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Rédigé par un chercheur-enseignant en science politique (Paris v et ceri), cet ouvrage présente une synthèse de trente ans de débats en sciences politiques et en relations internationales sur le rapport de l’Europe au monde et sur la politique internationale de l’Union européenne. Son originalité tient à sa structuration claire en cinq chapitres mais aussi et surtout au fait d’avoir réussi cette gageure que celle de présenter en aussi peu de pages la synthèse et les divergences d’idées entre les multiples analystes anglo-saxons et francophones. L’ouvrage représente donc également un large travail de sélection des auteurs et des écoles de pensée qui comptent en ces matières, avec le risque assumé de probables oublis.
L’introduction nous permet déjà d’appréhender les objectifs en termes d’interrogations : la construction européenne est-elle susceptible de réinventer le rapport de l’Europe au monde ? Est-elle un acteur international ? Dispose-t-elle réellement d’une politique étrangère dite européenne ? Il s’agit donc bien de distinguer ce qui fait problème (l’inaction lors de certaines crises internationales) de ce qui fait force parmi l’ensemble des instruments d’action extérieure de l’Union. Il s’agit aussi de considérer le présent livre comme un manuel qui a pour objet d’introduire les débats, concepts et auteurs qui ont analysé l’action internationale de l’ue dans les champs théoriques, conceptuels et thématiques.
Le premier chapitre traite de l’apprentissage institutionnel d’une diplomatie collective européenne, de la cpe à la pesc, avec l’édification de règles codifiées et sous contrôle des États. Il y a bien eu un passage par une pratique informelle, un apprentissage institutionnel et une socialisation diplomatique permettant de construire progressivement de l’harmonisation, de la concertation puis de l’action commune. Malgré les à-coups et la prégnance intergouvernementale, les habitus de concertation, la mise en réseau des appareils diplomatiques et la formalisation institutionnelle permettent de passer de la simple coopération à la politique étrangère européenne.
Cette dernière fut solidifiée par le processus de juridicisation renforçant par là-même la socialisation diplomatique et la mise en évidence d’une prise de conscience collective : « que vont penser nos partenaires européens ? ». Certes, la cpe fut marginalisée par la seconde guerre froide (années 1980), divisée à propos de certains dossiers (Afrique du Sud, crise yougoslave) ou snobée (aide à l’égard des peco, 1ère guerre du Golfe). Il faudra attendre l’après Maastricht et l’institutionnalisation de la pesc pour assister à un saut qualitatif dans plusieurs domaines en matière d’identité, de légitimité, de valeurs et de normes, notamment grâce à la formalisation juridique des procédures, au rapprochement avec les institutions, et à l’incorporation des éléments de sécurité.
Les garde-fous nationaux restent cependant multiples et bureaucratisation, rivalités et autres jeux institutionnels sont bien visibles (dossiers budgétaires et dossiers sanctions, tensions Conseil-Commission-pe, débats unanimité-majorité qualifiée). Cependant, le processus de coopération, de musculation et de visibilité de l’ue en matière de politique internationale, y compris la pesd, est assuré.
Dans le chapitre sur L’Europe des conflits, on perçoit l’identification de la pesc à la gestion des crises et l’insistance sur la légitimité à intervenir à travers le jeu complexe de la diplomatie, de la prévention, de la médiation, du maintien de la paix et de la reconstruction. Plusieurs expériences européennes de gestion des conflits sont ici examinées. Et d’insister tour à tour sur la collaboration ancienne entre la ce/ue et l’osce, le lobbying européen autour de la médiation proche-orientale, la diplomatie déclaratoire et le rôle d’appoint avant le ralliement à la diplomatie coercitive américaine devant le violent démembrement yougoslave et le conflit kosovar, ou encore sur le Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est, la participation à l’isaf (2002) et les limites de la coopération transatlantique de l’après 11 septembre, ou enfin sur les rivalités autour de la guerre en Irak et le jeu du bilatéralisme américain avec chaque acteur européen.
Quant à la pesd, née de la réappropriation des missions de Petersberg de l’ueo et du stimulant franco-britannique de Saint-Malo, l’auteur la conçoit comme « une orientation nouvelle de l’intégration européenne qui affecte en profondeur le statut de l’ue dans les relations internationales » et qui bouscule donc le slogan d’Europe puissance civile. Politique européenne de sécurité et de défense qui a dû gérer le relationnel institutionnel et les rivalités transatlantiques avant d’engager prudemment une socialisation militaire européenne (collège européen, stratégie de sécurité, multinationalisation) parallèlement à son implication dans des opérations extérieures, dans les limites bien comprises de l’intergouvernementalisme.
Dans le chapitre 3 sur La diplomatie coopérante européenne, Petiteville présente la diplomatie européenne dans l’espace de coopération, du commerce et de l’aide au développement, complétant et interagissant avec la pesc. C’est dans cet espace que s’expriment les valeurs européennes ; la Commission ayant un rôle moteur comme agent de puissance civile. On peut y observer une diplomatie de la coopération qui a aujourd’hui particulièrement maille à partir d’un héritage ambigu nommé Yaoundé, Lomé, Cotonou, passant de relations commerciales asymétriques vers un système de libre-échange régionalisé compatible avec les règles de l’omc.
L’auteur insiste sur l’aspect de médiation économique et politique de l’ue, qui tourne autour de normes politiques et éthiques pour aboutir à une politique extérieure mature et influente, telle un acteur international. Qu’il s’agisse d’aide humanitaire, de diplomatie environnementale, de coopération économique, la politique de l’ue à l’égard des régions et inter-régions devient une véritable politique étrangère européenne pluridimensionnelle transcendant les piliers de l’ue, quand bien même pèse encore la gestion des malentendus euro-russe et euro-méditerranéen.
La diplomatie européenne en est une des droits de l’homme aux multiples moyens qui impose une conditionnalité démocratique à l’adhésion mais qui reste par moments partiale et parfois peu influente, en vertu d’une diplomatie à géométrie variable. Reste à questionner le poids de la Commission européenne comme agent dans les relations internationales, qui balance entre les multiples relais que sont les délégations d’un côté et le contrôle qu’elle subit entre les Conseil et le Parlement du point de vue de sa légitimité, de l’autre côté.
Dans l’avant dernier chapitre, on insiste sur l’élément premier de l’ue, à savoir la politique commerciale européenne. Véritable noyau dur, cette politique étrangère économique est particulièrement visible dans la représentativité et le pouvoir de la Commission dans les instances de l’omc et dans les négociations commerciales bilatérales avec les pays tiers. Certes, cette posture unifiée fut parfois fragilisée au titre des intérêts nationaux (compromis de Luxembourg, Uruguay round, enjeux agricoles) et bon nombre d’accords furent mixtes. Reste que la cohésion à préserver aboutit à une attitude offensive et ferme vis-à-vis des tiers malgré l’hétérogénéité des préférences commerciales et autres crispations d’États européens.
Entre la régularisation du commerce (gatt puis omc) et le débat sur la régularisation de la globalisation, les Européens ont du batailler ferme dans l’espace transatlantique, que ce soit en matière de protectionnisme, de normes opposables au marché, de valeurs non marchandes et autres exceptions culturelles.
Enfin, le chapitre 5 aborde les grandes questions autour de la visibilité européenne en matière de politique étrangère, de sa légitimité, de son crédit et de son rapport à la puissance. Il s’ensuit une présentation des effets de la socialisation des pays adhérents et de la politique de voisinage, en passant par les effets de l’atlantisme. L’ue, multiplicateur de puissance, est cependant dans l’obligation de jouer de flexibilité en matière d’action extérieure et de pesd tout en cherchant une personnalisation juridique et une légitimation (eurobaromètres), dans les limites qu’impose l’intergouvernementalisme de la sécurité.
Acteur international, l’ue fonctionne en interagissant à la carte avec les diplomaties nationales hétérogènes en partie européanisées, sans néanmoins réussir à créer une véritable politique étrangère commune. Néanmoins, la pesc reste un excellent relai d’influence et de visibilité pour les petits États (effet multiplicateur) et un prolongement européen à la diplomatie nationale pour les grands États. Cette recherche de légitimation par l’ue permet une européanisation, certes à la carte, des politiques étrangères discontinues. Entre les contenus des théoriciens du civilian power, du soft power et du normative power, les signifiants sont souvent antagonistes, avec les interrogations sur le statut militaire de l’Europe, la militarisation de l’ue, le poids des États, la maîtrise de la violence et le sens des missions de Petersberg.
Particulièrement riche et dense, cet ouvrage est le modèle parfait du manuel universitaire qui présente de manière claire un ensemble important de thèses autour de la politique internationale de l’Union européenne sans trancher, en laissant le soin au lecteur éclairé d’approfondir par la suite la complexité d’une Europe qui se révèle être un acteur international aux actions pluridimensionnelles.