-il vraiment destiné au tout-venant ? L’auteur nous le prouve, le travail effectué sur la statistique, l’économie et l’histoire parfaitement mêlées nécessite une certaine maîtrise des matières concernées. La bibliographie très détaillée nous le confirme. Elle permet de constater que l’étude de cette science est régie par quelques spécialistes ou que peu nombreux sont ceux qui trouvent grâce aux yeux de notre auteur. Si la bibliographie est parfaite, là encore concernant la forme, on ne pourra pas reprocher à l’auteur que l’index ne fournisse pas l’information demandée. Cependant, on observe un décalage avec le numéro des pages annoncé, ce qui ne facilite pas la lecture du livre et manque cruellement de rigueur pour un ouvrage qui en revendique tant !