Les chercheurs qui s’intéressent aux Relations internationales (ri), sous-champ de la science politique, sont communément qualifiés d’internationalistes. Au fil des décennies, cette communauté scientifique a élaboré un ensemble de théories et de concepts originaux, enrichi de nombreux débats ontologiques, épistémologiques et méthodologiques. Elle dispose de moyens de communication étendus (conférences, journaux, forums) et jouit d’une reconnaissance institutionnelle et disciplinaire. L’épithète « internationaliste » n’est cependant pas l’apanage des seuls politologues. De nombreuses disciplines abritent des chercheurs qui ont l’international pour objet d’étude, qu’ils soient juristes, géographes, économistes, anthropologues ou sociologues. Au-delà du cadre restreint des ri, il existe donc une communauté élargie d’internationalistes oeuvrant, de façon non exclusive, au sein des Études internationales (ei), davantage coalition de sujets d’intérêt convergents qu’expression d’une ambition disciplinaire. L’accélération et l’intensification des échanges internationaux ont engendré de nombreuses innovations institutionnelles afin de mieux saisir et encadrer cette complexité nouvelle qui voit la multiplication des niveaux d’analyse, des acteurs et des formes d’interactions. Le milieu universitaire a d’abord tenté d’y répondre en favorisant la coopération interdépartementale par la formation de groupes de recherche multidisciplinaires plus à même de porter un regard pluriel sur l’international et susceptible de dégager une image holistique de ces phénomènes complexes (Long 2002 : 5). Devant la popularité des Études internationales et en réponse à la demande d’expertise provenant des sociétés et des pouvoirs publics, les instituts de recherche et les programmes d’enseignement pluridisciplinaires en ei ont proliféré (Ishiyama et Breuning 2004 : 134-156 ; Hey 2004 : 395-399 ; Kelleher 2006). Ces instituts de recherche favorisent la collaboration entre chercheurs internationalistes qui, pour la plupart, tout en pratiquant une recherche essentiellement disciplinaire, cherchent à développer des liens avec leurs collègues et à élaborer des projets communs. Si les conseils pour mener à bien une recherche collective pluridisciplinaire abondent, le champ des ei offre bien peu d’indications sur la façon de parvenir à l’élaboration d’un projet de recherche individuel interdisciplinaire, tel qu’exigé dans le cadre d’un mémoire ou d’une thèse. Comment formuler la ou les questions de recherche d’un projet faisant appel à plusieurs disciplines ? Quelles disciplines utiliser et comment les agencer ? Quelles approches théoriques et méthodologiques privilégier ? Et, surtout, l’addition de regards disciplinaires pluriels (la pluridisciplinarité) suffit-elle à l’élaboration de projets de recherche individuels novateurs dans le contexte d’études des deuxième et troisième cycles ? Afin de répondre à ces questions, notre raisonnement procède en quatre étapes. Nous tentons d’abord de dissiper la confusion entre les ei et les ri en illustrant comment deux revues d’ei à vocation pluridisciplinaire (International Studies Quarterly et Études internationales) ont finalement été dominées par les internationalistes issus de la science politique. Notre propos soutient ensuite la pratique d’une recherche individuelle qui requiert l’incorporation de deux disciplines au sein d’un même projet de recherche. Nous abordons les contours du champ des ei en distinguant les préfixes de la disciplinarité (pluri-, trans-, inter-) et en exposant pourquoi l’interdisciplinarité constitue une approche viable et privilégiée dans le cadre de recherches individuelles en ei. Nous avançons que la pluridisciplinarité ne permet pas, dans le cadre d’une recherche individuelle, une intégration des disciplines susceptible de mener à une problématique commune et novatrice. Puis, dans une troisième partie du texte, nous nous penchons sur l’opérationnalisation de la recherche interdisciplinaire en ei, où nous nous prononçons sur les implications de l’élaboration d’un questionnement interdisciplinaire et sur la nature d’une démarche méthodologique interdisciplinaire. Enfin, la dernière partie soulève la question de l’intégration des chercheurs interdisciplinaires et autonomes en ei au sein du système universitaire. Ainsi …
Appendices
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