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La deuxième édition de ce livre sera d’une grande utilité pour les étudiants en science politique et en relations internationales. Le chercheur trouvera également avantage à le consulter. Graz nous présente, en effet, une excellente synthèse des débats et des enjeux entourant la gouvernance de la mondialisation, sans jamais occulter leur caractère à la fois complexe et incertain. Toute la richesse de cet ouvrage réside justement dans la préservation des ambiguïtés et des imprévus propres à la gestion du pouvoir à l’échelle planétaire. Le public qui cherche des réponses toutes faites sera certainement déçu. En revanche, ce livre sera fort utile au lecteur qui cherche des informations précises et ordonnées sans renoncer à un certain travail de réflexion.
La structure choisie par Graz sert particulièrement son propos. Il resitue tout d’abord la mondialisation dans sa dimension historique et présente ensuite les cadres d’analyse contemporains. Cette démarche lui permet notamment d’expliquer, d’entrée de jeu, pourquoi il faut rejeter deux idées reçues. Primo, la dynamique de la mondialisation n’est pas linéaire et univoque. Elle a connu des avancées et des reculs, voire des interruptions brutales. Secundo, l’extension des circuits marchands n’englobe pas nécessairement l’ensemble de la planète, mais plutôt les pays et les régions auxquels les échanges confèrent une « certaine unité organique », Braudel dixit.
Cette insistance sur la complexité et l’exclusion prépare le terrain à l’examen des cadres conceptuels, qui impliquent nécessairement un certain découpage et, surtout, des points de vue controversés sur les structures de pouvoir et les moyens d’assurer la paix et la prospérité. Graz analyse ici les théories classiques et les approches contemporaines de l’ordre international, tout en précisant que la notion de gouvernance, fort ancienne, est aujourd’hui assimilée à un processus de négociation consensuel entre l’État et les différents groupes d’intérêt de la société civile. Appliquée au monde dans son ensemble, celle-ci met en valeur le rôle des acteurs non étatiques, mais sans déterminer véritablement leur influence. La gouvernance de la mondialisation passe ainsi par une formule d’une certaine naïveté, dont l’effet réel serait de légitimer les réformes néolibérales sous couvert de participation et de transparence.
Voilà pourquoi Graz examine, tout particulièrement, les transferts d’autorité aux acteurs privés dans différents domaines (monnaie, finance et développement ; production, travail et migrations ; commerce et conditions de l’échange ; santé et environnement). Il en ressort que la gouvernance de la mondialisation demeure un concept idéaliste, qu’il faut utiliser parcimonieusement.
Les mécanismes de régulation qui échappent aux États et aux organisations intergouvernementales sont faciles à saisir en matière de finance. La tendance est claire ici : les pouvoirs publics ont largement donné aux institutions financières privées le droit de s’autogérer. Le résultat demeure peu reluisant : qui saurait, en effet, démêler le licite de l’illicite dans la mondialisation financière ? Impossible également de conclure que ces nouvelles formes de régulation garantissent la prospérité et la stabilité. La crise financière que nous traversons donne amplement raison à l’auteur.
Les transferts d’autorité sont plus opaques en matière de production, travail et migrations. La transnationalisation des processus productifs est aussi incontestable que la constitution d’un environnement largement plus favorable aux entreprises multinationales qu’aux travailleurs et aux migrants. Ici encore, l’État joue un rôle déterminant en renonçant à intervenir auprès des compagnies mondialisées, tout en mettant sur pied des « frontières intelligentes », capables de garantir à la fois la sécurité des citoyens et la quantité nécessaire de main-d’oeuvre étrangère.
Cette disparité entre le capital et le travail est accentuée par les déséquilibres qui traversent le commerce international de biens et de services. Les États plus puissants conservent jalousement leur souveraineté réglementaire, ce qui, par ricochet, profite aux multinationales qui disposent de l’expertise et des ressources nécessaires pour mener à bien des campagnes de lobbying. Les structures interétatiques, comme l’Organisation mondiale du commerce (omc), semblent parfaitement incapables de résoudre ce dilemme entre libéralisme et protectionnisme, mais aussi de rendre plus transparente la résolution des différends. Les dispositifs de l’omc, rappelle Graz, constituent une forme très hybride de gouvernance, qui délègue à un ensemble diffus d’acteurs non étatiques la capacité de trancher dans les questions de normalisation internationale.
Les débats autour du développement soutenable, de la santé et de la biodiversité, dans un contexte de mondialisation, soulignent encore les inégalités entre les pays. Par exemple, comment peut-on exiger des pays en voie de développement qu’ils limitent leur croissance afin de protéger l’environnement au moment même où la puissance américaine refuse de s’engager sur cette voie ? Le développement durable met aussi en relief les doutes, qui persistent légitimement, sur la capacité de l’économie capitaliste à trouver un mode de croissance plus respectueux de la nature. La gouvernance prend ici appui sur des réseaux formés par les gouvernements, les entreprises, les ong et les milieux scientifiques, dont l’opacité et la fragilité constituent les principales caractéristiques. Les conflits entre les institutions multilatérales ne contribuent certainement pas à améliorer la situation. Pour toutes ces raisons, insiste Graz, les enjeux sous-tendus par des questions importantes de puissance et de richesse demeurent irrésolus.
En conclusion, Graz rappelle que la dynamique opaque de la gouvernance de la mondialisation ne saurait cacher, in fine, la domination de la puissance américaine, dont les fondements du pouvoir n’ont pas encore été touchés.
Ce livre est certainement réussi, car il n’évacue pas la complexité inhérente au sujet. Seul bémol, sa reliure est de piètre qualité. Plutôt embêtant pour un ouvrage destiné à être consulté souvent et, fort probablement, par de nombreux lecteurs.