Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Ramel, Frédéric, Les fondateurs oubliés. Durkheim, Simmel, Weber, Mauss et les relations internationales, coll. Sociologies, Paris, Presses universitaires de France, 2006, 119 p.[Record]

  • Dany Deschênes

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  • Dany Deschênes
    École de politique appliquée
    Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec

La discipline des relations internationales repose sur l’apport de plusieurs auteurs classiques, dont Thucydide, Hobbes ou Clausewitz. Cependant, la contribution particulière des sociologues classiques, hormis celle de Weber, est souvent négligée. Cette situation est particulièrement patente dans la sociologie des relations internationales contemporaines qui laissent en marge les penseurs classiques de la sociologie. C’est pour pallier cette lacune que Frédéric Ramel propose de revisiter Durkheim, Simmel, Mauss mais aussi Weber. Son objectif est de démontrer ou de réévaluer la pertinence de leurs contributions particulières à l’étude des relations internationales. L’ouvrage est divisé en quatre études, en plus d’une introduction et d’une courte conclusion. Il est à noter que les études sur Durkheim et sur Mauss ont déjà fait l’objet d’une publication dans Études internationales (en 2004) et dans Sociologie et sociétés (en 2004). En introduction, Ramel souligne, entre autres raisons pour expliquer l’intérêt porté aux classiques, que les internationalistes contemporains comme Waltz utilisent inadéquatement les travaux des sociologues classiques. Ils ne perçoivent pas la richesse que représentent leurs réflexions dans son ensemble. En langue française, la position de Raymond Aron à l’encontre des classiques est indicatrice de cette non reconnaissance. Aron leur reproche en effet de méconnaître les phénomènes de la guerre et des relations internationales en général, exception faite de Weber. Selon Ramel, trois aspects lient les classiques : l’importance de la Grande guerre comme événement marquant leurs réflexions, le refus de considérer l’existence d’une coupure entre les espaces internes et externes ainsi qu’une divergence sur le degré de conflictualité entre les États et paradoxalement, la présence inéluctable de l’État (patrie) comme acteur premier des relations internationales. Pour chacun des chapitres, Ramel replace correctement la pensée de l’auteur dans son contexte. Par exemple, il explique bien l’impact de la guerre de 1870 sur le travail de Durkheim. Il précise et justifie, le cas échéant, les choix des ouvrages ou des sections d’ouvrages utilisés pour analyser l’apport des sociologues classiques à l’étude des relations internationales. Soulignons également que les quatre études sont autonomes les unes des autres malgré quelques rappels ici et là. Le premier chapitre a pour objet la réflexion de Durkheim. Ramel constate que le père de la sociologie française offre avant tout une compréhension sociologique des relations internationales. Sa réflexion souligne l’importance du milieu international comme structure contraignante pour les États envers la négociation et la coopération. À cet égard, la politique de puissance est une pathologie. Bien évidemment, Ramel prend à contrepied l’interprétation de Durkheim proposée par Kenneth Waltz. De même, si le milieu international existe, et qu’il agit sur le comportement des États comme un vecteur de modération, ceci ne permet pas de considérer le tout comme une société internationale. Pour Durkheim, cela s’explique par le fait que la nature du milieu international et son développement ne viennent pas remplacer l’État. L’État demeure l’horizon infranchissable des relations internationales. Le second chapitre s’intéresse à la contribution de Georg Simmel. Ramel souligne que la réflexion du sociologue allemand débouche sur la présence de couples antinomiques. Ainsi, sa réflexion sur les conflits met parallèlement en exergue la dynamique de la coopération ; bref, il y a la présence d’une dualité consubstantielle aux réalités sociales. À une lecture statique des relations internationales, la pensée de Simmel substitue une lecture dynamique où la coopération s’articule avec le conflit. Il est intéressant de constater que contrairement à Durkheim, Simmel considère le conflit comme une source incontournable pour la réflexion sociologique. Cependant, le conflit n’est pas différent des espaces interne et externe : il y a – pour reprendre les termes de Ramel – une continuité de nature. Toutefois, ce n’est pas …