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Doug Stokes, lecturer au Département de politiques internationales de l’Université galloise d’Aberystwyth, s’est intéressé à la situation de la Colombie ces dernières décennies. Plus précisément, il s’est interrogé sur les liens qui se sont établis, depuis la fin de la guerre froide, entre la Colombie et les États-Unis d’Amérique (eua). En effet, la Colombie est aujourd’hui le premier pays bénéficiaire de l’aide militaire nord-américaine en Amérique latine, le troisième dans le monde. Cette aide, longtemps destinée à lutter contre l’expansion communiste sur le continent, a été justifiée, dans l’après-guerre froide, par la lutte contre le narcotrafic. Depuis, le 11 septembre 2001, elle est maintenue au nom de la lutte contre le terrorisme international… Les arguments, les prétextes comme Doug Stokes les nomme, se sont succédés pour maintenir un État de terreur en Colombie. Car l’aide américaine a pour vocation de maintenir les gouvernements proaméricains au pouvoir afin de protéger les intérêts des États-Unis sur place, notamment en préservant un accès stratégique à un pétrole ne provenant pas du Moyen-Orient. Grâce à des documents confidentiels, Doug Stokes étaye sa thèse. Il fait la démonstration que la situation de détresse dans laquelle se trouve la Colombie participe bel et bien d’une stratégie politique. Ce faisant, il dénonce la responsabilité des États-Unis d’Amérique dans la situation désastreuse, notamment au regard du respect des droits de l’homme, que connaît la Colombie.
L’argumentation de Doug Stokes tend à prouver que les États-Unis disposent de leurs prés carrés latino-américains suivant leurs propres intérêts. Depuis la formulation de la doctrine Monroe (1823), le continent américain est considéré par les eua comme un ensemble unique qui doit resté fermé à toute tentative de colonisation. Depuis 1823, il revient naturellement aux États-Unis d’Amérique de protéger ce qui est devenu leur continent : les puissances européennes se partagent le monde (Afrique, Asie, etc.), les États-Unis d’Amérique s’approprient l’Amérique tout entière. C’était il y a moins de deux siècles et les eua ont conservé leurs zones d’influence américaines. Sans remonter aussi loin dans l’histoire, l’auteur fait l’effort de mettre en perspective l’actualité des relations entre les États-Unis et la Colombie (chap. 1). En restituant à la fois dans le temps et dans l’espace les objectifs de la diplomatie des États-Unis en Amérique latine pendant la guerre froide (chap. 2), puis dans l’après-guerre froide (chap. 3), l’auteur passe en revue les différentes interprétations théoriques de la discipline sur la question. Usant notamment de la dialectique de l’endiguement et de la protection de la démocratie, les États-Unis sont toujours parvenus à préserver leurs intérêts géostratégiques dans la région (chap. 2). Aussi, à la fin de la guerre froide, la politique militaire des États-Unis a-t-elle continué à s’opposer aux démocraties latino-américaines qui menaçaient leurs intérêts (chap. 3). Il semble donc n’y avoir rien de véritablement nouveau dans l’actualité de ce sous-continent : seulement, en s’arrêtant sur le cas colombien, Doug Stokes prend le temps de démonter les ressorts contemporains du redéploiement de la politique stratégique des États-Unis sur cette région, en particulier en Colombie, depuis les événements du 11 septembre 2001.
En effet, depuis la guerre froide, la Colombie a vu s’enraciner sur son territoire un État de terreur alimenté par l’aide militaire des États-Unis. Leur participation dans la mise en place de politiques contre-insurrectionnelles joue depuis un rôle décisif dans la physionomie des gouvernements. Elle sert à légitimer un large investissement permettant de protéger et de préserver les équilibres politiques et sociaux favorables aux intérêts des États-Unis sur place (chap. 4). Qu’il s’agisse de la lutte contre le communisme (chap. 4) ou de la lutte contre le narcotrafic dans les années 1990 (chap. 5), les États-Unis ont su maintenir leur influence dans la détermination des orientations politiques du pays, en particulier grâce au chantage à la decertification (Plan Colombia). Faisant fi des conséquences humanitaires régulièrement dénoncées par les ong spécialisées, les États-Unis semblent poursuivre leur chemin sans être inquiétés, protégeant inlassablement leurs intérêts dans la région (accès au pétrole), au nom d’arguments hasardeux justifiés par la lutte contre le terrorisme international. Doug Stokes dénonce cette proximité qui s’est installée au fil des années entre la diplomatie américaine et les pouvoirs colombiens. Il démonte un système qui s’est édifié pour préserver la sécurité nationale états-unienne de façon transnationale, c’est-à-dire en investissant le coeur des États latino-américains et en se positionnant sur l’échiquier d’une guerre énergétique.
Si Doug Stokes nous présente un excellent exposé qui a le mérite de faire le point sur les relations entre les États-Unis et un État vassalisé, on regrette néanmoins qu’il n’ait pas plus diversifié ses sources. En effet, son approche reste unilatérale et souvent univoque, les documents et les personnalités consultés sont exclusivement anglo-saxons et exposent la position des États-Unis à l’égard d’un champ d’expansion conçu comme naturellement leur. Aussi, on regrette que n’apparaissent aucune source locale qui nous permettrait d’appréhender la position des Colombiens et de leurs institutions dans ce système d’échange. Ceci nous permettrait éventuellement de mieux cerner la marge d’action de la Colombie, tout particulièrement à l’heure où l’Amérique latine s’affirme en opposition vis-à-vis de l’ingérence coutumière de la diplomatie de Washington (Venezuela, Bolivie, Nicaragua, Équateur, etc.). Tel n’était probablement pas l’objet de cet ouvrage qui s’attache à démontrer les artifices argumentaires de la stratégie géopolitique des États-Unis. En cela, par sa concision et son approche, il y parvient remarquablement.