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Depuis la fin de la Guerre froide, les concepts de menace et de sécurité sont perpétuellement remis en question. Désormais, les problèmes de sécurité peuvent aller de l’environnement aux réserves alimentaires, à la croissance démographique ou à la circulation des biens, des personnes et de l’information. De façon davantage marquée, les crises internationales mettent aux prises non seulement des États mais également des acteurs non étatiques. Nous ne sommes plus uniquement en présence d’un système politique international mais également d’un système social global où les États coexistent avec les marchés et les réseaux. Les crises peuvent même atteindre des pays qui n’ont pas nécessairement de rapports entre eux ni avec le foyer de la crise, tel que l’a démontré la crise financière asiatique de 1997.
L’intelligibilité du dynamisme de la carte politique mondiale devient de plus en plus complexe. L’ouvrage de Hoadley et Ruland vient donc à point nommé alimenter le débat en cours sur une évaluation des conditions de sécurité de l’Asie de l’Est et du Sud-Est.
Le volume est constitué des collaborations d’une quinzaine de spécialistes des questions asiatiques d’Allemagne, d’Angleterre, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Il est bien écrit, solidement référencé et s’adresse essentiellement à un public de type universitaire. Il est possible de diviser le livre en trois parties. Les cinq chapitres de la première partie se concentrent sur la gestion traditionnelle de la sécurité par les États et les institutions interétatiques. Le chapitre de Martin cherche à expliquer les politiques de sécurité de la région en fonction de l’histoire des conflits. L’auteur analyse le jeu des alliances, les systèmes de dissuasion et les structures de pouvoir qui ont été forgés pour répondre à une typologie de menaces qui ont jalonné l’histoire de la région. Malheureusement, ce chapitre qui devrait servir d’introduction historique est qualitativement le plus faible du volume en raison de plusieurs erreurs factuelles et surtout de l’eurocentrisme affiché de l’auteur, qui colore sa perception de l’histoire de l’Asie. Dans les trois chapitres suivants, Gilson, Yang et Dosch examinent respectivement les contributions du Japon, de la Chine et des États-Unis à la sécurité de l’Asie. Gilson note un accroissement de la dimension militaire de la sécurité du Japon au détriment de la dimension économique. Elle démontre que ces politiques de sécurité affichent un rapprochement et un approfondissement des relations de défense du Japon avec celles des États-Unis. Jian analyse les changements de perception de la Chine concernant les problèmes de sécurité eu égard aux questions de souveraineté nationale, de stabilité économique domestique et de politiques internationales. Il démontre fort habilement que les stratégies de sécurité de ce pays affichent une importante dimension économique et que la participation de la Chine à l’édification d’une communauté internationale s’inscrit au sein de ses stratégies de modernisation économique. Dorsch soutient que le canevas général des stratégies étatsuniennes concernant l’Asie est demeuré relativement inchangé malgré l’émergence de nouveaux défis après la fin de la Guerre froide. L’auteur appuie sa démarche à l’aide d’une analyse minutieuse de la prétention des États-Unis à exercer un leadership planétaire, de la perception géographique américaine de l’océan Pacifique et de la dynamique du système politique des États-Unis dans le processus d’élaboration de leur politique étrangère. Ce chapitre est certainement le meilleur du volume. Le chapitre de Haacke porte quant à lui sur une analyse des ententes de coopération en matière de défense en Asie et de la contribution des institutions régionales à la gestion des problèmes de sécurité. Il souligne que chaque organisation présente son propre agenda de sécurité et apporte plusieurs réponses légitimes. Il en résulte que les menaces contre la sécurité de la région reposeront de plus en plus sur une certaine forme de multilatéralisme.
La deuxième partie explore en six volets les menaces qui pèsent sur la sécurité en Asie. Cette partie du volume est particulièrement riche, car les auteurs y abordent les menaces non traditionnelles sur la sécurité de la région, permettant ainsi de mieux apprécier les conditions contemporaines qui président au processus de décision de nombreux pays du bassin Pacifique. Lyon analyse la menace croissante de la prolifération des armes depuis la fin de la guerre du Vietman, notamment les défis soulevés par la Corée du Nord. L’auteur soutient que la meilleure politique réside dans la fermeté des États lors des négociations sur le contrôle des armes et sur les systèmes de vérification. Wilson et Tisdell démontrent que les conflits autour des ressources naturelles ainsi que les problèmes environnementaux liés à leur exploitation occupent une part croissante de l’agenda de sécurité. De façon davantage marquée, les auteurs soulignent que ces ressources sont souvent situées à la jonction de frontières étatiques. Dans ce contexte, les auteurs soulignent le besoin de développer une approche régionale, voire internationale, à la solution des conflits frontaliers liés à l’exploitation des ressources. Ces frontières affichent souvent en effet une longue histoire de convoitise. Elles sont également empreintes de tensions socio-ethniques complexes et requièrent des engagements politiques au-delà de la capacité des gouvernements locaux. Ruland reprend ce thème en démontrant que les conflits liés aux ressources naturelles peuvent générer des conflits ethniques, des mouvements séparatistes et des conflits armés. Prenant l’exemple des Philippines et de l’Indonésie, Ruland démontre que ces États sont particulièrement vulnérables aux menaces de groupes armés. Hoadley s’arrête quant à lui sur les problèmes des réfugiés. Il souligne que ce sont les conditions d’insécurité qui créent des réfugiés ou des migrants économiques ; ceux-ci recourent souvent à des moyens illégaux pour échapper aux différents facteurs qui menacent leur sécurité. Il démontre que ces flux migratoires exacerbent les tensions économiques, sociales et politiques et peuvent accroître les menaces sur la sécurité, tant des pays d’origine que des pays d’accueil. Hoadley souligne l’importance de développer une politique migratoire qui puisse à la fois protéger les immigrants tout en maintenant la sécurité aux frontières. L’analyse de la crise financière asiatique en 1997 met en évidence que la sécurité revêt également une dimension économique. Mikic démontre que la crise peut générer des actes de violence et entraîner des changements politiques. Jetschke évalue les standards concernant les droits de la personne et les différents traités internationaux. Elle note que l’adhésion des pays asiatiques à ces conventions demeure faible. L’auteure juge nécessaire de développer des initiatives combinant une variété d’acteurs locaux, régionaux et internationaux afin d’améliorer le sort des personnes qui sont victimes d’abus des libertés civiles de la part des gouvernements.
La troisième partie porte sur les différentes perspectives disciplinaires qui s’attachent à l’analyse des problèmes de sécurité et de leurs impacts sur l’élaboration des politiques. Schwengel souligne que les dilemmes de sécurité en Asie sont incrustés dans l’histoire de rivalités étatiques et que ces problèmes sont davantage exacerbés par les processus globaux. Il explore la notion de sécurité en tant que bien public global et identifie dans le maillage des réseaux asiatiques locaux, régionaux et nationaux une voie prometteuse à la résolution des conflits. Schirmer suggère plutôt une approche fondée sur les communautés socioculturelles qui contribueraient à accroître le niveau de sécurité dans la région de l’Asie-Pacifique. De l’avis de l’auteur, ces communautés auraient une influence modératrice sur certaines prétentions géopolitiques nationales. Les réseaux sociaux, les organismes non gouvernementaux, les médias et d’autres éléments de la société civile peuvent encourager une convergence de valeurs et le respect des différences qui rendraient possible un dialogue politique et réduiraient ainsi le niveau d’insécurité collective. Ruland, quant à lui, insiste sur la persistance du traditionalisme dans la typologie des menaces à la sécurité et de son influence dans l’élaboration des politiques étrangères des pays d’Asie. Il soutient que la montée de l’unilatéralisme aux États-Unis semble conforter les leaders asiatiques dans leurs comportements et pratiques traditionnels. Cette situation, de l’avis de Ruland, soulève d’importants problèmes alors que l’agenda de sécurité de l’Asie requiert une nouvelle vision.
Dans l’ensemble, ce livre apporte une contribution originale aux problèmes de sécurité sur le continent asiatique. Les textes permettent de réduire le degré d’incompréhension des processus de décision politique liés aux questions de sécurité. L’ensemble démontre qu’il faut continuellement réévaluer l’histoire politique asiatique. En outre, il importe de comprendre le fonctionnement des États, leurs stratégies et surtout l’impact des décisions passées. De toute évidence, l’analyse des problèmes de sécurité consiste à utiliser différents concepts et une variété de méthodes. Le volume offre une perspective intéressante sur les changements de perception dans l’organisation de la sécurité des sociétés asiatiques par la reconnaissance de conditions historiques, l’analyse de phénomènes politiques et l’évaluation de facteurs géographiques. Dans ce contexte, il mérite certainement d’être largement diffusé.