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Consacré à la jurisprudence de la cij, l’ouvrage de Georges Labrecque constitue un livre de référence pour tout chercheur qui s’intéresse aux différends relatifs au territoire. Son objet d’étude ressortit au droit international, mais l’analyse déborde le domaine juridique pour enrichir la science politique et les relations internationales. Cette pluridisciplinarité transparaît dans la structure du livre. Loin d’opter pour une simple recension chronologique, l’auteur se penche sur des affaires choisies, regroupées par thèmes (souveraineté territoriale, territorialisation et délimitation maritimes, usage de la force contre l’intégrité territoriale) et articulées autour d’une introduction didactique et d’une conclusion synthétique. Une telle organisation a l’avantage de faire découvrir le fonctionnement de la cij par le recours à des cas concrets, tout en mettant en évidence les avancées et les enjeux du recours judiciaire comme mode de règlement pacifique des conflits.
En introduction, l’auteur a pris soin de présenter les mécanismes et caractéristiques de la Cour (composition, hiérarchie des sources, compétence, dispositions fondamentales, etc.) pour développer les aspects techniques essentiels de la procédure au fil des chapitres. On retiendra notamment que la cij fonde sa décision sur sa propre jurisprudence et sur d’autres sources (Convention des traités de Vienne, Convention des cours d’eau, Convention pour la prévention et la répression du génocide), sur le droit coutumier et sur les décisions d’autres instances judiciaires telles que les tribunaux pénaux internationaux. En outre, la priorité de la Cour, fidèle à la Charte des Nations Unies, est le maintien de la paix et de la sécurité internationales, que les États doivent s’efforcer d’assurer en limitant les tensions et en favorisant la négociation. Enfin, la décision de la Cour porte sur tous les points du dispositif d’un arrêt, qui sont chacun soumis au vote des juges et qui peuvent être adoptés avec des majorités fort variées. Des opinions dissidentes et autres déclarations peuvent également être jointes à l’arrêt, ce qui multiplie les pistes d’interprétation. Les réponses de la cij sont donc rarement univoques et la lecture d’un arrêt se fait point par point.
Soumises à une procédure établie, les affaires de la cij n’en appartiennent pas moins à un contexte politique, économique ou géopolitique, dont la Cour tient compte dans ses décisions. Dans les années 1970, qui ont vu la montée en puissance des questions environnementales, la Cour a demandé aux parties d’assurer une répartition équitable des ressources dans son arrêt sur l’affaire Royaume-Uni et rfa c. Islande (1972-1974). Après 1989, elle a examiné la responsabilité internationale des États à l’aune des bouleversements à l’Est impliquant l’application des règles de la succession d’États. Cela a été le cas dans l’affaire Hongrie/Slovaquie (1993- ) portant sur le traité relatif au système d’écluses facilitant l’exploitation du potentiel hydroélectrique du Danube, comme dans les affaires relatives aux guerres en ex-Yougoslavie.
Cette sensibilité de la cij aux enjeux contemporains confère à ses avis et arrêts une portée significative dans la sphère juridique ainsi que dans le débat public sur la scène internationale. Ainsi en est-il de la première affaire portée devant la Cour, Royaume-Uni c. Albanie (1947-1949), qui a non seulement marqué l’évolution du droit de la mer en précisant les conditions de passage dans les détroits, mais a aussi explicité le droit d’intervention, ouvrant une discussion qui sera tranchée, des années plus tard, dans l’affaire États-Unis c. Nicaragua. De même, dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (1993-2007) portant sur la question de la commission de l’acte de génocide par la Serbie en Bosnie-Herzégovine, la Cour s’est prononcée pour la première fois sur le crime de génocide, mais avec des effets mitigés. Sa décision a satisfait ceux qui souhaitaient que la responsabilité de la Serbie-et-Monténégro soit prononcée, mais elle a déçu ceux qui attendaient que cette responsabilité soit reconnue comme étant entière, mettant ainsi fin à « la fiction juridique ».
Les évolutions de la scène internationale ont provoqué et provoqueront de nouveaux différends territoriaux, dont la cij sera sans doute saisie. Les démembrements d’États et les projets d’union des pays européens et méditerranéens pourraient en effet déboucher sur de nouvelles questions de délimitation, à l’exemple des deux affaires, en instance à l’heure de la publication et présentées en conclusion, Roumanie c. Ukraine et Croatie c. Serbie-et-Monténégro. Depuis, deux anciennes républiques yougoslaves ont choisi de soumettre à l’arbitrage international leur différend au sujet de la zone économique exclusive de la Croatie, et la Serbie a saisi la Cour d’une requête sur la conformité de la déclaration d’indépendance du Kosovo au droit international. La tendance à la « judiciarisation des différends », mise en exergue par Georges Labrecque, semble donc se confirmer.
D’un point de vue pratique, on pourra regretter que l’ouvrage ne comporte pas plus de cartes, éléments indispensables pour visualiser la dynamique des conflits territoriaux étudiés, que les étapes procédurales soient présentées en fin d’ouvrage et que la reliure soit de si piètre qualité. Ces bémols exceptés, on ne saurait trop conseiller la lecture d’un outil de recherche précieux, qui souligne l’importance et les limites, les fondements et l’actualité du droit international public rendu par l’organe judiciaire principal des Nations Unies.