On ne finit plus de recenser les travaux sur la guerre en Irak. Depuis cinq ans, cette guerre est devenue un objet de recherche incontournable pour comprendre les mutations profondes des relations internationales et de la politique étrangère de l’hégémon américain. Trois thèmes dominent essentiellement la littérature scientifique : les raisons de la guerre, les manipulations diverses de l’administration Bush et les erreurs de l’intervention anglo-américaine en Irak. Dans la première partie, de Hoop Scheffer tente de trouver les origines de la doctrine du shaping et du changement de régime. L’auteure observe ses prémisses sous la présidence de Bush père, qui a mené la première guerre en Irak. Dès 1991, Cheney et Wolfowitz demandent en vain de finir le travail et de prendre le chemin de Bagdad. Au cours des années 1990, cette idée représente la pierre angulaire du projet politique des think tanks néoconservateurs, fréquentés et appuyés par des acteurs importants qu’on retrouvera dans l’entourage de Bush fils : Wolfowitz, Perle, Cheney et Rumsfeld. Ils défendent une approche fortement interventionniste qui cherche à transformer militairement (hard power) l’espace mondial, au nom des valeurs libérales, afin de préserver l’« hégémonie globale américaine ». Le président Clinton n’est pas réfractaire à cette idéologie interventionniste. En 1997, il adopte même une position proactive en codifiant la doctrine du shaping à travers une série de documents sur la sécurité et la défense. Sous la pression des néoconservateurs, il est également amené à signer la Loi sur la Libération de l’Irak (1998), qui place le changement de régime en Irak au centre de la politique étrangère américaine. Clinton en vient donc à adopter le principal objectif des néoconservateurs sans pour autant approuver les moyens. L’action militaire demeure en réalité restreinte, limitée à des frappes aériennes. Le 11 septembre 2001 change la donne en créant un contexte propice aux mesures draconiennes préconisées par la nouvelle équipe au pouvoir. L’adoption de la nouvelle stratégie n’est pas sans poser problème. C’est l’objet de la deuxième partie de l’ouvrage de De Hoop Scheffer. Bien que le rejet du statu quo fasse consensus au sein de la nouvelle administration, l’auteure essaie de mettre en évidence l’existence de divisions idéologiques entre les « réalistes pragmatiques » autour de Powell, les « nationalistes faucons » autour de Rumsfeld et de Cheney, et, enfin, les néoconservateurs autour de Wolfowitz et de Perle. La guerre est justifiée selon une terminologie idéaliste néoconservatrice, alors que sa mise en oeuvre et la planification de l’après-guerre sont réalistes et pragmatiques. On opte pour une approche minimaliste et limitée, censée éviter un processus de nation-building de longue durée. Il s’agit de transférer rapidement le pouvoir à un gouvernement irakien intérimaire, selon un modèle de libération et non d’occupation. Or, la transition rapide se bute au vide politique, administratif et sécuritaire créé par l’opération militaire. Dans l’urgence de la situation, Washington doit improviser et planifier l’après-guerre sur le long terme. Ce changement est marqué par le remplacement de Jay Garner par Paul Bremer, qui prend rapidement la décision de dissoudre l’armée et d’entamer la débaasification de la société. Cette approche idéologique introduit un processus révolutionnaire de rupture qui engendre une plus grande déstabilisation. Le flou et l’improvisation rendent difficile « le passage d’une stratégie de guerre à une stratégie de gestion de crise ». La voie militaire à court terme prend le pas sur la voie politique des réformes à moyen et à long terme. Ainsi, l’accent est mis sur la puissance de feu (fire power) plus que sur le maintien des capacités de projection (staying power). La troisième partie poursuit l’analyse …
Alexandra de Hoop Scheffer, Hamlet en Irak, 2007, Paris, cnrs Éditions, 160 p.[Record]
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Philippe Münch
Institut d’histoire de la Révolution française de la Sorbonne