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Holding the Line, l’ouvrage dirigé par Heather N. Nicol et Ian Townsend-Gault a le grand mérite de s’interroger sur l’évolution de la notion de frontière, en particulier dans le cadre de la globalisation. Il fait le lien entre les États, c’est-à-dire, les acteurs traditionnels des relations internationales, et les mouvements qui semblent les remettre en cause, en l’occurrence tous les éléments participant de la globalisation. En effet, comme le suggèrent les auteurs, l’ère de la globalisation a produit d’importantes modifications au niveau des échanges entre les hommes. Les questions de sécurité, les sujets relevant de l’organisation de l’économie-monde, de la santé ou encore des questions environnementales… se posent en de nouveaux termes. Or, doit-on véritablement considérer que le concept de frontière a disparu ? D’autres frontières ne continuent-elles pas, au contraire, de dessiner des espaces politiques, qui poursuivent justement leur arbitrage d’un monde globalisé ? Holding the Line, dont le sous-titre est Borders in a Global World, ne laisse plus place à l’équivoque. Ici, l’idée de frontière, notion propre aux États, poursuit son cours même dans un monde globalisé ; il s’agit donc de préciser les choses.

À travers les nombreux auteurs (26), le lecteur est invité à se rendre compte que les expressions tant de la force des États que de la globalisation prennent des formes très dissemblables. Et c’est là que les deux coordonnateurs ont réussi à éviter l’écueil qui les menaçait. En effet, vouloir illustrer le caractère « totalisant » du phénomène de la globalisation aurait pu conduire à une multitude d’études de cas, incomparables au bout du compte et inutilisables dans le cadre d’une démonstration intelligible. Or, dans le cas présent, ils sont parvenus à parfaitement disposer les contributions. Et ce qui aurait pu être un défaut se révèle être ici la qualité essentielle de l’ouvrage.

C’est ainsi qu’une première partie, The World Stage-New Opportunities and Problems, plutôt théorique et introductive s’intéresse aux différentes questions que posent d’une part, 1) la perméabilité des frontières, notamment vis-à-vis d’acteurs (les États) aux frontières disparates (fermées/perméables) (Gerald Blake, Boundary Permeability in Perspective), puis d’autre part, 2) la circulation des capitaux, des biens et des informations et la réaction de États en termes de politique publique (Tom Edwards, Informations Geopolitics. Blurring the Lines of Sovereignty ) et enfin, 3) les ressorts légaux des États face aux flux transnationaux (Robert Adamson, Law, Sovereignty and Transnationalism). Ce premier tour d’horizon pose les jalons des réflexions qui vont suivre. Car de façon très didactique, les contributions suivantes nous illustrent ces questions en les confrontant à des contextes géographiques plus ciblés : d’abord en Europe sur les stratégies des acteurs face à l’enjeu de la construction européenne (part. 2, Regionalism and Subregionalism in Europe), avec les travaux de Eberhard Bort (European Borders in Transition. The Internal and External Frontiers of The European Union) et de James Wesley Scott (Transnational Regionalism, Strategic Geopolitics and European Integration), puis en Afrique et en Asie sur la complexification des échanges continentaux (part. 3, Emerging Perspective), puis aux Caraïbes et en Amérique du Sud sur les formes de coopérations régionales entre États-nations faiblement structurés (part. 4, Redefining Boundaries in Americas), et enfin en Amérique du Nord sur la coopération transfrontalière entre les États-Unis d’Amérique et le Canada dans le cadre de l’alena (part. 5, Borderless North America ?). La confrontation des notions découlant de la globalisation (transnationalisation, flux de biens et de capitaux…) et ses conséquences en termes de structuration de frontières « traditionnelles » notamment dans le cadre d’accords régionaux est ici très bien décrite. La perméabilité de certaines frontières, comme le suggère Gerald Blake dans son article, conduit à la mise en place d’autres frontières, où que nous nous trouvions sur la planète.

La 6e partie, Borders as Metaphors, poursuit ces réflexions en s’interrogeant sur les représentations des frontières. En quoi et comment intériorisons-nous les frontières ? Comment les comprenons-nous ? Les frontières ne sont pas uniquement la résultante d’un dessin géométrique, elles sont aussi le produit d’un dessein politique des États. Ce sont ces représentations que Mathew Coleman et Steven Jakson explorent. Toutes les frontières ne sont pas égales, et certaines le sont moins que d’autres… C’est la démonstration que fait M. Coleman dans son article Permeable Border and Boundaries in a Globalizing World. Feeling at home amidst Global Poverty. Sur l’ensemble de la planète, il se dessine invariablement une sorte de division internationale des richesses définissant par conséquent les espaces de pauvreté. Une fois de plus, ce sont les États et les sociétés qui participent de cette définition de la place de chacun dans le monde. S. Jakson le démontre parfaitement à travers l’exemple malais : les frontières ne font pas que signifier la fin d’un territoire, elles divisent les préoccupations de chacun sur son espace de vie, et de ce fait pérennisent et renforcent les structures du pouvoir. En cela, la partie 6 répond très bien, après le tour d’horizon des parties 2 à 5, aux premiers textes. Elle vient boucler la boucle avant de réfléchir sur de nouveaux espaces frontaliers. C’est la partie 7, Rethinking Borders-Lines, Space and Continua. Cette avant-dernière partie ouvre sur le paradoxe frontalier, lieux d’échanges et de ruptures. Par exemple, William Wood fait écho aux idées avancées par R. Adamson (part. 1) et décrit les difficultés à définir concrètement des frontières géographiques (cartographic representation) dans des contextes hostiles, en particulier dans le cadre d’efforts humanitaires (cas du Kosovo). Ensuite, Alan Henrikson nous confirme que ce sont encore les États qui font les frontières interétatiques, et que celles-ci « tiennent » leur place si les États en question préservent de bonnes relations diplomatiques (bon voisinage). De nombreux exemples viennent étayer cette idée, notamment le conflit entre l’Équateur et le Pérou qui déboucha sur des accords bilatéraux, sous impulsion internationale. Les frontières sont évidemment des lieux de négociations entre États. Cependant, à la lecture de cet article, on regrette que le cas de la Bolivie (pour l’Amérique du Sud) ou que les territoires israélo-palestiniens (on ne peut plus conflictuels !) n’y apparaissent pas. Ce n’est que partie remise puisque le dernier chapitre s’en charge. En effet, la partie 8, Conclusions, poursuit l’idée sous-jacente exprimée par A. Henrikson. Ce sont toujours les États qui déterminent les échanges entre les sociétés (Towards a Geopolitics of Life and Living ; Where Boundaries Still Matter). David Newman ne fait ensuite que parachever ce travail collectif en y insérant une part théorique et méthodologique, l’une ne pouvant se défaire de l’autre (From International to the Local in the Study of Representation of Boundaries).

Une dernière conclusion de Heather Nicol résume parfaitement l’ambition de cet ouvrage. Les frontières restent instables, objets de perpétuelles négociations et de constantes redéfinitions, d’autant plus dans le cadre d’une globalisation décrite comme un phénomène nouveau. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre que les relations économiques et politiques de l’ensemble des Nations ont besoin de frontières. L’exigence constante de plus de sécurité au plan international (surtout depuis les événements du 11 septembre 2001), la volonté croissante d’une plus grande coopération économique internationale, etc. doivent contribuer à renforcer les transnationalismes régionaux ainsi que toute forme d’échange tant au niveau global que local, car des frontières se définissent perpétuellement, à quelque niveau que ce soit, et sur quelque échelle que ce soit.

Alors, l’enjeu des frontières d’aujourd’hui réside bel et bien dans les domaines où elles se dessinent. Il réside dans les limites qu’elles définissent entre les sociétés. En d’autres termes, différentes frontières se superposent les unes aux autres, économiques, politiques, médiatiques, etc. Zaïki Laïdi l’a déjà décrit ainsi dans Un monde privé de sens. Immanuel Wallerstein l’a également suggéré dans L’histoire continue. Pour autant, l’ouvrage dirigé par H. Nicol et I. Townsend-Gault n’en est pas moins intéressant. Il fait le point sur des éléments qui semblent abusivement considérés comme acquis (la remise en question des frontières). Et grâce à l’organisation habile des différentes contributions, il nous permet d’envisager la globalisation sous un angle à la fois pragmatique et intelligent.