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Ce livre étudie une période historique d’une crise interne particulière qui a secoué l’otan au cours des années 60. Le recours à l’analyse de cette phase de turbulence dans les relations transatlantiques offre une perspective historique nécessaire pour comprendre la transformation fonctionnelle de l’otan amorcée depuis la fin de la Guerre froide, d’une organisation de défense collective à une organisation de sécurité collective. Il est ainsi possible d’évaluer – à la lumière de données historiques – la pertinence de la thèse de la « fin de l’atlantisme », avancée par certains spécialistes depuis le 11 septembre 2001 dans le sens où les rivalités entre les Alliés ne sont pas nouvelles et ne sont pas plus graves que celles de la période abordée par ce livre.
Produit d’un colloque scientifique organisé du 26 au 28 août 2004 par le Centre for Security Studies de Zurich, l’ouvrage collectif s’adresse aux spécialistes en relations internationales. La perspective historique adoptée fait le lien entre le passé et le présent pour comprendre l’avenir de l’otan. Nuenlist et Locher signent une introduction dans laquelle ils rappellent que l’otan – créée en 1949 sous la menace expansionniste de l’urss – a été ébranlé dès le début des années 1950 par plusieurs événements politiques mettant en cause la cohésion entre ses membres et sa raison d’être. Les auteurs soulignent la fragilité de la détente dans les relations Est-Ouest après la mort de Staline, le lancement du Spoutnik en octobre 1957 par l’Union soviétique, l’attitude vis-à-vis des conflits hors de la zone euro-atlantique, notamment la guerre de Corée (1950-1953), la guerre d’Indochine (1946-1954) et la crise de Suez en 1956, ces événements constituant les grands titres de la première période difficile de l’histoire des relations transatlantiques. C’est dans ce contexte que s’inscrivait le rapport des « Trois sages » en 1956 sur les mesures à prendre pour améliorer la coopération entre les pays de l’otan dans les domaines non militaires et pour accroître l’unité au sein de la Communauté Atlantique.
Le livre rassemble dix contributions divisées en trois parties. La première partie expose les grandes questions des rivalités entre Européens et Américains. Ralph Dietl fait le point sur la politique de coopération des pays européens en matière de sécurité de 1945 à 1964 en soulignant le lien étroit qui existe entre le processus d’intégration européenne et la réforme de l’otan. Il conclut que les tentatives de faire de l’Europe une Third Force ont empêché l’émergence d’une identité européenne de défense. Ine Megens focalise son analyse sur la politique transatlantique d’interdépendance entre pratique et discours à la suite du sommet de l’otan en décembre 1957. Megens note que, pour la première fois, les Alliés décident d’organiser un sommet au niveau des chefs d’État et de gouvernement afin de montrer clairement l’unité de l’Alliance en réponse au lancement du Spoutnik, le premier satellite spatial soviétique. Cependant, l’auteur précise que la non-application des décisions issues de ce sommet historique est due à une panoplie de facteurs, notamment l’absence d’un charisme dans la personnalité du secrétaire général, le peu d’autorité de l’otan et de ses commandants militaires ainsi que le fait que son Groupe permanent doutait de l’utilité des plans militaires adoptés. De son côté, Bruno Thoss examine les impacts de la crise de Berlin (1958-1962) sur le consensus au sein de l’otan et explique comment les trois grandes puissances atlantiques, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, n’ont informé les autres 12 membres qu’après la fin de leurs consultations sur la question de Berlin.
La deuxième partie traite de différents thèmes portant sur le contrôle d’armement, la détente est-ouest et l’attitude de de Gaulle envers l’otan. David Tal signe un article examinant ce qu’il appelle le nato factor dans le ralentissement de la conclusion du Traité de non-prolifération en 1968. Mary Halloran présente un point de vue nord-américain en abordant la politique de défense du Canada au cours de la période de Pierre Elliott Trudeau ; celui-ci a en effet décidé dès son arrivée au pouvoir de diminuer le budget consacré à la défense et de réduire de moitié la contribution militaire du Canada au sein de l’otan. L’auteure rappelle que Trudeau a même proposé de retirer le pays de l’Alliance et démontre comment cette nouvelle orientation dans la politique du Canada a suscité des doutes chez les Alliés quant à son engagement envers la communauté transatlantique. Sur le même sujet, Robin Gendron traite des répercussions de la montée du nationalisme québécois au cours des années 1960 sur les relations du gouvernement d’Ottawa avec ses alliés, particulièrement après la décision du général de Gaulle en 1966 de se retirer de la structure militaire de l’otan.
La troisième partie est consacrée à l’étude du rôle de plusieurs personnalités dans l’histoire de l’otan. Bruna Bagnato présente le quatrième secrétaire général de l’otan, Manlio Brosio (1897-1980), comme un artisan du consensus dans une période particulièrement difficile pour l’unité entre les Alliés. Dans la même perspective, Vincent Dujardin étudie le rôle du ministre belge des Affaires étrangères, Pierre Harmel, lors de la période de détente entre les deux blocs, notamment du rapport qui porte son nom, le « rapport Harmel », et qui porte sur les futures tâches de l’Alliance. L’auteur met également l’accent sur l’intervention soviétique à Prague en août 1968, et son ferme appui à la csce de 1969 à 1973. Enfin, l’article d’Oliver B. Hemmerle est consacré à l’étude du rôle de l’ancien chancelier allemand, Helmut Schmidt, dans la présentation de l’otan aux Allemands de l’Ouest à travers ses publications et son action au sein du Parti social-démocrate. Selon l’auteur, ce rôle a permis de promouvoir le contrôle démocratique des forces armées de l’otan et d’approfondir le débat national sur la défense en Allemagne occidentale.
Le livre se termine par les réflexions de l’historien américain Lawrence S. Kaplan sur les États-Unis et l’otan dans les années 1960. Kaplan traite de l’image ainsi que de la perte de pouvoir des États-Unis au cours de cette période en raison essentiellement de la guerre du Vietnam. Mais cette perception de faiblesse, précise Kaplan, était plus psychologique que militaire.
Cet ouvrage ne manquera pas d’être utile à tous ceux qui, universitaires comme diplomates, s’interrogent sur la transformation de l’otan et l’avenir de la communauté atlantique de sécurité.