Durant les premières années de la présidence de Boris Eltsine, l’union économique et ensuite politique avec le Belarus a pu sembler une option réaliste, sinon souhaitable pour une bonne partie de la population russe. Certains analystes y ont vu le fruit du désir de récréer un ersatz d’Union soviétique sur la base des deux républiques, d’autres ont pu y voir le symptôme évident du retrait de la Russie d’une politique étrangère pro-occidentale. Or, selon Alex Danilovich, chercheur au Kazakhstan Institute of Management, Economics and Strategic Research, ce sont surtout des facteurs de politique interne qui expliqueraient la volonté de la Russie et du Belarus de mettre de l’avant des mécanismes d’intégration qui devaient à l’origine mener à l’union des deux États postsoviétiques. Dans cet ouvrage qui est sans aucun doute le plus complet à ce jour sur la question, Danilovich s’emploie à démontrer que des facteurs de politique interne russe ont constitué le véritable moteur de l’intégration et que c’est là qu’il faut aussi chercher les causes de son échec. L’ouvrage de Danilovich devrait trouver une audience large auprès des universitaires, et certains chapitres pourront même figurer dans des listes de lecture pour étudiants de premier cycle cherchant à se familiariser avec les réalités politiques postsoviétiques. La thèse centrale y est d’une grande clarté. À l’encontre des études qui expliquent les tentations d’union entre la Russie et le Belarus comme une forme d’impérialisme postsoviétique, l’auteur avance que cette thèse expliquerait peut-être l’union si elle s’était concrétisée, mais ne peut expliquer son échec d’une façon satisfaisante. Il faut donc chercher dans les soubresauts de la politique interne de chacun des partenaires, mais surtout de la Russie, les raisons qui expliquent l’engouement, la perte d’intérêt, puis l’abandon presque complet de la question de l’union. Soumis à des attaques virulentes de la part de l’opposition qui faisait de lui le fossoyeur de l’Union soviétique, et confronté à un parlement et à une opinion publique qui lui étaient plus souvent qu’autrement défavorables, Boris Eltsine s’est servi d’une cause populaire pour stabiliser son autorité dans des contextes de crise et ainsi se maintenir au pouvoir durant deux mandats particulièrement difficiles. Disposant d’une assez grande popularité à son arrivée au pouvoir, son successeur Vladimir Poutine n’a pas eu besoin de se servir de l’union pour renflouer un déficit d’autorité, et la stabilisation économique aidant, l’a fait passer au second rang derrière les intérêts gaziers. Danilovich s’inspire en grande partie de l’école des déterminants domestiques de la politique étrangère et raffine le modèle développé par Helen Milner plus récemment dans Interest, Institutions, and Information. Domestic Politics and International Relations en l’appliquant à des États où la pluralité institutionnelle est beaucoup moins étendue que les exemples sur lesquels Milner s’est appuyée. La question de la compétition et de la négociation entre groupes à l’intérieur d’un État y demeure cependant centrale. La monographie de Danilovich est divisée en dix chapitres relativement courts qui sont, à l’exception du premier dans lequel l’auteur élabore son modèle théorique, organisés selon un mode chronologique simple, chacun mettant en évidence une étape importante dans le processus d’union. Il y a deux principales parties qui regroupent ces chapitres, la première allouée à la présidence de Boris Eltsine, qui compte six chapitres, et la seconde consacrée à celle de son successeur Vladimir Poutine qui en regroupe trois. Dans la partie traitant de l’ère Eltsine, Danilovich se penche successivement sur les pourparlers visant l’Union monétaire entre la Russie et le Belarus de 1994, qu’il explique surtout par le besoin de Eltsine d’asseoir à nouveau son pouvoir à la fois sur le parlement à la suite de l’affrontement …
Danilovich, Alex, Russian-Belarusian Integration. Playing Games Behind the Kremlin Walls, Aldershot, Ashgate, 2006, 234 p.[Record]
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Jean Lévesque
Département d’histoire
Université du Québec à Montréal