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Le présent ouvrage constitue en fait les actes d’une conférence réunissant des universitaires et des praticiens, manifestation ayant eu lieu à Berlin au printemps 2003 à l’initiative de la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik, de la Frei Universität Berlin et de la Friedrich Schiller Universität Jena. Bien que le titre ne le laisse point présager, le livre accorde une attention plus particulière à la place du Canada dans les relations internationales, en particulier dans ses relations avec l’Allemagne, les États-Unis, l’Europe et l’otan. Articulé autour de quatre thèmes, l’ouvrage comporte une brève introduction de même qu’une bibliographie sélective.
La première partie s’ouvre sur les points de vue respectifs de deux représentants des gouvernements canadien et allemand. Dans sa contribution, l’ancienne ambassadrice du Canada à Berlin, Marie Bernard-Meunier, insistait essentiellement sur la similarité des positions canadienne et allemande vis-à-vis de la crise puis de la guerre d’Iraq, et en particulier sur le fait que l’argumentaire de l’administration américaine n’avait convaincu ni l’une ni l’autre des deux capitales. De son côté, le coordinateur de la coopération germano-américaine au sein du ministère allemand des Affaires étrangères, Karsten Voigt, mettait l’accent sur l’idée que la relation canado-allemande constitue un élément incontournable, quoique trop souvent ignoré, de la relation transatlantique. Rappelant ensuite la convergence de plusieurs éléments des politiques internationales allemande et canadienne (Protocole de Kyoto, tpi, isaf, etc.), Voigt ne manquait pas de souligner que cette harmonie se retrouvait jusque dans une opposition commune à certaines positions américaines. En dépit de ces divergences entre d’une part le Canada et l’Allemagne, et d’autre part, les États-Unis, le politicien rappelait que les Européens et les Nord-Américains partageaient essentiellement les mêmes valeurs et faisaient face à des défis qui ne pourraient être relevés avec succès que conjointement.
La deuxième partie du livre est consacrée aux politiques nationales canadienne et allemande vis-à-vis de l’otan. David Haglund (Queen’s University) cherche surtout à démontrer en quoi le 11 septembre a modifié les relations bilatérales canado-américaines, ceci afin d’illustrer ce qui différencie cette relation de celle qui unit le Canada et l’Allemagne. Outre la proximité géographique et identitaire, de même que l’interdépendance économique, Haglund avance l’idée d’une « norme stratégico-culturelle de coopération bilatérale » qui, au plus tard depuis 1938, oblige le Canada à coopérer avec son voisin du Sud en matière de sécurité. Puis, examinant l’état des relations transatlantiques, le politologue déboulonne deux mythes opposés : celui voulant que le Canada n’ait que peu d’intérêt envers le développement d’une politique européenne de sécurité et de défense (pesd) ; et celui voulant que l’Europe puisse à terme servir de « contrepoids » à l’omniprésence américaine au sein de la politique canadienne. Pour sa part, Gustav Schmidt (Ruhr Universität Bochum), défend la thèse voulant que la pesd constitue le meilleur moyen de renouveler l’otan en assurant une meilleure défense des intérêts européens dans celle-ci tout en permettant aux pays du Vieux-Continent de pouvoir recourir aux ressources de l’otan lorsqu’une force d’intervention européenne s’avère nécessaire. En clair, Schmidt plaide pour « l’européanisation de l’otan ».
La relation triangulaire Canada/États-Unis/Union européenne constitue la troisième partie de l’ouvrage. Alors que la plupart des contributions se consacrent en grande partie aux questions stratégiques, la contribution de Philip Resnick (University of British Columbia) aborde la relation triangulaire à peu près exclusivement sous l’angle culturel. Faisant un survol historique et actuel des différences qui séparent les Américains des Canadiens en matière de valeurs, Resnick développe la thèse selon laquelle les seconds partagent davantage de valeurs avec les Européens. À son avis, seules la géographie et l’économie expliquent que le Canada « demeurera une société nord-américaine ». Au total, la communauté de valeurs plus étroite établie entre l’Europe et le Canada constitue, quoique uniquement dans une certaine mesure, un contrepoids à l’influence américaine sur l’existence des Canadiens. Markus Kaim (Frierich Schiller Universität Jena) s’intéresse de son côté au rôle du Canada au sein de la pesd, car selon lui, Ottawa s’est toujours considéré concerné par la sécurité de l’Europe. Cela semble encore plus vrai depuis la signature de l’Énoncé conjoint Canada-ue en matière de défense et de sécurité (2000). À l’instar de nombreux analystes, Kaim souligne que le Canada articule généralement une « vision du monde » qui se rapproche davantage de celle de ses partenaires européens que de celle des États-Unis. Cependant, comme l’otan demeure le principal fondement de la politique de sécurité canadienne, le politologue rappelle que le Canada ne peut qu’appuyer le développement d’une pesd qui renforcerait l’otan et éviterait de l’affaiblir en créant une structure rivale. En raison d’une convergence de vue quant aux menaces et aux réponses à y apporter, le Canada voit donc d’un bon oeil le développement d’une pesd multipliant les scénarios possibles pour la politique étrangère canadienne.
La dernière partie examine les relations bilatérales qu’entretiennent respectivement le Canada et l’Allemagne avec les États-Unis. Wilfrid von Bredow (Philipps-Universität Marburg) et Matthias Heise (Frierich Schiller Universität Jena), insistent eux aussi particulièrement sur l’harmonie de vues qui existe entre le Canada et l’Allemagne lorsqu’il s’agit de trouver réponse aux défis sécuritaires internationaux en faisant appel et en renforcant le multilatéralisme, tout en faisant une place accrue à la soft power sans pour autant exclure totalement le recours à la force lorsque nécessaire. Les politologues examinent ainsi la pertinence du concept de sécurité humaine pour les relations internationales, mentionnant au passage que l’Allemagne aurait avantage à reprendre à son compte ce concept développé par le Canada, concept qui, selon eux, s’apparente plus à une nouvelle « appellation » qu’à une révolution de la politique étrangère. Les auteurs abordent en outre les raisons qui ont fait obstacle à une collaboration germano-canadienne plus étroite durant la crise iraquienne. Enfin, Cathleen S. Fischer (American Institute for Contemporary German Studies, Washington) se penche sur l’apparent gouffre stratégique qui semble séparer les États-Unis de l’Allemagne depuis quelques années. Si, l’absence d’un équivalent allemand de la vision « néoconservatrice » à la Wolfowitz peut aider à expliquer ce fossé, il faut surtout, selon Fischer, en chercher l’origine dans les expériences historico-culturelles bien différentes des deux pays. Par exemple, l’auteur affirme que le recours à la force n’est toujours pas aisément admis par les Allemands, ce qui n’est évidemment pas le cas des Américains. De la même manière, la prétention américaine à recourir à l’unilatéralisme « si nécessaire », n’obtient évidemment pas l’adhésion des Allemands pour des raisons évidentes.
Alors qu’il est possible de relever que plusieurs auteurs partagent, le plus souvent avec des réserves, au moins partiellement la thèse de Robert Kagan sur les origines (Mars ou Vénus) des différentes constituantes du monde transatlantique, il faut aussi souligner que si l’écart stratégico-culturel germano-américain (Fischer) existe bien, et que si la « norme stratégico-culturelle de relation bilatérale » canado-américaine (Haglund) existe elle aussi, force est de se demander comment on peut alors expliquer l’étroite identité de vue entre le Canada et l’Allemagne constatée par plusieurs (Kaim, von Bredow et Heise, Resnick) ? En d’autres termes, les contributions de l’ouvrage sont utiles au débat sur les relations transatlantiques même si certains chapitres auraient eu avantage à être approfondis (Bernard-Meunier), alors que d’autres (Schmidt) semblent parfois s’égarer du sujet assigné. Enfin, on peut déplorer l’absence d’un volet plus proprement militaire qui aurait permis de comparer les expériences – semblables à plusieurs égards – des Forces Canadiennes et de la Bundeswehr face aux nouveaux défis sécuritaires post-1989. Néanmoins, il s’agit d’un ouvrage pertinent, a fortiori, parce qu’il traite d’un sujet trop souvent ignoré.