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Depuis cinq ans, les études stratégiques connaissent un renouveau sans précédent avec la prolifération d’études et de publications sur les conflits et la guerre. Cette littérature nous rappelle inlassablement que le 11 septembre 2001 a changé le monde dans lequel nous vivons. Cependant, de temps à autre, quelques auteurs offrent un discours différent. Ces propos antithétiques nous soulignent que les mutations ont été progressives et qu’elles s’inscrivent plus dans une tendance amorcée plusieurs années auparavant, que dans un changement drastique. En fait, la transformation majeure s’effectuerait surtout au niveau des perceptions et de la prise de conscience brutale des nouveaux enjeux de sécurité. Cet ouvrage collectif sous la direction de Croker, Hampson et Aall s’inscrit dans la catégorie des oeuvres qui délaissent le sensationnalisme, afin de nous offrir une analyse académique plus posée.

Leashing the Dogs of War constitue le troisième tome d’une série de livres publiés par l’United States Institute of Peace. Cet institut sans affiliation partisane a été fondé en 1984 et financé depuis par le Congrès américain, afin de permettre un meilleur échange de connaissances entre les spécialistes de la sécurité et les décideurs politiques. L’objectif primaire de ces publications consiste à décrire les enjeux et les conditions entourant les conflits et la paix. L’analyse des mutations qui surviennent sur la scène internationale, mais surtout la clarification des ambiguïtés reliées aux questions de sécurité, constituent le lien entre les trois volumes de cette série. Avec ces publications, les éditeurs désirent ainsi donner une image aussi claire et précise que possible des enjeux et des facteurs qui causent les guerres, influencent leur conduite et favorisent un retour à la paix.

Le premier ouvrage de la série, Managing Global Chaos, avait été publié en 1996. Ce livre décrivait le nouvel environnement stratégique et les menaces résultant du nouvel ordre international. Dans l’ensemble, les textes portaient sur la gestion des crises humanitaires et les différents conflits ethniques faisant rage à l’époque.

Après cinq ans d’études, une mise à jour fut publiée à la veille du 11 septembre 2001. Ce deuxième ouvrage de la série, Turbulent Peace, proposait alors une vision optimiste de la situation mondiale. La diminution du nombre de conflits et les leçons apprises des différentes opérations d’imposition de la paix permettaient aux auteurs d’entrevoir la mise en place de la stabilité promise par le nouvel ordre international et ce, malgré la vulnérabilité de certaines régions. Ces deux premiers tomes proposent toutefois une image beaucoup plus nuancée que ne le laisse voir cette brève récapitulation, bien qu’en définitive, les titres de ces ouvrages reflètent de manière éloquente l’état d’âme des auteurs face à la conjoncture sécuritaire qu’ils nous décrivent.

Le titre de l’ouvrage qui nous concerne évoque clairement un changement drastique comparativement aux précédents. En effet, il apparaît de manière évidente, à travers les différents textes de Leashing the Dogs of War, que les auteurs appréhendent une guerre ouverte et globale, avec toutes ses implications et ses aspects négatifs. Si dans les deux premiers tomes les textes faisaient état de conflits (l’utilisation du mot guerre lui-même était symboliquement et volontairement évité), limités dans leur ampleur et confinés à des repères géographiques lointains (Kosovo, Somalie, etc.), c’est-à-dire ailleurs et là-bas, dans la version de 2007, la guerre est désormais globale et même ici. Malgré ce constat, le ton général de l’ouvrage demeure relativement positif. L’analyse présentée dans l’ensemble constitue un appel à la prise de conscience et propose différentes façons d’atténuer les effets de cette guerre (ou des conflits violents en général). Ainsi, ce tome n’est pas un cri d’alarme et de panique face à l’instabilité de la guerre et il se garde d’être prescriptif.

Leashing the Dogs of War, comme les autres ouvrages de cette série, fusionne l’apport de différentes sources et d’écoles de pensée. Ce tome rassemble quarante-six des plus éminents spécialistes dans le domaine, de Paul Diehl à Joseph Nye, en passant par Sir Brian Urquhart. Les chercheurs qui contribuent à cet ouvrage sont donc tous des auteurs chevronnés et reconnus dans leurs domaines respectifs.

Cet imposant recueil est divisé en six parties. L’introduction offre un survol succinct, mais très représentatif de l’ensemble des contributions. Contrairement aux autres tomes de cette série, cet ouvrage n’offre pas d’examen récapitulatif des théories des relations internationales. Par contre, la deuxième partie dissèque le concept de guerre et en élabore les développements conceptuels les plus récents. Ici, Jack Levy offre une position théorique très claire. Ainsi, pour lui, malgré les nombreux changements survenus en ce qui concerne la technologie et la conduite de la guerre, le fondement et la nature même de la guerre n’ont pas changé. La majorité des auteurs qui contribuent à cet ouvrage appuient plus ou moins l’affirmation suivante : même si l’acteur principal du système international n’est plus nécessairement l’État, et même si la frontière entre la criminalité et les conflits s’estompe de plus en plus, la violence organisée demeure encore et toujours le moyen pour atteindre une fin. Ainsi, dans ce recueil de textes, il est clair que cette finalité se révèle plus souvent qu’autrement Clausewitzienne, c’est-à-dire politique.

Les douze chapitres de cette deuxième section offrent un tour d’horizon assez complet des nouvelles menaces qui s’ajoutent désormais aux périls plus conventionnels. L’analyse révélée au lecteur montre donc les enjeux pour ce qu’ils sont véritablement et non pas sous l’angle de leur perception. Par exemple, le terrorisme et le concept de conflit des civilisations n’occupent pas la place centrale de l’argumentation. Ces deux aspects sont, au même titre que les États défaillants et l’environnement, des facteurs qui contribuent à l’insécurité et non pas la clé de voûte de la guerre elle-même.

La troisième partie de Leashing the Dogs of War porte sur les actions à mener en cas de menace à la paix. Ici encore, l’utilisation de la violence coercitive n’occupe pas toute la place, alors qu’il est clair pour les auteurs que l’utilisation légitime de la violence est contrainte par certaines restrictions. D’autres outils sont aussi offerts par les différents auteurs, il s’agit ici des principes réitérés depuis le premier tome, de diplomatie coercitive, de sanctions économiques et d’intervention humanitaire.

Bien qu’il s’agisse d’une section distincte, la quatrième partie complète la précédente. Cette section imposante de huit chapitres développe les multiples aspects du Soft Power qui est ici présenté en opposition, mais aussi comme élément complémentaire, à l’utilisation de la force.

La subdivision suivante de l’ouvrage examine le rôle des institutions internationales et régionales en matière de gestion et de résolution des conflits. L’élément important à retenir de ces cinq chapitres est que les institutions et le droit international ont subi des dommages durant les différents débats de 2002 et 2003, mais que ces heurts ne les ont pas assassinés. Malgré tout, les institutions internationales bénéficient d’une légitimité largement reconnue et somme toute, ont une relative efficacité, selon les circonstances et les types de crises. La position des auteurs est donc favorable aux différentes institutions, bien que selon eux, certaines réformes, surtout dans le cas de l’onu, permettraient d’en renforcer la pertinence.

La dernière section, la moins longue, porte sur la gouvernance. Dans les cinq chapitres qui la composent, la démocratie, le développement économique et la construction de l’appareil de l’État sont présentés comme des outils salutaires pour le rétablissement de la paix. Un seul de ces éléments ne constitue donc pas la solution miracle à tous les problèmes, mais, à l’instar de plusieurs autres études récentes, les auteurs recommandent l’utilisation coordonnée de ces moyens.

L’ouvrage se termine sans conclusion, laissant ainsi le lecteur définir ses propres préceptes. En fait, l’introduction présentée en première partie du livre constitue également sa conclusion. Les liens entre les différents chapitres y sont tissés et le sommaire offre une vision d’ensemble très représentative et cumulative.

Nous considérons que Leashing the Dogs of War dresse un tableau global beaucoup plus représentatif que les deux tomes précédents de la série. Si plusieurs parties et chapitres sont semblables dans les trois éditions, le troisième ouvrage n’est cependant pas une simple mise à jour des deux autres : il s’agit selon nous d’une analyse précise des changements qui ont bouleversé les jalons traditionnels de la sécurité utilisés jusque-là par les politiciens et les praticiens.

Cet ouvrage s’adresse avant tout aux décideurs politiques. L’objectif est de leur permettre de mieux comprendre l’environnement international, les causes des conflits, ainsi que les moyens d’aider à rétablir la paix. Ce livre est cependant accessible tant aux profanes qu’aux experts. Leashing the Dogs of War constitue également un bon ouvrage général pour les étudiants et les professeurs qui s’intéressent aux questions concernant les conflits et la paix. Par contre, certains aspects ont été évacués et ceux qui sont développés n’offrent pas la profondeur théorique, ni même la spécificité requise pour en faire un ouvrage de référence.