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Comment traduire le titre de cet ouvrage dans lequel il est presque essentiellement question de globalization sachant que certains des auteurs de ce collectif insistent pour distinguer globality, globalism et globalization ? Alors qu’en portugais on ne traduit pas globalization par le mot mondialisação, en englobant tout ce qui s’y rapporte sous le vocable de globalisação, le français offre l’avantage d’une distinction. En effet, on s’entend généralement pour utiliser le mot « globalisation » lorsque l’on se réfère, comme l’écrit lui-même E. Mendieta de Stony Broke University (p. 239), pour faire allusion à la McDonalisation ou à la Disneyfication de la planète. Ceci, alors que dans la langue de Molière le mot « mondialisation » sert à décrire le processus qui conduit à l’ouverture des marchés en conformité avec les préceptes du néo-libéralisme. En conséquence, chaque fois dont il est question de globalization dans cet ouvrage, il faut penser en termes de mondialisation. Mais, comme on le verra, ce n’est pas toujours aussi simple.

Cette réflexion sur ce concept qui fait couler beaucoup d’encre est l’oeuvre de 21 auteurs de différentes nationalités, en grande majorité professeurs d’université, nantis d’un curriculum vitae faisant la preuve de plusieurs publications en relation avec la problématique de l’ouvrage. Leurs contributions se répartissent en trois parties : Globalism, Antiglobalismet Globalism in a Global Context. Dans un chapitre intitulé Rethinking the Ideological Dimensions of Globalization, qui se veut une introduction à l’ensemble de l’ouvrage, M. Steger, professeur à l’Illinois State University utilise pas moins de cinq éléments pour caractériser la mondialisation qu’il présente comme « … a multidimensional set of social process that create, multiply stretch, and intensify worldwide social interdependancies and exchanges while at the same time fostering in people a growing awareness of deepening connections between the local and the distant. » Le lecteur comprendra que ce concept a plusieurs dimensions et ne se limite pas à la simple levée des barrières douanières, même si ce semble le cas aux yeux de la majorité des coauteurs du volume. Comme l’indique deux auteurs dans la troisième partie, on ne serait pas en présence d’un phénomène récent puisque certains considèrent les Croisades comme une de ces premières manifestations. Pourquoi pas alors y voir la même chose dans le djihad quelques siècles plus tôt? Je me permets de signaler une divergence d’opinion sur l’assertion devenue célèbre de Francis Fukuyama à propos de « la fin de l’idéologie ». Ici, M. Steger, comme tous ceux qui n’ont qu’une connaissance approximative du fameux essai du philosophe américain, conclut trop rapidement que cet essayiste a tout faux à la lumière de la montée des nationalismes ethniques et des différents fondamentalismes. Chose certaine, à mon avis, ce n’est pas 9/11, comme semble le croire l’auteur, qui remet en cause une thèse dont la pertinence pourra se vérifier, si ce n’est déjà fait, dans… 100 ou 500 ans.

Pour J. M. Mittelman, professeur à l’American University de Washington, dc, les choses paraissent, pour sa part, plutôt simples puisqu’il se demande si on parlerait de mondialisation en l’absence du néolibéralisme. Un point de vue que semble partager de toute évidence sa collègue M. Hawkesworth de Rutgers University en abordant l’exemple très concret du travail domestique des femmes des Philippines qui se retrouvent dans pas moins de 130 pays à la faveur d’une diaspora facilitée par le néolibéralisme. Cette spécialiste en études féminines voit dans ce phénomène rien de moins que le symbole de la mondialisation. L’objectif de ses travaux consistent précisément à démontrer le peu de la place que les gendered dimensions (les questions relevant du sexe des victimes de la mondialisation) occupent dans les travaux sur la mondialisation. Elle fait allusion à une forme d’amnésie sociale dont font preuve la majorité des politiciens, des journalistes et des scientifiques en ignorant l’importance que devrait occuper les injustices dont les femmes sont victimes. Se voulant toutefois positive, l’auteure donne l’exemple de différentes initiatives de prise en main de femmes désireuses d’influencer leur destin. Un des exemples donnés, celui des collectifs de femmes au Sénégal, m’est suffisamment familier pour donner raison à l’auteure.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, qui m’est apparue comme la plus intéressante, T. Carver, professeur à la University of Bristol, se réfère aux écrits de Marx et Engels en voyant dans l’accumulation du capital un plaidoyer remarquable de la mondialisation du système capitaliste. En relisant ces deux pourfendeurs du capitalisme, selon l’auteur, on obtient une solide argumentation à l’encontre des effets les plus pervers de la mondialisation. Des propos que reprend R. Terdiman de l’Université de la Californie à Santa Cruz en apportant de l’eau au moulin des altermondialistes dont l’engagement lors des diverses manifestations allant de Genève à Québec, en passant par celles de Seattle et Davos, serait, à ses yeux, rien de moins qu’admirable. Ceci, cependant, non sans souligner avec ô combien de pertinence que les opposants ne peuvent se contenter de s’opposer mais se doivent de préciser ce que pourrait être, cet « autre monde possible ».

Dans la troisième partie, A. Dirlik de l’University of Oregon s’attarde de façon intéressante sur l’ouvrage bien connu de M. Castells, The Rise of the Network Society, pour faire en quelque sorte le procès de l’État-nation qui serait devenu contre nature, voire disfonctionnel. Il utilise l’exemple de Guangzhou, dans le sud de la Chine où les citoyens n’ont pas tardé à trouver à l’intéreur de l’ensemble du pays des avantages grâce à une forme de partenariat qu’au Québec on qualifierait, dans une certaine mesure de souveraineté-association. Ainsi il écrit : « The nation-sate must allow the regional autonomy that permits succesful regions to participate in the global economy… ». Le lecteur puisera d’intéressantes informations dans des chapitres se rapportant à la Chine, au Japon (où il est question de kosokaikaku : réforme structurelle) et surtout dans le chapitre se rapportant au dar-al-Islam appuyé sur ses trois principes fondamentaux : politique, social et culturel.

Cet ouvrage de réflexions, presque complètement dépourvu de données chiffrées, plaira à n’en pas douter aux altermondialistes, qui, à défaut d’y trouver des propositions pour un monde différent, y puiseront des arguments de nature à conforter leur parti pris.