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En politique asiatique, la question du leadership régional n’est pas nouvelle, mais cet ouvrage a le mérite de présenter pour la première fois dans un seul volume les principaux thèmes et idées en émergence sur la conduite du régionalisme asiatique. À l’instar d’un important segment de la littérature, l’ouvrage reconnaît trois caractéristiques au régionalisme asiatique : 1) il surgit des rapports transnationaux entre l’Asie du Sud-Est et l’Asie du Nord-Est, lesquels ont mené à la création de l’asean+3 et du Sommet de l’Asie ; 2) l’asean est le noyau identitaire d’une communauté régionale en construction, mais l’association devrait en définitive se fondre dans une entité plus grande dominée par le Japon ou la Chine, mais à l’intérieur de laquelle l’expression réelle des rapports de force demeure indéterminée ; et 3) les États-Unis sont absents de ce processus de régionalisation, comme en fait foi l’unique chapitre portant sur ce pays, et ce, à titre de puissance « intermédiaire ».
Le Japon et la Chine, selon la problématique de l’ouvrage, font preuve d’un « leadership discret » en Asie. Cependant, dans une « société mondiale multipolaire » dominée par les interactions entre régions et puissances régionales, une réflexion est nécessaire sur ce que ces deux pays peuvent entreprendre pour imposer un leadership « plus fort » dans une région dont le degré de « cohérence » est de plus en plus élevé, car la nature de ce leadership et ses effets sur les rapports de force entre le Japon, la Chine et l’asean auront des conséquences indéniables sur le fonctionnement du système international.
L’interaction complexe des politiques étrangères chinoise et japonaise sur la question du leadership façonne l’identité et la cohérence de la région. Cet ouvrage vise donc à dégager de l’évolution structurelle des rapports politiques, économiques et socioculturels entre la Chine et le Japon les différentes perspectives de coopération institutionnelle et de rivalité stratégique les plus en mesure d’orienter le développement du régionalisme asiatique. Le consensus qui se dégage porte sur cette évolution structurelle, laquelle – dictée en grande partie par les forces internes des deux grands – suscitera des rapports croissants qui peuvent aussi bien mener à la coopération qu’à la rivalité, d’où l’incertitude quant à la forme du leadership en Asie.
L’introduction de Christopher Dent présente les formes possibles du leadership japonais ou chinois en ratissant large le champ des intérêts variés et multiformes des deux pays en Asie. Malgré cela, de ce chapitre et de l’ouvrage en général émerge le constat bien précis que le leadership sera déterminé par leur identité respective et par le processus au sein duquel elles s’exprimeront et évolueront à « l’interface » des politiques intérieures et des relations internationales régionales.
Il est inévitable que la rivalité entre le Japon et la Chine domine l’analyse au détriment de la coopération, car celle-ci apparaît, malgré des progrès notables, dans une impasse stratégique. Pour la Chine, sa stratégie régionale fait partie intégrante de sa politique étrangère globale, alors que, pour le Japon, son avenir à titre de grande puissance repose sur son intégration à l’Asie. Mais la « prudence excessive » de chacun pour ne pas effaroucher ses voisins a l’avantage de ne pas exacerber les passions nationalistes ou de créer des blocages identitaires. En contrepartie, l’effort d’institutionnalisation de la coopération à l’échelle de l’asean+3 ou du Sommet de l’Asie est peu efficace, et même les efforts de l’un seront invalidés par les craintes de l’autre de voir sa position stratégique ébranlée.
Selon Shintaro Hamanaka, le Japon propose ainsi un pan de régionalisme (Sommet de l’Asie) ouvert notamment à l’Inde et à l’Australie afin de diluer l’influence de la Chine alors que celle-ci favorise la consolidation de l’asean+3. Par contre, la Chine appelle à la participation des États-Unis et des institutions financières internationales au régionalisme financier pour éviter le renforcement de la position japonaise. Enfin, si chacun veut son accord de libre-échange avec l’asean, Tokyo et Beijing ne veulent pas d’une zone de libre-échange panasiatique qui pourrait offrir la possibilité à l’un de s’ingérer dans les affaires intérieures de l’autre ou d’imposer ses standards nationaux et des règles d’origine favorisant ses entreprises nationales.
La présence institutionnelle du Japon en Asie remontant aux années cinquante, sa politique pour la région intrigue peu. Il n’est alors guère surprenant que plusieurs contributeurs (Steve Tsang, Rex Li, Shaun Breslin et Joern Dosch) s’attardent sur la stratégie chinoise d’« ascension pacifique » qui respecte les « directives » de Deng Xiaoping selon lesquelles la Chine ne doit pas « prétendre au leadership » afin de ne pas attirer l’attention sur ses capacités réelles. Cependant la virtualité de son leadership altère déjà les relations extérieures de ses voisins réalisant une Pax Sinica, comme en économie, où la déviation du commerce des pays asiatiques vers la Chine en fait la force motrice de la croissance régionale. Mais cette politique d’apaisement de sa propre puissance indique également qu’elle ne se préoccupe pas nécessairement des résultats de la coopération, comme en font foi les pourparlers avec la Corée du Nord où les percées diplomatiques récentes ont été l’oeuvre d’actions diplomatiques directes de Washington sur Pyongyang afin de court-circuiter Beijing qui a réduit son rôle à celui d’« hôte des conférences ». La stratégie de l’ascension pacifique va-t-elle mener à un « développement harmonieux », comme le souhaite officiellement Beijing, ou plutôt à un vacuum politique où la Chine s’intéresse peu à la coopération et à la construction régionales à moins d’y voir un moyen pour répliquer aux prétentions du Japon ?
Ce livre souffre de deux faiblesses majeures : des références théoriques pour la forme aux grandes théories en relations internationales et une méthodologie qui laisse peu de place à la recherche empirique. La ligne directrice de cet ouvrage est ancrée dans l’actualité et elle néglige les efforts de théorisation, notamment sur le leadership et le régionalisme, deux concepts instrumentalisés pour souligner leurs récents développements en Asie. La méthodologie fondée sur la revue de la littérature et l’analyse du discours nous offre l’occasion d’approfondir les idées qui circulent au Japon et en Chine, mais nous donne peu d’éclairages sur les bases matérielles du leadership, ce qui fait étrangement apparaître ces deux pays sur un pied d’égalité, alors qu’en réalité la puissance de l’archipel repose sur plus de 50 ans de liens politiques, économiques et socioculturels étroits avec l’Asie.