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L’ouvrage recensé, qui s’inscrit dans le cadre de la littérature qui traite à la fois des problèmes de développement et de démocratisation en Amérique latine, a pour objectif de présenter les principales transformations économiques et politiques encourues au cours des dernières décennies dans cette région du globe. Selon l’auteur, nous assistons aujourd’hui à l’émergence de sociétés ouvertes tant du point de vue politique qu’économique, des sociétés qui, contrairement aux voies empruntées par le passé, font une place de choix aux vices et aux vertus de la démocratie et du marché. Ce texte est original, car il fait état de l’émergence de ce nouveau modèle de développement, qualifié par l’auteur de « politique du possible ». Il s’agit d’une politique qui serait plus modeste, davantage centrée sur le présent que sur les résultats futurs, et qui viserait l’efficacité plutôt que la pureté conceptuelle.

L’histoire de l’Amérique latine est caractérisée par la quête de l’utopie, d’un âge d’or qui ne s’est pas produit jusqu’à maintenant. En effet, du structuralisme au monétarisme, du marxisme au libéralisme, tout un continent aura cherché à atteindre un idéal et des lendemains meilleurs par le biais de ces paradigmes économiques et ces idéologies politiques. Par contre, les stratégies de substitution des importations, de planification et d’interventionnisme étatique, mais également le libéralisme avec excès, n’ont pas donné les résultats anticipés, conduisant à d’importantes impasses politiques et économiques.

Devant ces échecs, au cours des dernières décennies, les pays latino-américains ont rejeté ces paradigmes venus du Nord et ont inventé des institutions et des politiques économiques qui répondent à leurs réalités sociales. Ainsi, l’Amérique latine est donc marquée d’un double mouvement synchronisé de réformes économiques et de transitions démocratiques. Bien que ce double mouvement synchronisé demeure incomplet et imparfait, il n’en demeure pas moins qu’il soit remarquable.

En effet, des pays comme le Chili (chap. 4), le Brésil (chap. 5) ou le Mexique (chap. 6) se sont efforcés de suivre un chemin qui leur est propre en adoptant des politiques économiques pragmatiques qui réunissent à la fois orthodoxie libérale et politiques sociales. Laissant de côté les paradigmes économiques, les autorités économiques de ces pays ont adopté une approche plutôt pragmatique qui contraste avec les thérapies de chocs ou les ajustements structurels qui ont marqué l’histoire économique de ces pays. Elles se sont inventé des institutions et des politiques économiques qui correspondent aux réalités sociales prévalant dans leurs pays respectifs et qui ne sont pas calquées sur des manuels d’économie ou des recettes faites d’avance.

Le Chili demeure sans contredit la meilleure illustration de cette transformation qui marque l’Amérique latine au cours des dernières décennies. Les politiques économiques pragmatiques de ce pays peuvent être illustrées par la nationalisation des banques par une équipe d’économistes en faveur du marché et la privatisation des fonds de pension dans les années 1980. Ces transformations n’ont fait que s’accentuer avec le départ de Pinochet et l’arrivée des démocrates au pouvoir en 1989.

Quant au Mexique, la création de nouvelles institutions qui lui sont propres n’est pas que la résultante de forces endogènes qui travaillent en ce sens, mais il a également bénéficié de la mise en oeuvre en 1994 de l’Accord de libre-échange nord-américain (alena), avec les États-Unis et le Canada, qui agit comme un élément de convergence non seulement en ce qui concerne les taux d’inflation et d’intérêt, mais également en ce qui a trait aux processus institutionnels.

Toutefois, ce ne sont pas tous les pays latino-américains qui connaissent un tel succès. En effet, des pays comme l’Argentine et le Venezuela, traités plus spécifiquement au chapitre 8 de l’ouvrage, ou encore la Bolivie et l’Équateur, ont emprunté des chemins plus erratiques. Ainsi, au lieu de suivre le chemin des réformes gradualistes, pragmatiques et adaptées à leur contexte, ils ont été de nouveau attirés par le chant des sirènes et ont cherché à mettre en oeuvre la formule magique pouvant les guérir de tous les maux. Ceci les a conduits à d’importantes récessions inédites.

Selon l’auteur, l’une des clés du développement réside dans les institutions. Il est nécessaire d’atteindre un équilibre entre la rationalité politique (politiques sociales) et la rationalité technique (politiques macro-économiques). Ainsi, dans les pays où la combinaison de ces deux rationalités, par l’entremise de mécanismes institutionnels formels ou informels, est équilibrée, les politiques économiques « possibilistes » se déploient de manière efficace. Cela dit, il n’existerait aucun processus de développement infaillible ni de solutions uniques qui s’appliqueraient à tous les pays. Tout simplement, certains seraient moins mauvais que d’autres.

Cet ouvrage intéressant, bien documenté, s’adresse à la fois aux étudiants et praticiens sensibilisés aux théories du développement et à celles portant sur la consolidation de la démocratie dans cette région du globe.