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Dans beaucoup de manuels de relations internationales, la paix fait l’objet de nombreuses définitions. Pour certains auteurs, il s’agit de la période entre deux conflits armés, c’est-à-dire des guerres ; pour d’autres, en plus de l’absence de la guerre, il est surtout question d’assurer le maintien d’une société juste et ordonnée. C’est ainsi qu’on parle de paix négative – absence de la guerre – et de paix positive – la présence de la justice. Ce que la paix n’est pas, par contre, c’est une situation sans conflit, cette condition, voire cet aboutissement normal des interactions entre sociétés et États. Le défi pour ceux qui prônent la paix est de trouver à tout conflit une résolution non violente. La paix, pour eux, est ainsi un processus plutôt qu’un aboutissement. En d’autres termes, la paix a plusieurs manifestations qui sont comprises soit comme une idée, soit comme un mouvement. Ce que cet ouvrage examine, c’est justement l’histoire des différentes perceptions de la paix et des mouvements de paix qui sont apparus à travers l’histoire, surtout dans la période moderne.
L’ouvrage est divisé en trois parties, la première étant consacrée à la définition de la paix, la seconde aux mouvements de paix et la troisième aux différents thèmes rattachés à la paix. C’est dans le premier chapitre, seul dans la première partie, que l’auteur étale tous les dilemmes autour de la définition de la paix. Il souligne son importance dans l’étude des relations internationales, fait la différence entre paix et pacifisme et analyse le rôle de la guerre juste. Si le chapitre est un peu court, les deux parties qui suivent comblent toute carence et signalent fort bien la complexité du concept ainsi que la richesse des mouvements qui sont apparus au fur et à mesure que la guerre est devenue plus étendue et, surtout, plus meurtrière.
La deuxième partie constitue un aperçu fort bien fait de l’histoire des mouvements de paix pendant la période moderne. Si le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) peut être considéré comme le père intellectuel de ces mouvements, ceux-ci commenceront à se développer sérieusement dès la deuxième moitié du 19e siècle tant en Europe qu’en Amérique (il y a aussi une référence au Japon). David Cortright examine en détail le cheminement de ces mouvements et les difficultés qu’ils connaissent, surtout depuis la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à l’apparition du terrorisme international au 21e siècle. En lisant ces chapitres, divisés en tranches historiques, on se rend vite compte du fait que les gouvernements des sociétés modernes étaient souvent tiraillés entre le recours à la guerre pour assurer la sécurité étatique et internationale et l’adoption de solutions pacifiques. Celles-ci se nourrissaient des dangers et des périls des armes et de leur capacité de destruction et étaient prônées par divers groupes sociaux dont l’objectif principal était d’infléchir la politique des gouvernements nationaux en faveur des processus de paix et du désarmement. Il est aussi intéressant de noter jusqu’à quel point ces mouvements étaient transnationaux. Somme toute, chaque époque avait ses propres défis et, par conséquent, ses réactions, voire ses solutions pacifiques, trop souvent ignorées ou laissées pour compte.
La troisième partie de l’ouvrage traite des thèmes rattachés à la paix, soit comme idée, soit comme mouvement. Le chapitre sur la religion est fort intriguant considérant, comme le remarque Cortright, que la religion a servi (et d’ailleurs sert toujours) de catalyseur au conflit autant que d’inspiration à la paix. L’auteur fait un tour d’horizon des grandes religions, examine le pacifisme anarchique de Léon Tolstoï, analyse le christianisme social, l’évolution de la paix au sein de la foi catholique et l’importance de la pensée du théologien moderne Reinhold Niehbur. Le pacifisme et la non-violence font l’objet d’un chapitre à part où sont examinées les idées du mahatma Gandhi, de Martin Luther King et de quelques autres auteurs et hommes politiques qui se sont distingués dans cette approche. Le chapitre sur la démocratie est plutôt bref, quelque peu décousu et pour cette raison un peu décevant. L’auteur s’intéresse en outre à la nature humaine et au penchant de l’homme pour la violence, à la triade de Kant qui comporte la démocratie, l’interdépendance économique et les organisations internationales, de même qu’au féminisme. Les idéologies de gauche et leur lien avec la paix sont examinés dans le chapitre intitulé « Justice sociale » où figurent les organisations internationales ainsi que les organisations non gouvernementales qui peuvent assurer la justice sociale. Un chapitre sur la responsabilité de protéger est suivi d’un autre qui examine les arguments autour de la paix démocratique, du pacificisme et de toute manifestation contre le service militaire. Cet aperçu de thèmes liés à la paix se termine par deux chapitres courts qui prônent le désarmement, surtout dans sa version la plus moderne, proposée par la commission Canberra de 1996, et le pacifisme réaliste, mieux défini par les concepts de construction de la paix (peacebuilding) et de rétablissement de la paix (peacemaking). Selon l’auteur, une « science de construction de la paix » est en train de se développer et fait ainsi des études de la paix un domaine de recherche universitaire légitime et nécessaire.
Ce qui ressort de cet ouvrage, c’est la constatation du fait que faire la paix n’est ni automatique, ni simple et que les efforts pour l’assurer ne sont pas toujours couronnés de succès, bien au contraire. Cet aperçu de l’histoire du concept et des mouvements de paix étale fort bien les dilemmes, tant conceptuels que pratiques, que pose la paix dans notre monde et, pour cette raison, mérite d’être une lecture obligatoire dans les cours d’études internationales.