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Partant du constat que l’activité et la jurisprudence de la Cour internationale de justice (cij) sont malheureusement peu médiatisées et qu’elles sont confinées au cercle restreint des praticiens du droit, Georges Labrecque souhaite, avec cet ouvrage, démontrer toute la pertinence et l’utilité des travaux de cette institution, organe judiciaire principal de l’onu. Pour cela, il s’intéresse au domaine particulier de l’usage de la force ou de la menace de recours à la force dans les différends entre États, ainsi que de l’interprétation qu’en a faite la Cour.
Le livre commence par une longue introduction, où l’auteur nous présente, de façon précise, les dispositions prévues par la Charte des Nations Unies en ce qui concerne le règlement des différends. G. Labrecque analyse, d’abord, l’article 2 paragraphe 4, qui énonce l’interdiction du recours ou de la menace de recours à l’emploi de la force, et son pendant, l’article 51, qui reconnaît, sous certaines conditions, le droit à la légitime défense. Il faut noter ici la méthode suivie par l’auteur qui, dans un souci de pédagogie, analyse segment par segment le texte même de la Charte. Cette façon de procéder permet de mettre en évidence toute l’importance qu’ont les termes employés dans ce texte, qui, par les sous-entendus et les non-dits qu’ils contiennent, sont une source inépuisable d’interprétation. Par la suite, l’auteur présente les moyens pacifiques de résolution des conflits contenus dans l’article 33. Même si la présentation est tout à fait intéressante, cette très longue introduction, assez semblable à ce qu’on pourrait trouver dans un traité de droit international public, retarde quelque peu l’entrée dans le coeur de cet ouvrage, c’est-à-dire la présentation des décisions de la Cour internationale de justice.
Ce livre se veut, en effet, un précis de jurisprudence thématique. Dans ce dessein, l’auteur a sélectionné 13 affaires, aussi bien consultatives que contentieuses, portées devant la cij et qu’il considère comme représentatives de l’analyse de cet organe concernant le règlement des différends impliquant la force. Sont ainsi présentées les affaires suivantes : Royaume-Uni c. Albanie, Australie c. Nouvelle-Zélande, Nicaragua c. États-Unis, les deux Avis consultatifs du 8 juillet 1996 relatifs à l’utilisation des armes nucléaires, Pakistan c. Inde, Cameroun c. Nigeria, Libye c. Royaume-Uniet États-Unis, Iran c. États-Unis, l’Avis consultatif du 19 juillet 2004 concernant le mur israélien en territoire palestinien occupé, Serbie-Monténégro c. Belgique et autres, Congo c. Ouganda, Congo c. Rwanda et, enfin, Bosnie-Herzégovine c. Serbie-Monténégro. Pour chacun des cas, l’auteur se livre à une analyse très complète, présentant tour à tour les prétentions des parties, les étapes de la procédure, le droit applicable, le raisonnement adopté par la Cour, la conclusion et l’apport de l’arrêt à la pratique du droit international. On perçoit, tout à fait, la qualité d’enseignant de l’auteur, tant le souci de la pédagogie transparaît à travers son écriture. De ce fait, c’est un ouvrage qui, dans cette partie jurisprudentielle, se lit comme un roman historique, chaque cas de jurisprudence étant présenté à la manière d’une histoire avec ses personnages et son intrigue propres. Pour qui s’intéresse à la politique du 20e siècle, cet éclairage juridique de problèmes toujours très actuels (on peut ainsi penser à la construction par Israël du mur en Cisjordanie ou à la reconnaissance de la responsabilité d’un État pour des crimes de génocide) apparaît indispensable.
Ce travail intellectuel aurait pu apparaître anecdotique si l’auteur n’avait pas pris du recul pour observer l’impression générale dégagée par l’ensemble de ces affaires. C’est chose faite dans la conclusion où, loin de s’extasier sur le rôle de la Cour, Labrecque souligne les failles des raisonnements, les hésitations des juges et, plus généralement, la quasi-impossibilité de séparer le politique du juridique dans le règlement des différends internationaux et dans l’application du droit international. En effet, si la Cour est un organe judiciaire, sa saisine ou encore le respect de ses arrêts ou de ses avis sont des actes éminemment politiques.
L’ouvrage de Georges Labrecque est, sans conteste, un livre indispensable à qui voudrait en connaître davantage sur le rôle de la cij dans le règlement des différends, de même que sur son analyse de l’interdiction du recours ou de la menace de recours à l’emploi de la force par les États. Certes, un problème de structure dans l’ouvrage nuit quelque peu à sa bonne compréhension. Le lecteur aura, ainsi, à « jongler » entre l’introduction et la conclusion pour pouvoir saisir la totalité du propos. Cependant, ce léger bémol ne doit pas masquer l’intérêt de cet ouvrage. D’une part, en regroupant la jurisprudence dans ce domaine particulier et en expliquant tout le déroulement de la procédure, ce livre favorise une économie de temps et de moyens. D’autre part, il a le mérite de nous rappeler que les rapports de force au niveau international ne peuvent uniquement être vus par le biais de la politique et que, malgré les failles du système, il n’est pas possible de faire l’économie d’une analyse juridique, dès lors que l’on s’intéresse à la résolution des conflits internationaux. En cela, le corpus juridique développé par la Cour internationale de justice depuis un peu plus de 60 ans est un élément fondamental.