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Depuis plus de 150 ans, les gouvernements des pays du Nord ont progressivement mis en place des institutions qui, prises ensemble, tendent vers la création d’un gouvernement mondial. Ces diverses institutions de gouvernance multilatérale ont toutes promis dans leur charte respective de bâtir un monde plus équitable sur le plan économique, plus juste sur le plan politique, plus inclusif sur le plan social, voire plus tolérant sur le plan religieux. Au centre de ces initiatives on plaçait les enfants, les femmes, les ouvriers, les dominés, les exploités, les démunis, les réfugiés, les vieux, les malades ; bref, les victimes de toutes sortes de préjugés.
En ce début de 21e siècle, ce petit livre de Craig Murphy entreprend de faire l’inventaire de ces promesses initiales, ainsi que le bilan de leurs impacts réels. Professeur à l’Université de Wellesley et historien du Programme des Nations Unies pour le développement (pnud), Murphy s’attaque depuis des années au besoin d’améliorer, voire de restructurer les institutions internationales actuelles. Il se fixe comme buts d’analyser ce que les organisations multinationales ont accompli ou n’ont pas accompli à date et d’en projeter les conséquences probables si aucune amélioration, redéfinition, ni refonte n’y est portée. Il termine son livre sur des recommandations pratiques.
La thèse de Murphy est que le développement des relations politiques, économiques et sociales entre le Nord et le Sud est tributaire de l’émergence d’un Nouvel ordre mondial digne de ce nom, un ordre basé sur la réciprocité, la compassion, et l’entraide. L’auteur étale son argumentation dans six chapitres successifs organisés autour d’autant de soucis fondamentaux : 1) le fonctionnement des organisations mondiales existantes visant à mieux rencontrer les besoins fondamentaux des êtres humains, 2) les dangers cachés du courant de pensée internationale basé sur le libéralisme, 3) les réponses que les mouvements sociaux ont, ou n’ont pas trouvé au sein de toute une série d’Ordres mondiaux libéraux, 4) les conséquences politiques des inégalités particulières issues de la mondialisation négative, 5) les nouveaux besoins de gouvernance mondiale en ce début de l’Âge du savoir, et 6) les responsabilités particulières que les privilégiés doivent assumer envers les marginalisés de tout type.
À la suite d’une analyse descriptive détaillée des échecs institutionnels, l’auteur conclut qu’un avenir plus juste dépendra de l’attelage des cerveaux et des coeurs des gens les plus puissants de la terre : les leaders des secteurs public et d’affaires dans les pays politiquement et économiquement les plus puissants. Il faut que le weltanschauung de ces gens s’ouvre aux mouvements sociaux de protestation, à l’action politique et aux paradigmes académiques et ce, afin de marier dans chacun de leurs mots et gestes la pensée des intellectuels et les revendications des désespérés. Sinon, il serait déraisonnable d’espérer créer, d’ici la fin du 21e siècle, un monde juste, paisible et prospère pour toutes et tous. Relever ce défi est d’autant plus ardu que même dans les pays nantis, le pouvoir et la richesse tombent le plus souvent entre les mains d’une petite minorité.
Le cadre conceptuel du livre part des besoins fondamentaux, les distinguant des désirs factices générés par l’économie capitaliste de marché. Murphy voit trois solutions possibles pour satisfaire ces besoins : la modernisation libérale, la révolte, et la démocratie. Il rejette la première, car même les défenseurs du capitalisme libéral tels Steven Covey et le pnud l’affaiblissent en admettant que ce qui compte, ce n’est pas les biens matériels mais la paix et le bonheur intangibles qui ressortent d’agir moralement. Murphy prône la vision de Gramsci d’un nouvel ordre postmarxien qui ouvre la porte à des forces jusqu’ici marginalisées. Il y ajoute la pensée importante mais moins connue de Mary Parker Follette, une approche fonctionnelle à la résolution démocratique de conflits qui promet de rappeler aux libéraux les objectifs que leur propre projet social semble avoir oubliés. Murphy regrette dans ce sens que la décennie potentiellement marquante des années 1970 n’ait pas su répondre aux revendications de la part des pays du Sud pour un véritable Nouvel ordre économique internationale (nieo).
Mais Murphy avance qu’il n’est pas trop tard pour y remédier. Maintenant que le dégel est-ouest est entamé depuis une quinzaine d’années, Murphy nous parle d’une « nouvelle inégalité » qui émerge dans la répartition des droits et des niveaux de vie. Les institutions de gouvernance internationale aptes à enrayer cette inégalité sont là sur papier, mais le mandat de bonne gouvernance n’étant toujours pas saisie, leur performance laisse donc beaucoup à désirer. Pour dépressuriser les tensions nord-sud, Murphy suggère de rallier autour de la même table des donateurs, des bienfaiteurs, des intellectuels et des leaders politiques. De cette façon, les gens commenceront enfin à se connaître et à désamorcer le mécontentement engendré par les dimensions négatives de la mondialisation. Car, dans l’analyse finale, les objectifs de la vision libérale et de Gramsci-Follette sont compatibles ; il s’agit de trouver les moyens de les mettre en pratique afin de bâtir des institutions véritablement mondiales pour promouvoir un développement équitable qui démarginalise les démunis de la terre. Pour Murphy, le contact personnel est donc la meilleure façon de sortir de ce qu’il qualifie de « boîtes en métal » de nos façons de faire et de penser habituelles.
Mais par où commencer ? Vu que le nouvel ordre libéral en ce début de siècle se base sur la mondialisation et la chute du projet socialiste, le problème le plus facile, le moins incendiaire à régler pourrait bien être le problème environnemental, si pertinent à régler dans l’intérêt de tout le monde. Après tout, ce sont les marginalisés qui sont forcés malgré leur gros bon sens et leurs meilleures intentions, de détruire les bases de ressources naturelles fragilisées sur lesquelles ils sont appelés à subsister.