Comptes rendus : Études stratégiques et sécurité

Westad, Odd Arne, The Global Cold War. Third World Interventions and the Making of Our Times, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, 484 p.[Record]

  • Jean-François Morel

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  • Jean-François Morel
    Ministère de la Défense nationale, Ottawa

Depuis une dizaine d’années, l’historiographie de la guerre froide se renouvelle d’une façon remarquable, un phénomène provoqué principalement par l’ouverture aux chercheurs de nouvelles archives. Pendant longtemps, la guerre froide n’a pu être abordée que sous l’angle de la confrontation entre les deux superpuissances et là encore, les historiens ne bénéficiaient souvent que de sources primaires en provenance des États-Unis ou des autres pays occidentaux pour appuyer leur analyse. Cette situation a changé avec la chute du mur de Berlin, les archives de l’ancienne Union soviétique étant désormais partiellement disponibles pour ceux qui souhaitent les exploiter. Des efforts de traduction considérables ont aussi été entrepris, notamment par le Cold War International History Program du Woodrow Wilson Center, pour faciliter l’utilisation de ces documents. Cette situation permet aux historiens non seulement de réexaminer les relations entre les États-Unis et l’urss, mais aussi d’élargir considérablement leur cadre d’analyse. C’est dans cette perspective que s’inscrit le livre d’Odd Arne Westad, directeur du Cold War Studies Centre de la London School of Economics and Political Science. Dans The Global Cold War, Westad avance une hypothèse ambitieuse et encore contestée, soit que la guerre froide n’a finalement pas été « une compétition entre deux superpuissances au sujet du pouvoir militaire et du contrôle stratégique, principalement centrée sur l’Europe », mais que ses principaux aspects ont plutôt été liés au « développement social et politique du tiers-monde », une région qu’il définit comme tous les anciens pays colonisés ou semi-colonisés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine qui ont été l’objet de la domination politique et économique des puissances européennes (incluant la Russie) ou des États-Unis. Westad avance en effet que les États-Unis comme l’urss, se prétendant tous deux les successeurs du concept de modernité qui a pris naissance en Europe à l’époque des Lumières, ont été poussés à intervenir dans le tiers-monde pour des motifs avant tout idéologiques, et ce, afin de prouver que leur modèle de développement était le meilleur et pouvait s’appliquer universellement. Pour cette raison, Westad affirme que la guerre froide, du point de vue des peuples du tiers-monde, peut très bien être perçue comme le prolongement des politiques coloniales appliquées par les empires européens avant même le dix-neuvième siècle. Notons au passage que Westad adopte une définition large du concept d’« intervention » dans son livre, par lequel il entend « tout effort concerté et mené par l’État […] pour déterminer la direction politique d’un autre pays ». Cette définition lui permet d’aborder non seulement les interventions armées et les opérations clandestines entreprises par les deux superpuissances pour influencer le développement du tiers-monde, mais aussi leurs interventions de nature plus strictement politique. Affirmons-le d’emblée, la démonstration de Westad est à la fois convaincante et éloquente. Dans les deux premiers chapitres de son livre, l’auteur s’attarde d’abord à analyser les fondements idéologiques qui ont poussé les États-Unis et l’urss à se lancer dans des interventions parfois coûteuses dans le tiers-monde. Pour lui, les motifs fondamentaux qui ont conduit à ces interventions trouvent leurs origines dans les idéologies qui sont à la base de la création des États-Unis et de l’urss, à savoir le libéralisme économique et l’attachement aux libertés individuelles dans le premier cas, le communisme dans l’autre. Les États-Unis comme l’Union soviétique, affirme Westad, ont été « fondés sur des idées et des plans visant à l’amélioration de l’humanité, plutôt que sur les concepts d’identité et de nation ». En somme, bien avant le déclenchement effectif de la guerre froide à la fin des années 1940, les États-Unis et l’urss avaient des …