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Cet ouvrage collectif cherche à faire le point sur l’état de santé des pays andins. Dans ce sens, The Andes in Focus s’inscrit dans une série d’ouvrages publiés depuis la fin des années 1980 par le sais Western Hemisphere-Latin American Studies Program (lasp) qui présente des travaux sur les différentes situations politiques, sociales et économiques vécues par l’Amérique latine.
Ainsi, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et le Venezuela sont-ils passés en revue. Ils sont étudiés sous l’angle d’une triple perspective analytique que R. Crandall qualifie de « trinité insaisissable » (the elusive trinity). Car R. Crandall fait le constat que dans la région andine un des trois piliers fondamentaux nécessaires à la stabilité politique et économique se trouve constamment en crise, qu’il s’agisse de la sécurité nationale, de la démocratie ou du secteur économique. Les auteurs de The Andes in Focus ont donc assidûment recours à cet objet méthodologique pour faire le point sur les différentes réalités des États andins. Néanmoins, l’ouvrage se compose de deux types de contributions : d’un côté, des études de cas considérant les situations par États (chap. 2-7), puis des travaux plus centrés sur l’interaction des politiques extérieures des États-Unis d’Amérique sur l’aire andine (chap. 7-8). Tout au long de ce recueil, les États andins font l’objet d’une étude actualisée et précise qui est d’autant plus intéressante qu’elle puise dans les différentes histoires locales les spécificités de chaque situation géographique. L’escalade de la violence et de la guerre sur une partie du territoire colombien, les fortes polarisations de la scène politique vénézuelienne, la faiblesse des institutions démocratiques au Pérou, les manifestations sociales en Bolivie… sont alors intégrées dans leur contexte spécifique local afin de donner au lecteur des pistes de compréhension, en dehors des flots médiatiques inintelligibles ou politiquement orientés. Toutefois, et compte tenu de ces qualités de mise en situation historique (renforcée par une chronologie très utile à la fin de chaque article), il ne faut pas s’attendre à un travail classique d’histoire contemporaine sur l’Amérique latine tels celui de M. Camagnani, G. Couffignal, A. Rouquié (régulièrement remis à jour) ou plus récemment, celui d’Olivier Dabène (2003). Il s’agit bien plus d’un livre portant sur les actualités essentiellement politiques, sociales et économiques aussi immédiates que possible des pays andins.
Ainsi, dès l’introduction (chap. 1), R. Crandall décrit la démarche méthodologique et les événements macro-politiques qui déterminent les situations économiques et politiques internes à chacun des États. Les initiatives néo-libérales prônées par les institutions internationales, les thématiques liées à la sécurité et les conséquences qu’elles entraînent en termes de démocratie sont rapidement exposées afin d’ouvrir une réflexion sur les enjeux auxquels sont confrontés les États andins. Dans le second chapitre, J. Sweig et M. MacCarthy s’intéressent à la Colombie et exposent très clairement son paradoxe : alors que les statistiques des organismes d’observation internationaux constatent une certaine forme de stabilité démocratique et une croissance économique constante, le pays reste en situation de guerre civile. Jusqu’à l’élection du président Alvaro Uribe en 2002, la menace qu’elle représente pour l’existence de l’État colombien tout entier est depuis un des enjeux majeurs illustrés par l’investissement de la classe politique nationale et de la diplomatie américaine (lutte anti-narcotique, pétrole). Dans le chapitre 3, R. Orias Arredondo décrit la situation bolivienne qui en dépit de la stabilité politique apparente de ces 20 dernières années laisse apparaître une insatisfaction des citoyens, notamment avec l’apparition de groupes indigènes radicaux sur la scène publique. La pauvreté massive, l’irrespect des institutions et de ses représentants, la corruption… ont conduit à une extrême marginalisation de la majorité des Boliviens. Cette dernière qui s’est exprimée par les urnes refuse aujourd’hui de subir l’emprise à la fois des États-Unis et des politiques libérales. Dans le chapitre suivant, R. Orias Arredondo décrit la situation péruvienne qui en de nombreux points relaie l’étude de cas sur la Bolivie. Le Pérou est un État en crise, brisé par les années du pouvoir autoritaire d’Alberto Fujimori. La fuite de son président, les révélations de corruption aux plus hautes sphères de l’État, les conséquences des politiques ultra-libérales dans les années 1990, l’emprise du Sentier lumineux sur une partie du territoire national ont fini de discréditer un système institutionnel péruvien embryonnaire. Pour J.C. Sainz Borgo et G. Paz (chap. 5), le bouleversement qu’a provoqué l’élection d’Hugo Chavez en 1998 s’est traduit par l’émergence d’une polarisation entre pro-Chavez et anti-Chavez. Elle a signifié la mise de côté de l’ordre démocratique au profit de la « Révolution bolivarienne ». Sous Chavez, les institutions se sont considérablement affaiblies, l’économie a répondu aux attentes immédiates des citoyens grâce à la manne que représente le pétrole sans que de véritables feuilles de route ne soient définies sur un plus long terme. Quant à F. Rivera Vélez et F. Ramirez Gallegos, ils portent également un regard assez inquiet sur l’Équateur (chap. 6). La fragilité des institutions publiques, le faible consensus des différents acteurs sur les axes prioritaires du pays, les difficultés sociales qu’impliquent les programmes d’ajustement structurel et de promotion des exportations depuis les années 1980 ne font qu’affaiblir un régime démocratique très jeune (1979) et une économie trop dépendante des déterminants étrangers. Ni sur le plan politique, ni institutionnel ou économique, l’Équateur ne semble en mesure de pouvoir trouver une forme d’assurance. Les deux chapitres suivants, qui illustrent l’imbrication des enjeux politiques et économiques des pays andins avec la politique extérieure des États-Unis, arrivent ensuite à point nommé. Ils permettent de faire le point sur une politique dénoncée avec virulence à la fois en Bolivie ou au Venezuela… Et évidemment, depuis l’arrivée au pouvoir de George W. Bush, l’intérêt des États-Unis pour ces voisins continentaux n’a pas cessé de croître, c’est même un domaine d’action privilégié et pas uniquement pour ce qui relève de la politique anti-narcotique. Le chap. 9 vient ensuite conclure ces riches analyses. Les pays andins apparaissent donc dans des situations de crises multiples à la fois économiques, politiques et institutionnelles et sécuritaires permanentes. C’est assurément l’illustration de la difficulté de leurs différentes réalités étatiques, car c’est bien l’État en soi qui y est en crise. La Colombie qui semble avoir les meilleurs éléments pour satisfaire une certaine forme de stabilité démocratique et économique reste ravagée par trois mouvements militaires, autrement dit l’État ne contrôle pas l’ensemble de son territoire national. En dépit de cela, de nouvelles générations d’hommes d’État apparaissent, insufflant sporadiquement espoir pour les uns et désenchantement pour les autres : Alejandro Toledo n’a pas eu les moyens de redresser le Pérou, il a été défait aux dernières élections de 2006 par Alán Garcia. Evo Morales a accédé à la Présidence en Bolivie en 2005 et s’oppose violemment à l’ordre économique et politique international, provoquant un isolement diplomatique de son pays semblable à celui d’Hugo Chavez au Venezuela quelques années auparavant… Uribe qui a pris le parti de s’associer à la diplomatie américaine semble en revanche garder une certaine détermination à vouloir trouver des solutions pour la Colombie.
En reprenant avec méthode l’histoire contemporaine des États andins, cet ouvrage illustre très bien les récurrences que l’on rencontre à leur endroit. Il relate de manière concise et efficace les différences et les similitudes qui caractérisent les États-nations latino-américains en général et les États andins en l’occurrence. Cet ouvrage intéresse ainsi tout à la fois les généralistes de l’Amérique latine et les politistes qui ont besoin de nourrir leur connaissance de données concrètes.