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Je suis souvent déçue, lorsque j’entreprends la lecture d’un recueil d’articles comme celui-ci. C’est que je voudrais voir le sujet annoncé par les directeurs de collections traité dans toute son ampleur, ou à tout le moins retrouver des chapitres qui se tiennent entre eux, plutôt que d’être disparates ou, au mieux, rassemblés sous des en-têtes commodes. Je ne peux tenir rigueur aux directeurs d’études susmentionnés de m’avoir une fois de plus déçue. Si l’on consulte la table des matières, on voit tout de suite que la facilité a pris le dessus sur l’analyse (sans doute la sélection de collaborateurs possibles étant limitée) sur un sujet pourtant brûlant : les courants migratoires de population en Asie septentrionale, phénomène très répandu aux conséquences bien imposantes. Cela explique les carences de l’ouvrage : presque rien sur Taïwan, sinon deux petites pages dans un survol de toute la région ; la situation en Russie est traitée sur le même pied que celle au Japon, pourtant plus importante ; rien sur les migrations illégales, elles aussi plus importantes que l’immigration légale, sauf pour la Corée du Nord vers la Chine, où l’immigration légale n’existe pas. Les auteurs ont-ils manqué leur cible ?
L’onu est l’un des commanditaires de cet ouvrage qui se divise en quatre parties : 1) une étude sur les migrations en fonction de l’évolution démographique de la région ; 2) deux articles sur la migration chinoise vers la Russie ; 3) trois articles sur les communautés russes, chinoises, et coréennes au Japon ; enfin, 4) trois chapitres sur les migrations en péninsule coréenne et en Mongolie. On voit tout de suite que le recueil est dans la même lignée philosophique que son commanditaire et on comprend aussi le choix de la maison d’édition. L’emphase des travaux ne correspond pas tout à fait à l’importance concrète des questions abordées, mais suit plutôt un parcours qui serait jugé philosophiquement plus juste par les auteurs.
Le premier chapitre (et donc, la première partie) examine ce que les changements démographiques et les courants migratoires peuvent avoir comme conséquences pour la sécurité de l’État et le bien-être des populations. Il tente de répondre à de nombreuses questions. Quels sont les changements démographiques en Asie septentrionale ? Quels sont les courants migratoires ? Quelles sont les politiques sur la migration ? Quels sont les effets des courants migratoires transfrontaliers sur les populations des deux côtés de la frontière ? Quelles politiques peuvent favoriser la sécurité nationale et protéger le niveau de vie de la population ? Les auteurs tirent certaines conclusions assez évidentes, par exemple que les préjugés augmentent et que les populations migratoires s’assimilent difficilement. Ils renchérissent en proposant aux divers gouvernements des améliorations assez évidentes mais négligées par les gouvernements en place, telles que le développement des droits de la personne, et pour les immigrants, et pour les populations locales.
Les deux chapitres de la seconde partie du volume se penchent sur les migrations chinoises vers la Russie d’Extrême-Orient. Le premier de ceux-ci analyse les raisons pour lesquelles Russes et Chinois ont peur les uns des autres. Les auteurs tirent une autre conclusion fracassante : les préjugés de part et d’autre s’enracinent dans la propagande qui a jadis accompagné les démêlés politiques entre la Russie et la Chine, et les perceptions de part et d’autre continuent jusqu’à ce jour à être inexactes. Les immigrants légaux chinois n’ayant jamais dépassé le 0,2 % de la population locale, l’impact économique est négligeable. Mais la population russe est mal informée, et la politique gouvernementale russe continue de suivre ces sentiments mal fondés.
Le second chapitre porte sur l’impact des courants migratoires sur la sécurité économique, menace que les deux gouvernements cherchent à mitiger le plus possible. Les gouvernements ne connaissent malheureusement que de modestes succès. La situation ne risque pas de s’améliorer prochainement, puisque les deux gouvernements n’établissent pas les politiques intérieures nécessaires.
La troisième partie de ce volume étudie la situation de trois groupes d’émigrants différents dans trois régions différentes du Japon : les Russes au Hokkaido et à Niigata, les Chinois à Niigata, et les Coréens à la préfecture de Shimane. Dans le cas des Russes, les questions sous examen comprennent les possibilités offertes aux Russes et les obstacles avec lesquels ils transigent, l’impact de la population russe en pleine expansion sur le Japon, les attitudes russes face à la société japonaise et à l’existence qu’ils y mènent, et enfin les problèmes économiques et sociaux auxquels les Russes font face. Les réponses à toutes ces questions correspondent aux attentes de l’observateur averti, conscient du litige géographique des Kuriles qui suscite les passions depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour ne rien dire des siècles d’animosité et de soupçons réciproques qui l’ont précédée. Les auteurs ne distinguent pas entre les immigrants russes qui seraient d’ethnie asiatique ou européenne, ce qui surprendra celui qui connaît la société japonaise ou les phénomènes de discrimination des minorités visibles. L’étude sur les immigrants chinois au Japon traite du problème le plus important en termes simples : les Japonais craignent la venue des Chinois, que leur propre gouvernement permet pour des motifs d’ordre économique ; le gouvernement japonais n’agit pas (et ne saurait pas comment agir, le cas échéant) pour rassurer leurs citoyens sur ces nouveaux venus.
L’objet de la troisième étude est le plus intéressant du volume : le cas des Coréens au Japon. En effet, les Coréens (surtout du nord, avant que la guerre ne scinde la péninsule) habitent le Japon depuis plusieurs générations déjà. Ils représentent le groupe minoritaire le plus ancien et le plus imposant d’une société par ailleurs extrêmement homogène, et ils sont jusqu’à nos jours l’objet de traitements discriminatoires encore très apparents de nos jours.
La quatrième et dernière partie de ce recueil porte sur la péninsule coréenne et la Mongolie. Le premier article de cette dernière section revoit les migrations depuis la Corée du Nord vers la Chine, situation extrêmement pénible où les rapatriements se font dans la violence du côté des autorités chinoises, dans le désespoir du côté des Coréens, et dans les critiques du côté des organismes internationaux travaillant pour les droits de la personne. Le second article examine les politiques de la Corée du Sud en matière d’émigration et d’immigration, qui révèlent une inaction très appuyée de la part du gouvernement. Le troisième article porte sur la situation en Mongolie.
Cette décision de ne rien faire, que les auteurs appellent politique passive, n’est pas seulement l’apanage du gouvernement de la Corée du Sud. Il s’agit là de la méthode de choix de plusieurs gouvernements d’Asie septentrionale en matière d’émigration. La préface est de l’expert le plus connu de l’Amérique travaillant sur l’Asie septentrionale, maintenant professeur émérite, Robert Scalapino. Somme toute, si ce volume n’a pas répondu à toutes mes attentes, je ne m’empêcherai pas de le consulter au besoin.