Abstracts
Résumé
Si c’est à partir de Thomas Hobbes que la distinction entre État et état de nature apparaît comme un point de départ à partir duquel il deviendra possible de faire reposer l’intelligibilité de l’ordre étatique qui se développe alors, ce n’est cependant qu’avec Jean-Jacques Rousseau que se fera véritablement jour le caractère constitutif de cette distinction. Avec Rousseau, la pensée politique moderne atteint un seuil critique alors même que les contradictions qui l’habitent semblent condamner les États à une guerre perpétuelle à laquelle aucun principe politique ne permettrait de mettre un terme. C’est ce seuil critique que nous entendons explorer dans cet article en nous attardant à la réflexion que Rousseau consacre au domaine des relations internationales. La prise en compte de ce domaine agirait comme un révélateur des contradictions qui traversent la pensée politique moderne.
Abstract
If it is with Thomas Hobbes that the distinction between the state and the state of nature appears as the starting point upon which the intelligibility of the state rest, the constitutive character of that distinction really only shows up with Jean-Jacques Rousseau. With Rousseau, modern political thought reaches a critical threshold while the contradictions inhabiting it seems to condemn states to a perpetual war for which no political principle appears indulged to put an end. It is that critical threshold which is explored in this paper by way of a reading of Rousseau’s reflections about the sphere of international relations. Rousseau’s engagement with international relations reveals those contradictions that cut throughout modern political thought.
Article body
Il nous appartient de commencer au commencement, mais quel est le commencement ?
Cornelia Navari[1]
Même si l’utilisation de l’expression demeure encore prudente et qu’elle donne lieu à des usages variés selon les auteurs, la distinction entre État et état de nature telle que Thomas Hobbes l’articule en 1651 dans son Léviathan[2] s’offre à partir du milieu du 17e siècle comme une dimension véritablement constitutive de la pensée politique moderne. Celle-ci y voit de plus en plus fréquemment un point de départ obligé sur lequel adosser l’intelligibilité d’un ordre politique dont les origines ne peuvent désormais plus être considérées comme indépendantes des motifs qu’eurent les hommes pour le fonder. Cependant la distinction est aussi largement contestée puisqu’elle met apparemment en cause les principes de socialité hérités de la tradition aristotélicienne alors défendue par les jurisconsultes de l’école du droit de la nature et des gens.
À l’instar de Samuel Pufendorf (1632-1694), nombreux sont en effet ceux qui persistent à présumer de l’existence d’un principe fondamental de comportement social permettant que se réalise ce qui est alors considéré comme l’inclinaison des hommes à développer une bienveillance universelle les conduisant à entretenir les uns avec les autres une amitié générale et une société paisible[3]. Selon Pufendorf, et dans la mesure même où elle s’accorde avec l’amour-propre et donc avec ce que Hobbes avait lui-même défini comme le souci qu’ont les hommes de leur conservation, non seulement cette bienveillance universelle ne supposerait « point d’autre fondement ni d’autre motif que la conformité d’une même nature[4] », mais elle ne suggérerait pas non plus aux hommes « de prendre leur intérêt particulier pour unique règle de leur conduite[5] ».
Or, pour Hobbes, et là réside précisément la nuance qui l’aurait selon toute vraisemblance opposée à Pufendorf, même minimaliste et sans doute aussi en mesure d’obliger la conscience morale, une telle bienveillance universelle ne serait malgré tout pas suffisante pour prévenir l’état de guerre puisqu’elle ne fournirait « aucun critère objectif » permettant aux hommes de déterminer par et pour eux-mêmes ce qui serait nécessaire à leur propre conservation[6]. C’est précisément pour ce motif, c’est-à-dire satisfaire l’impératif consistant à assurer leur propre conservation en l’absence d’un tiers disposant de l’autorité nécessaire pour trancher les différends pouvant alors survenir, que les hommes devraient « se dessaisir » de leurs droits respectifs (leur liberté et leur indépendance) au profit d’un Souverain qui serait le seul véritablement à même de garantir cette conservation. Mais, dans ces circonstances, est-ce à dire comme Hobbes semble quelquefois le suggérer qu’une fois dépassé par la fondation de l’État, l’état de nature se trouverait aboli puisque seuls les États souverains s’y retrouveraient[7] ?
Ce que Hobbes appréciera somme toute assez mal en jugeant que « les rapports entre États sont moins menaçants qu’il n’y paraît » et donc en estimant que leurs rapports mutuels ne seraient pas marqués par « cette misère qui accompagne la liberté des particuliers » puisque de toute façon ce n’est pas la guerre étrangère qui justifie l’existence de l’État et que les guerres entre souverains seraient limitées[8], c’est que l’état de nature comme état de guerre ne se trouvait pas véritablement dépassé. En tant que repoussoir[9], cet état resurgirait en effet à leur frontière pour s’installer dans les marges de la pensée politique moderne confrontant par la même occasion celle-ci à une formidable tension que Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) contribuera précisément à apprécier.
La pensée de Rousseau est importante ici car, avec elle, la réflexion sur la distinction entre État et état de nature atteint en quelque sorte un seuil critique[10] qui donne l’impression que la pensée politique moderne, dont Hobbes demeure l’une des principales figures, pourrait bien s’effondrer sur elle-même tant sont pesants les déchirements[11] de l’ordre social sur lesquels elle débouche. Sans contester la vérité anthropologique que Hobbes place au coeur du problème de l’état de nature – c’est-à-dire l’idée selon laquelle l’égalité et l’indépendance des hommes seraient un fait physique plutôt qu’un fait juridique ou normatif comme le voulaient quant à eux les jurisconsultes – et qui, en provoquant un état de guerre de tous contre tous, ouvrirait en quelque sorte la possibilité de concevoir l’état civil ou l’État, et donc en s’abandonnant lui-même largement à l’esprit de cette distinction, Rousseau niera cependant que cette vérité s’appliquerait à l’état de nature et il avancera qu’elle serait plutôt l’effet de l’état social. De cette interprétation à rebrousse-poil surgira l’une des principales contradictions[12] auxquelles serait confrontée la pensée politique moderne qui, comme l’écrira Rousseau, fait que « la guerre naît… des précautions que les hommes ont prises pour s’assurer une paix durable[13] ».
C’est cette contradiction, qui apparaît comme une tragique revanche de l’état de nature et qui rend difficile de penser la scène internationale autrement que sur un mode primitif, que nous chercherons à apprécier dans cet article tout en souhaitant éclairer l’impasse à laquelle cette contradiction confronte la pensée politique moderne lorsque celle-ci est appréciée du point de vue des relations internationales. Au-delà du réalisme un peu sec par lequel on aura souvent caractérisé la réflexion que Rousseau a consacrée au domaine des relations internationales[14], il nous semble que la signification de cette impasse ne peut être véritablement comprise que si elle est située dans le contexte même de sa pensée politique. Or, il ne s’agit pas ici de simplement rendre compte des liens qui existent entre la dimension internationale de la réflexion d’un auteur et le projet philosophique général qui serait le sien[15], mais il s’agit également de mettre en évidence que ce lien est pour ainsi dire constitutif d’un tel projet et donc que l’impasse à laquelle il conduit y est intrinsèquement liée. Dans son rapport à l’État, l’état de nature s’offre ici comme une absence s’opposant à une présence et c’est donc le caractère infrastructurel de cet enchevêtrement ou de la complexité irréductible qui se trouve alors produite[16] – et que la dichotomie entre état de nature et État représente pour la théorie politique en tant que structure de substitution à l’origine de l’État – dont il s’agit en quelque sorte de rendre compte.
Pour ce faire, nous chercherons d’abord à prendre la mesure du long détour sur l’origine de la vie sociale que Rousseau juge nécessaire d’emprunter pour, ensuite, exposer la contradiction dans laquelle se trouverait selon lui profondément enfoncée la pensée politique moderne. Enfin, après avoir ainsi rendu compte de l’originalité de la réflexion de Rousseau, nous serons vraisemblablement mieux à même de dégager les implications de cette impasse que révèle la dimension internationale pour la pensée politique moderne.
I – L’homme tel qu’il est
Avant de parvenir à apprécier la signification de la réflexion que Rousseau consacre aux relations internationales, il convient de prendre la mesure du long détour sur l’origine de la vie sociale que Rousseau juge nécessaire d’emprunter pour tout à la fois s’écarter des fausses thèses de Hobbes sur l’état de nature – des thèses qu’acceptent, en dernière instance, les jurisconsultes eux-mêmes[17] – et y faire ensuite retour de façon à en dégager, mieux que ces derniers n’auraient selon lui été à même de le faire, les implications pour la compréhension de la vie sociale ou de la société politique. Pour Rousseau, en effet, alors même que ceux qui se sont interrogés sur l’origine de la société ont « tous senti la nécessité de remonter jusqu’à l’état de nature… aucun d’eux n’y est arrivé[18] ».
La difficulté serait double ici. Non seulement en confondant l’homme tel qu’il est avec l’homme tel qu’il leur apparaît, Hobbes tout autant que les jurisconsultes apprécièrent-ils faussement la nature de l’homme sauvage à partir du caractère de celui qu’ils avaient sous les yeux, c’est-à-dire à partir de l’homme civil et de son bagage lentement acquis de facultés artificielles telles la raison (Hobbes) et la socialité (Pufendorf) qu’il transporte désormais avec lui. Mais, et peut-être plus fondamentalement, la difficulté tient également au fait qu’entre l’homme sauvage et l’homme civil, l’abîme serait tel que rien ne nous permettrait vraiment de faire le pont entre les deux de manière à parvenir à lever le mystère des origines de la société politique[19]. En effet, nous ne pourrions tout simplement pas, pour Rousseau, présumer d’une nature humaine dont l’essence fondée sur la droite raison serait intemporelle et donc identique aussi bien dans l’état de nature que dans l’état civil. Seuls « deux principes antérieurs à la raison », l’amour de soi et la pitié, seraient en pratique communs aux deux états et ne rendraient pas totalement inconcevable d’envisager une certaine continuité dans la nature humaine[20]. En somme, avancera Rousseau, le dépouillement de cet homme tel qu’il est devant nous, c’est-à-dire la connaissance de l’homme tel qu’il aura été dans le pur état de nature – c’est-à-dire dans le premier ou encore dans le véritable état de nature – nous serait tout à la fois inaccessible, puisque les hommes tels qu’ils sont n’en auront à proprement parler jamais fait l’expérience directe et qu’il se pourrait même que cet état n’ait jamais existé, mais cette connaissance nous serait néanmoins nécessaire, puisque là résiderait la condition nous permettant de juger de façon plus satisfaisante de la situation actuelle.
C’est pour relever ce défi – et Rousseau mesure vraisemblablement très bien toute la difficulté méthodologique que représente la connaissance de cet homme qui n’existe peut-être pas autrement que par supposition[21] – qu’il entreprend dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes [1755], mais sans toutefois prétendre alors énoncer quelconques vérités historiques, d’« éclaircir la nature des choses[22] ». Il s’agirait simplement de parvenir à « creuser jusqu’à la racine[23] » de façon à mieux démêler le naturel de l’artificiel et être ainsi à même de déterminer, d’une part, à quelles dispositions correspondrait la condition du genre humain dans le pur état de nature et, d’autre part, par quelles causes générales ce genre humain en serait finalement venu à quitter cet état pour se résoudre à établir des sociétés civiles.
Considérant la constitution de l’homme sauvage tel qu’il devait être dans la nature, Rousseau voit un animal foncièrement oisif, indolent et solitaire vivant, à l’instar des autres animaux privés de lumières parmi lesquels il est dispersé, avec comme seule véritable préoccupation sa conservation[24]. Bien que « moins fort que les uns [et] moins agile que les autres », cet animal demeurerait néanmoins « organisé le plus avantageusement de tous » puisque n’ayant pas comme les autres animaux un instinct qui lui soit propre, il « se les approprie tous[25] ». Aussi, vraisemblablement plus farouches que foncièrement méchants, les hommes dans ce pur état de nature auraient été bien « plus attentifs à se garantir du mal qu’ils pouvaient recevoir, que tentés d’en faire à autrui[26] ».
Errant dans les bois, n’entretenant pour ainsi dire que les relations passagères exigées par la nature pour satisfaire leurs besoins nécessaires (nourriture et sommeil[27]) et ne connaissant donc que le sentiment de leur propre existence, de tels hommes n’auraient tout simplement pas disposé, selon Rousseau, de l’imagination qui aurait été nécessaire pour résister aux impulsions de la nature. Replié sur lui-même à bonne distance de ses semblables qu’il ne rencontrera que très rarement au cours de sa vie – sans d’ailleurs vraiment s’y identifier – et donc foncièrement « seul au milieu du genre humain[28] », l’homme disposait dans l’instinct de tout ce dont il avait besoin pour vivre dans l’état de nature et il n’était à cet égard pas plus à même que les animaux d’éprouver la tentation d’en sortir que, le cas échéant, de concevoir les moyens d’un tel arrachement à la nature[29].
Il aura fallu, pour qu’une telle tentation survienne et que les moyens surgissent de « perfectionner la raison humaine » que l’homme possédait en puissance[30], les « concours singuliers et fortuits de circonstances » qui, en tant que telles, auraient très bien pu ne jamais survenir[31]. Pour Rousseau, parce qu’elles « sont les plus probables qu’on puisse tirer de la nature des choses[32] », seules ces circonstances contingentes tels les déluges, les éruptions volcaniques, les tremblements de terre ou encore les incendies de forêts permettraient d’expliquer que, confronté sans relâche à une accumulation d’obstacles nuisant d’une manière ou d’une autre à sa conservation, l’homme ait un jour ressenti la possibilité de modifier sa constitution naturelle et éprouvé la nécessité de « changer sa manière d’être[33] ». Sans de telles causes accidentelles pour lui donner l’occasion d’exercer ses facultés et pour le faire agir, c’est-à-dire dans l’hypothèse évoquée par Pufendorf d’un « printemps perpétuel[34] », Rousseau juge en effet que l’homme aurait probablement persisté dans sa profonde indifférence face au spectacle uniforme de la nature[35]. Partant en quelque sorte « toujours du même point » et multipliant inutilement les générations[36], l’homme serait alors indéfiniment demeuré dans cet état primitif puisque ses besoins – qui sont véritablement les seules causes à l’origine de ses actions – ne se seraient vraisemblablement pas modifiés de manière à rendre possible ou même nécessaire le perfectionnement des facultés qu’il ne possédait précisément qu’en puissance.
Ce sont donc ces causes, entièrement étrangères à sa constitution naturelle, qui vont finalement forcer l’homme à se rapprocher de ses semblables, alors même que l’effet des besoins physiques nécessaires aurait précisément consisté à le faire s’éloigner d’eux[37]. Ainsi, en déclenchant le processus de perfectibilité, ces causes provoquèrent-elles l’anéantissement du pur état de nature dans lequel l’homme baignait pour ainsi dire innocemment, c’est-à-dire stupidement ou imbécilement puisque, justement, il ne possédait pas même l’instinct des animaux. C’est donc de manière tout à fait contingente que l’homme sort de ce pur état de nature, non pas comme le voudra Hobbes par un acte de raison que celui-ci aurait soudainement découverte prête à être utilisée ou encore comme le voudra cette fois Pufendorf par un acte de socialité qui se serait tout aussi soudainement manifestée à lui telle une évidence, mais plutôt par un acte de liberté sans conscience très claire de lui-même. Un acte de liberté que Rousseau oppose ici, pour dédommager l’homme de ce qui finalement « lui manque peut-être » écrit-il[38], à l’instinct non perfectible des animaux. Présente dans le pur état de nature, cette perfectibilité n’ajouterait cependant rien à sa constitution naturelle – elle n’exprime ni une nature humaine comme chez Hobbes ni une essence humaine comme chez Pufendorf – et il aurait très bien pu se faire, précise Rousseau, qu’elle ne soit jamais activée puisque la cause l’ayant déclenchée était étrangère et indépendante.
En cherchant ainsi à « éclaircir la nature des choses », Rousseau se trouve non seulement à réfuter l’hypothèse de la socialité chère aux jurisconsultes et celle de la raison chère cette fois aux philosophes, mais aussi l’hypothèse que les uns et les autres partagent l’idée selon laquelle l’état de nature serait naturellement un état de guerre. Pour Rousseau, ni l’une ni l’autre hypothèses ne seraient satisfaisantes et, si Hobbes a « très bien vu le défaut de toutes les définitions modernes du droit naturel » en tant que reconnaissance du droit naturel d’autrui, les conclusions qu’il tire de sa critique seraient néanmoins injustifiées puisqu’il ne semble pas vouloir comprendre que cela même qui empêche les hommes « d’user de leur raison … les empêche en même temps d’abuser de leurs facultés ». En somme, conclut Rousseau, les hommes dans le pur état de nature ne peuvent tout simplement « pas être méchants … parce qu’ils ne savent pas ce que c’est qu’être bons[39] ». Par conséquent, le souci qu’ils ont d’assurer leur conservation ne pourrait se traduire par une volonté de « convoitise illimitée et indomptable » produisant un état de « guerre générale d’homme à homme[40] », car les besoins que requiert cette conservation sont insuffisants pour nourrir les passions que cette volonté suppose. Bien au contraire avance Rousseau, « l’état de [pure] nature étant celui où le soin de notre conservation est le moins préjudiciable à celle d’autrui, cet état était par conséquent le plus propre à la paix[41] ».
Ironisant ainsi sur la façon dont jurisconsultes et philosophes avaient, en présumant à tort que l’homme entretenait des relations nécessaires avec ses semblables, dépeint l’état de nature comme un état de conflictualité potentiel dont les conditions de misères auraient justifié la formation d’une société politique, Rousseau en arrive à la conclusion apparemment paradoxale que, certes, les hommes « s’attaquaient dans la rencontre, mais ils se rencontraient rarement. Partout régnait l’état de guerre, et toute la terre était en paix[42] ». C’est à partir de cette conclusion que Rousseau cherche à saisir la signification de l’apparition des sociétés humaines et à en mesurer les répercussions pour l’association politique qu’une sorte de fatalité – cette nouvelle condition humaine évoquée dans les premières pages de l’Émile[43] – rendra pour ainsi dire nécessaire.
II – L’homme dénaturé et les fondements de l’État
Pour Rousseau, dans la mesure où le premier état de nature est pour ainsi dire irrémédiablement « clos sur lui-même », il ne saurait pas plus constituer une véritable origine que servir de prélude à un raisonnement dont l’association civile ou politique serait la seule conclusion logique[44]. Contre une telle chimère[45] qui fait directement sortir la société politique de l’état de nature et de la guerre de tous contre tous que cet état suppose, c’est au contraire à partir du lent processus qui voit d’abord s’effacer le pur état de nature et ensuite apparaître un nouvel état de nature au sein duquel « les liaisons s’étendent et les liens se resserrent » entre les hommes, qu’il conviendrait finalement, selon Rousseau, d’apprécier l’apparition d’un état de guerre du type de celui qui existerait à l’état de nature entendu conventionnellement à la suite de Hobbes et des jurisconsultes.
Mais l’état de cette société générale – qui n’est pas encore politique puisque les hommes y sont toujours unis par leurs moeurs et leurs caractères plutôt que « des règlements et des lois[46] » – ne serait ici qu’un effet identifiable a posteriori, plutôt qu’une cause déterminable a priori, des premières associations. Par conséquent avance Rousseau, l’établissement ultérieur de nouvelles associations politiques ne viendra en pratique que suppléer cette seconde nature de l’homme dénaturée pour corriger, grâce à l’art politique justement, le défaut de cette société générale naissante[47]. En effet, en multipliant ses besoins et donc sa dépendance, cette nouvelle société rapproche, en l’assujettissant, l’homme de ses semblables tout en accentuant des passions qui rapidement le diviseront et provoqueront le plus affreux désordre social[48]. Ainsi Rousseau juge-t-il que « moins nous pouvons nous passer » de nos semblables, plus nous devenons des ennemis les uns pour les autres puisque, dans une telle proximité où la distance les séparant se trouve réduite, « chacun ne verrait que son intérêt, ne suivrait que ses penchants et n’écouterait que ses passions[49] ». Tant qu’un tel état durera, précise Rousseau, il sera « une source de crimes et de misères » pour les hommes qui, devenus sourds à la nature qui ne leur offrirait plus de point de repère, auront définitivement perdu la paix, l’indépendance et l’innocence.
Alors seulement, c’est-à-dire au terme de cette inexorable dénaturation de l’homme, Rousseau rejoint-il Hobbes pour discerner dans ce nouvel état de nature distinct de celui par lequel l’homme naturel aurait commencé, une situation sociale où « tout se ramène à la seule loi du plus fort[50] ». L’accord avec Hobbes demeure cependant limité ici puisque, pour Rousseau, ce n’est pas tant cet homme naturel qui serait en jeu, que l’homme d’ores et déjà dénaturé par les contacts qu’il lui est désormais nécessaire d’entretenir avec ses semblables.
En effet, contrairement au pur état de nature au sein duquel cette loi du plus fort serait tout simplement vaine[51] écrit-il, c’est leur dénaturation et leur socialisation qui poussent finalement les hommes à vivre dans des circonstances misérables face auxquelles l’union plus ou moins stable qu’ils forment pour satisfaire ces nouveaux besoins n’offre aucune véritable protection. Or, pour Rousseau, la conséquence inévitable de cette société naissante au sein duquel l’existence des hommes dépend désormais d’une multiplicité « de rapports sans mesure, sans règle, sans consistance … qui sont dans un flux continuel » est que « le bonheur de l’un » fait en général le « malheur d’un autre[52] ». C’est que, soutient Rousseau, ce nouvel ordre des choses « ne donne de nouvelles forces qu’à celui qui en a déjà trop, tandis que le faible, perdu, étouffé, écrasé dans la multitude, ne trouve nul asile où se réfugier, nul support à sa faiblesse et périt enfin victime de cette union trompeuse dont il attendait son bonheur[53] ».
Ainsi, en ayant spontanément usé de cette liberté à laquelle renvoie la notion de perfectibilité – un usage qui ne renvoie pas à une quelconque forme de causalité mécanique ici mais qui apparaît tout au contraire sui generis[54] –, les hommes se trouvèrent-ils lentement engagés dans un état de constantes luttes sociales rendant pour ainsi dire nécessaire l’établissement des institutions politiques.
C’est par analogie avec la rivalité sociale qui surgit dans la foulée de l’apparition de la propriété foncière que Rousseau conçoit donc, au-delà du droit naturel proprement dit que possède un homme sur ce qui est physiologiquement nécessaire à sa subsistance[55], l’émergence du droit positif et l’établissement des institutions politiques. Contre John Locke (1632-1704) – qui avançait qu’au-delà de l’appropriation naturelle des fruits essentiels à sa subsistance (propriété des fruits), l’appropriation des fonds (propriété foncière), c’est-à-dire des biens telle la terre qui, par le travail et la culture du sol, deviennent consommables, n’empièterait pas sur « l’abondance des provisions naturelles » et ne porterait donc pas préjudice aux droits d’appropriation naturelle des autres hommes[56] – Rousseau juge que si « … les fruits [de la terre] sont à tous », celle-ci ne serait quant à elle à personne.
Le problème survient selon Rousseau de ce que lorsque, après avoir d’abord « enclos un terrain », un homme déclare ensuite « ceci est à moi[57] », il transforme ce qui ne serait en pratique rien d’autre qu’une usurpation – la propriété foncière demeure en effet selon Rousseau une modalité particulière du droit du plus fort ou du droit du premier occupant – en un « véritable droit [positif][58] ». Dès lors, plutôt que de refléter le droit naturel proprement dit qui repose sur les besoins liés à la subsistance, la propriété foncière – et le travail qui, selon lui, participe d’une activité peu nécessaire rendue possible par un partage préalable de la terre[59] – serait plutôt le résultat de l’usage que les hommes ont fait de leur liberté. Aussi la propriété foncière, en couvrant rapidement tout le territoire, marquerait-elle une véritable révolution. Elle transformerait non seulement les rapports de l’homme à la nature, mais, surtout, elle provoquerait plus insidieusement une dégradation des règles du droit naturel proprement dit en induisant une limitation implicite du droit de se maintenir en vie puisque la propriété foncière se traduit par « la domination et la servitude » de ceux (les surnuméraires formant la multitude) qui, n’étant pas eux-mêmes propriétaires et « manqu[ant] du nécessaire », doivent désormais « recevoir [des riches] ou … ravir [aux riches] leur subsistance[60] ».
C’est cette révolution et la dégradation des règles du droit naturel qu’elle aura provoquée qui sont responsables du désordre social caractérisant ce nouvel ordre des choses qui, sans qu’un retour en arrière ne soit désormais possible, plonge les hommes dans un « horrible état de guerre[61] ». Ce sont précisément ces règles qu’il faudrait parvenir à « rétablir sur d’autres fondements » estime Rousseau[62], de manière à tirer l’homme et le genre humain de cette condition de guerre générale dans laquelle ils sont plongés. La solution passera par le droit naturel raisonné qui, pour Rousseau, vient en quelque sorte compléter le droit naturel proprement dit en établissant un droit positif et des institutions politiques qui permettront tant aux riches qu’aux pauvres, de jouir du résultat d’un usage de la liberté et des avantages que ces institutions procurent. Ainsi les riches jouiront-ils de la propriété foncière alors que les pauvres pourront, quant à eux, jouir de l’unique bien dont ils disposent en pratique, c’est-à-dire de la liberté[63]. Aux inégalités physiques qui surgissent dans les « bornes posées par les mains de la nature[64] » – inégalités dont feraient partie les inégalités relatives à la propriété des fonds – le droit positif et les institutions politiques permettraient ainsi de substituer une égalité juridique et morale qui « rétablit dans le droit l’égalité naturelle entre les hommes[65] » rendant ainsi possible la liberté qui, autrement, ne pourrait subsister.
La formation de l’État ne met cependant pas véritablement un terme à la condition de guerre à proprement parler puisqu’elle en est non seulement le produit direct, mais qu’elle contribue également à la perpétuer en consacrant pour ainsi dire l’usurpation qui l’avait initiée au départ. C’est ainsi le droit positif et les institutions politiques qui garantissent ou légitiment de droit la propriété foncière même si, par ailleurs, celle-ci ne cesse pas pour cela d’être une usurpation de fait. Pour Rousseau, la formation de l’État apparaît donc rationnellement nécessaire, car la seule véritable solution alternative aurait consisté pour les hommes à refuser de s’accommoder d’une telle usurpation, c’est-à-dire à refuser que l’un d’entre eux déclare « ceci est à moi » et à arracher les pieux dont celui-ci se servait pour s’approprier ce qui n’était à aucun d’entre eux[66]. Or, cette alternative n’offrait vraisemblablement pas une solution rationnellement préférable puisqu’elle brimerait l’usage de la liberté par les hommes. Cette possibilité écartée et prenant de plus en compte le fait que, pour Rousseau, « en sortant de l’état de nature, nous forçons nos semblables à en sortir aussi[67] », il ne restait donc que les droits positifs et les institutions politiques qui, malgré qu’ils soient certes « imposé[s] par la nécessité », devraient néanmoins être transformés « en état de raison » par cet art dont les hommes sont capables. Ainsi ces derniers se trouveraient donc, en construisant le droit positif et en fondant des institutions politiques, à poser, volontairement et pour ainsi dire en toute rationalité, de nouvelles règles pour la liberté[68].
Pour Rousseau, toute rationnelle qu’elle soit, cette solution qui apparaît avec le droit naturel raisonné demeure néanmoins artificielle puisqu’elle n’est pas, en tant que telle, bornée par des limites « posées par les mains de la nature ». Bien qu’il possède « tout ce qui est nécessaire à [sa] conservation[69] », un État n’a en effet, et contrairement aux hommes, « nulle mesure déterminée » ; l’État comporte tout au contraire une grandeur purement relative qui fait qu’il ne connaît à proprement parler aucune limitation. Dès lors, précisément du fait de son caractère artificiel et des relations « intimes » qu’il entretient avec les autres, l’État est pour ainsi dire « forcé de se comparer sans cesse pour se connaître » et il se sent donc faible « tant qu’il en est de plus forts que lui[70] ». Or, à l’instar des hommes cette fois qui, sitôt qu’ils commencent à se comparer les uns aux autres, deviennent ennemis les uns des autres[71], lorsqu’ils sont « livrés à leurs propres impulsions » les États tendent-ils « à leur destruction mutuelle[72] » en produisant toutefois « des chocs plus terribles à mesure que leurs masses l’emportent sur celles des individus[73] ».
III – L’impasse de la pensée politique moderne
Ainsi, contrairement à Hobbes et à la tradition des jurisconsultes pour qui les relations entre États semblent plus pacifiques que celles auxquelles les hommes seraient confrontés dans l’état de nature, pour Rousseau les jeux ne seraient pas faits une fois cet état dépassé. En effet, une fois les États fondés rationnellement de manière à prévenir les guerres et à assurer la paix civile, d’autres guerres plus générales s’allumeraient alors inévitablement qui seraient selon Rousseau « mille fois plus terribles[74] ». Voilà où nous aurait conduit le processus de dénaturalisation de l’homme qui, en le privant de son indépendance, l’aura transmise aux États[75]. Restants, quant à eux, dans l’état de nature, qui vaut pour Rousseau comme état de guerre, ces derniers « se ressentirent bientôt des inconvénients qui avaient forcé les particuliers d’en sortir ; et cet état [de nature] devint encore plus funeste entre ces grands corps qu’il ne l’avait été auparavant entre les individus dont ils étaient composés[76] ».
Plus funeste, en effet, car la démarche dans laquelle se sont engagés les hommes ne peut être envisagée par les États. C’est que, pour Rousseau, les inconvénients qui surgissent de cet état de nature seraient constitutifs de la nature même des États plutôt qu’ils ne découleraient, comme cela était le cas pour les hommes, des seules circonstances dans lesquelles ceux-ci se trouvent plongés[77]. Certes, juge Rousseau, la réalisation d’un projet de gouvernement confédératif, du type de celui envisagé par l’Abbé de Saint-Pierre (1658-1743) unissant les États sous l’autorité d’une même loi, représenterait un intérêt réel et offrirait des « avantages … immenses, clairs, incontestables[78] ». Mais, l’intérêt apparent qui commande le plus souvent, parce qu’ils cherchent de manière générale à « étendre leur domination au dehors et [à] la rendre plus absolue au dedans[79] », pousse ceux ayant la charge de ces États à maintenir les préjugés concernant le caractère utopique d’un tel projet et à se soumettre à la fortune du plus fort plutôt qu’au bon sens. Dès lors, l’expression d’une volonté générale internationale qui vaudrait entre les États eux-mêmes comme s’ils étaient les membres individuels d’un corps politique international semble impossible à réaliser pour Rousseau puisque la loi de nature apparaît précisément comme la volonté générale de ce pseudo corps politique[80]. Dans ces circonstances, et faute de posséder une capacité de sanction, le droit des gens ne serait rien de plus qu’une chimère[81] alors même que la paix et les traités de paix ne signaleraient souvent rien d’autre qu’une trêve passagère que la première occasion incitera à rompre[82].
C’est ainsi que se fait jour, dans l’esprit de Rousseau, la présence d’une profonde contradiction découlant de la division du genre humain provoquée par la perfectibilité de l’homme. En effet, alors que les hommes vivraient désormais dans l’état civil et soumis au droit positif et aux institutions politiques, les peuples demeureraient quant à eux dans l’état de nature puisqu’ils disposeraient toujours de la « liberté naturelle » qui leur échoit en pratique lorsque les hommes fondent le droit positif et les institutions politiques. Or, pour Rousseau, une telle situation serait « pire que si ces distinctions étaient inconnues », car les hommes apparaissent alors invariablement assujettis aux inconvénients de l’ordre social (en tant que citoyen d’un État) et de l’état de nature (en tant qu’homme appartenant aussi à l’espèce humaine) sans cependant parvenir à trouver la sécurité dans aucune des deux situations.
Confronté à la mise au jour de cette contradiction manifeste dans la constitution du genre humain, contradiction surgissant de nulle part ailleurs que des précautions que les hommes ont cru bon de prendre « pour s’assurer une paix durable », Rousseau renoncera finalement à surmonter ce qui lui apparaîtra au terme du Contrat social, comme « l’impossible accomplissement de [son] idéalité politique[83] ». Contre les jurisconsultes et les philosophes, Rousseau a en effet bien montré que les querelles et les discordes qui opposent quelquefois les hommes ne sont à proprement parler pas des guerres et que l’état de guerre ne leur serait donc absolument pas naturel. Au contraire, insiste-t-il, puisqu’un tel état de guerre suppose des relations constantes demandant une disposition mutuelle et une résolution durable à s’entre-détruire l’un l’autre, il serait de fait consubstantiel à la formation des corps politiques et n’existerait de droit qu’entre les États[84]. Dès lors, l’état de guerre ne saurait, aussi simplement que ne le voudra la théorie politique à la suite de Hobbes, être rejeté dans un passé antérieur que la formation des corps politiques aurait justement permis de dépasser. Partant, l’état de nature tel que l’entendait Hobbes en tant que repoussoir de l’État apparaît avec Rousseau, de fait comme de droit, comme étant infrastructurellement lié, en tant que condition de possibilité, à la formation des États dont ce serait le destin d’exister pour et par la guerre, jusqu’à ce qu’un État absorbe finalement tous les autres[85].
L’impasse est donc bien réelle. Pour parvenir à la surmonter, Rousseau juge qu’il lui faudrait non seulement démêler le fatras que représente le droit des gens, mais, puisque la contradiction semble par ailleurs présente « au coeur même du projet politique », sans doute lui faudrait-il également remanier jusqu’aux principes établis dans le Contrat social[86]. Dans une certaine mesure, et au moment même où mettant un point final au Contrat social, Rousseau juge avoir « posé les vrais principes du droit politique », il estime en effet que tout le travail resterait encore à faire; un travail qu’il jugera vraisemblablement trop vaste et qu’il laissera finalement inachevé[87]. Face à cette renonciation – et, au-delà de l’idéal patriotique et nationaliste qu’il envisage pour la Pologne et pour la Corse[88], Rousseau ira même jusqu’à s’interroger pour déterminer s’il n’aurait pas mieux valu pour les hommes qu’il n’y ait tout simplement pas d’État « plutôt que d’en avoir plusieurs[89] » – ce qui apparaissait comme une contradiction pour le genre humain prendra la forme d’une impasse frappant de plein fouet la pensée politique moderne ; laquelle serait prise dans les rets de cette division politique que Hobbes a introduite en cherchant à penser l’État.
Le constat auquel en arrive Rousseau, après avoir renoncé à examiner l’État sous l’angle de ses relations externes, est à bien des égards tragique. En effet, alors qu’il s’agissait d’établir les conditions d’un pacte de paix entre les hommes, voici qu’une fois satisfaites, ces conditions font (re)surgir le spectre d’une guerre plus terrible encore que celle à laquelle ceux-ci s’étaient auparavant trouvés confrontés. Aussi ne s’agit-il plus ici pour Rousseau, à l’instar des jurisconsultes et des philosophes qui l’ont précédé, de supposer que la paix succède à une guerre qui serait refoulée dans le passé. Au contraire, il s’agit tout à la fois de constater que la guerre succède bel et bien à ces promesses de paix faites au nom de l’État et de reconnaître que, plutôt que d’en précéder la formation, cet état de guerre représente l’horizon sur lequel ouvre l’existence nécessairement plurielle des États.
L’état de nature qui s’offrait chez Hobbes comme l’Autre de l’État, un Autre le précédant temporellement et s’effaçant ensuite lui-même face à la prétendue plénitude de l’État, se trouve à la suite de la déconstruction effectuée par Rousseau, déplacé à la frontière de celui-ci. La guerre internationale est ici le double de l’État, représentant quelque chose comme sa seconde nature. L’état de nature en tant que repoussoir qui permettra à Hobbes de concevoir le vide d’une présence – soit celle de l’État considéré comme un être fini qui ne serait pas à même, autrement, de penser son origine – se trouve à nouveau rejeté hors des frontières de l’État mais projeté sur le même plan temporel que lui cette fois. La temporalité de l’état de nature devient ici spatialité et, si cette spatialité n’est pas à proprement parler au présent, puisque l’État occupe justement cette position intermédiaire, elle en marque incontestablement l’avenir[90] puisque c’est cette condition de possibilité de l’État elle-même qui crée la différence dont l’État se réclamera ensuite. Une différence qui, multipliée par l’ensemble de ces existences étatiques qui apparaissent simultanément, devient donc pour ces États une « donnée du présent qui se prolonge dans l’avenir[91] ».
Conclusion
L’impasse sur laquelle débouche la réflexion de Rousseau nous permet de rendre compte du moment constitutif[92] que représente selon toute vraisemblance le seuil critique que ce dernier fait franchir à la pensée politique moderne. Avec Rousseau, sans doute est-ce la première fois que cette pensée – qui fait de l’État le seul réceptacle de la cohésion collective et l’unique destin politique de l’humanité – est confrontée à la question internationale – c’est-à-dire à la question de l’irréductible pluralité des États qu’aucun horizon commun ne viendrait plus encadrer – comme problème pour la pensée politique moderne. Il s’agirait là d’un problème constitutif puisque c’est précisément cette pluralité et ses effets apparemment délétères, qu’il s’agissait de fuir en échappant à l’état de nature, qui resurgissent comme un double à la frontière de ces nouveaux corps souverains et qui nous forcent à concevoir l’état de nature non plus comme une différence à l’origine mais comme un état de guerre réel.
Pourtant, et peut-être plus fondamentalement encore, l’intérêt que représente la réflexion de Rousseau vient de ce que cet état de guerre perd ici les attributs naturels que Hobbes lui prêtait pour acquérir les qualités d’une institution sociale découlant de l’existence même de ces personnes publiques[93] créées grâce à l’art politique. C’est pourquoi l’état de guerre apparaît avec Rousseau plus terrible encore que celui qu’avait imaginé Hobbes puisque, contrairement à celui des hommes, l’appétit de ces personnes publiques ne connaîtrait précisément pas de limite naturelle.
Avec Rousseau, c’est en quelque sorte tout le projet de la théorie politique moderne qui se trouve ébranlé. Alors que Hobbes souhaitait atteindre un idéal politique qu’aucune différence ne pourrait plus venir perturber puisque celle-ci se trouvait refoulée dans une temporalité la situant en deçà de l’État, Rousseau fait littéralement éclater cet idéal en montrant que c’est la fondation de cet État qui est elle-même à l’origine d’une différence qui le guette toujours depuis l’état de nature qui surgit à sa frontière. Fruit des précautions que les hommes auront jugé bon de prendre pour « s’assurer une paix durable » en croyant alors laisser la guerre derrière eux, la voici poindre à nouveau, mais devant eux cette fois, aux frontières des États qu’ils viennent de construire. Tandis que Hobbes s’efforce de faire oublier la guerre pour mieux célébrer les tranquillités de la paix civile, Rousseau s’acharne à nous rappeler cette guerre en suggérant qu’elle se trouverait comme en contrepoint de cette tranquillité tant célébrée par la théorie politique.
Ainsi Rousseau juge-t-il que cette tranquillité serait douteuse. En effet, que gagneraient au juste les hommes d’une telle paix civile si les « désolations » qu’entraînent par ailleurs les guerres extérieures « les désolent plus que ne le feraient leurs dissensions[94] ? » Avec Rousseau, l’État n’est donc plus uniquement mesuré à l’aune des calamités naissant de son absence, mais bien en regard des contradictions qui naîtraient de sa présence et de la féroce volonté de puissance qui semble être la sienne. Ainsi la réalité de la vie politique se trouve-t-elle irrémédiablement divisée ici et la pensée politique moderne apparaît sans grand espoir de jamais parvenir à opérer une réconciliation qui serait véritablement satisfaisante puisque c’est elle-même qui, à l’origine, aura produit cette division en cherchant ce faisant à fonder l’État.
Appendices
Remerciements
L’auteur tient à remercier le directeur de la revue Études internationales, Gordon Mace, pour son invitation initiale et son soutien indéfectible lors de la longue gestation de ce numéro spécial, Jens Bartelson pour ses encouragements lors de la phase finale de la préparation de ce numéro ainsi que Klaus-Gerd Giesen pour les divers échanges qui ont conduit à la planification de ce numéro. Il souhaite également remercier la doyenne de la Faculté des arts et des sciences sociales de l’Université de Moncton, Isabelle McKee-Allain, de son support financier pour la traduction de l’un des textes.
Notes
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[1]
Cornelia Navari, « Knowledge, the State and the State of Nature », dans Michael Donelan (dir.), The Reason of States. A Study in International Political Theory, Londres, George Allen & Unwin, 1978, p. 102.
-
[2]
Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Sirey, 1971, pp. 121-127.
-
[3]
Contrairement à Hobbes, les débats qui animent les jurisconsultes concernant l’état de nature ne porteront pas uniquement sur le rapport à autrui qui s’y établit, c’est-à-dire sur le fait qu’il s’agisse d’un « état de paix, ou ... de guerre », mais aussi sur la manière dont il convient de considérer cet état de nature en lui-même, c’est-à-dire avec ses inconvénients, certes, mais aussi avec « les droits qui l’accompagnent ». Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, tome 1, Caen, Centre de philosophie politique et juridique, Université de Caen, 1987, pp. 149, 195, 200.
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[4]
Ibid., pp. 200-201.
-
[5]
Ibid., p. 165.
-
[6]
Ce point est noté par Richard Tuck, The Rights of War and Peace. Political Thought and the International Order from Grotius to Kant, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 135.
-
[7]
Pierre Manent, Naissance de la politique moderne. Machiavel/Hobbes/Rousseau, Paris, Payot, 1977, p. 65.
-
[8]
T. Hobbes, op. cit., pp. 126, 175. Curieusement, même s’il invoque la posture dans laquelle se trouvent ces personnes souveraines, Hobbes n’accorde guère d’attention aux relations politiques que les uns et les autres entretiennent entre eux ainsi qu’aux débats, importants à l’époque, sur le droit de la guerre. Pour Hobbes, le « droit de décider de la guerre et de la paix avec les autres nations » serait généralement motivé par des considérations de politique interne, soit par « la défense du peuple » ou encore par la recherche du « bien public », ibid., p. 186. Dès lors, l’on pourrait penser que pour Hobbes, la politique étrangère d’un État serait foncièrement prudente et possiblement même pacifique puisque l’état de nature dans lequel celui-ci se trouve est précisément modifié par la raison qui « suggère des clauses appropriées d’accord pacifique », ibid., p. 127. Sur ce pacifisme, on consultera Hedley Bull, « Hobbes and the International Anarchy », Social Research, vol. 48, no 4, 1981, pp. 728-729, ainsi que Richard E. Flathman, Thomas Hobbes, Scepticism, Individuality, and Chastened Politics, Londres, Sage Publications, 1993, pp. 109-110. Notons toutefois que Hobbes n’exclut cependant pas la possibilité d’une mort de l’État « du fait de la guerre étrangère », T. Hobbes, op. cit., p. 234.
-
[9]
Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1983, pp. 180-181.
-
[10]
Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Paris, Flammarion, 1954, p. 237. On lira aussi Simone Goyard-Fabre, Politique et philosophie dans l’oeuvre de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Presses universitaires de France, 2001, pp. 144-146.
-
[11]
Éric Weil, « Rousseau et sa politique », dans Gérard Genette et Tzvetan Todorov (dir.), Pensée de Rousseau, Paris, Seuil, 1984, p. 25.
-
[12]
Jean-Jacques Rousseau, « Lettre à M. de Malesherbes (12 janvier 1762) », dans Correspondance générale de J.-J. Rousseau, tome 7, collationnée sur les originaux, annotée et commentée par Théophile Dufour, Paris, Armand Colin, 1927, p. 51.
-
[13]
Jean-Jacques Rousseau, L’état de guerre, dans Jean-Jacques Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, Bernard Gagnebin et Marcel Raymond (dir.), Paris, Gallimard, 1964, p. 610. Consulter également le fragment intitulé Guerre et état de guerre, pp. 1899-1904.
-
[14]
On consultera notamment Kenneth N. Waltz, Man, The State and War. A Theoretical Analysis, New York, Columbia University Press, 1959 ainsi que Ian Clark, The Hierarchy of States. Reform and Resistance in the International Order, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
-
[15]
À cet égard, on consultera Michael C. Williams, « Rousseau, Realism and Realpolitik », Millennium. Journal of International Studies, vol. 18, no 2, 1989, pp. 185-203 ainsi que Stanley Hoffmann et David P. Fidler, Rousseau on International Relations, Oxford, Clarendon Press, 1991, pp. xi-lxxvii.
-
[16]
Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, p. 238.
-
[17]
Ainsi Pufendorf se résout-il à écrire : « ...il me semble que la véritable et la principale raison, pourquoi les anciens pères de famille renoncèrent à l’indépendance de l’état de nature, pour établir des sociétés civiles, c’est qu’ils voulaient se mettre à la découverte des maux que l’on a à craindre des uns des autres. » ; S. Pufendorf, op. cit., tome 2, pp. 219-220.
-
[18]
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op cit., p. 132.
-
[19]
Les termes abîme et mystère sont utilisés dans idem, L’état de guerre, op. cit., p. 612.
-
[20]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., pp. 125-126, 154-156.
-
[21]
Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Christophe de Beaumont, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 4, op. cit., p. 952.
-
[22]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 133.
-
[23]
Ibid., p. 160.
-
[24]
Ibid., pp. 143, 140.
-
[25]
Ibid., pp. 134-136.
-
[26]
Ibid., p. 157.
-
[27]
Jean-Jacques Rousseau, L’influence des climats sur la civilisation, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 529. Certes, au-delà de ses besoins physiques nécessaires, l’homme avait aussi d’autres « appétits », non nécessaires cependant, telle l’union des sexes, qui sont essentiellement liés à son bien-être et en tant que tels indéterminés ; J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., pp. 157 et ss.
-
[28]
Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 5, op. cit., p. 396.
-
[29]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., pp. 144 et 152.
-
[30]
Ibid., pp. 152 et 162.
-
[31]
Ibid., p. 140.
-
[32]
Ibid., p. 162.
-
[33]
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 360.
-
[34]
S. Pufendorf, tome 1, op. cit., p. 151.
-
[35]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 144.
-
[36]
Ibid., p. 160.
-
[37]
J.-J. Rousseau, Essai sur l’origine des langues, pp. 380, 401-402.
-
[38]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 142.
-
[39]
Ibid., pp. 153-154. On lira également Jean-Jacques Rousseau, Fragments politiques, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 476.
-
[40]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., pp. 601-602.
-
[41]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 153.
-
[42]
J.-J. Rousseau, Essai sur l’origine des langues, op. cit., p. 396.
-
[43]
Jean-Jacques Rousseau, Émile, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 4, op. cit., p. 252.
-
[44]
V. Goldschmidt, op. cit., pp. 219-220, 370 ; L. Strauss, op. cit., p. 239.
-
[45]
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, « Manuscrit de Genève », 1ère version, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 284. Rappelons que ce chapitre dans lequel Rousseau défend, ainsi que l’indique le titre original qu’il a ultérieurement biffé, « qu’il n’y a point naturellement de société entre les hommes », ne sera pas repris dans le Contrat social. Le chapitre attaque les arguments aristotéliciens avancés par Diderot dans Droit naturel, mais Rousseau vise surtout Le droit de la nature et des gens de Pufendorf qu’il avait vraisemblablement « sous les yeux » et qui aura largement inspiré Diderot ; Denis Diderot, « Droit naturel », dans Denis Diderot, Oeuvres complètes, tome 15, Paris, Le club français du livre, 1973, pp. 229-234 ; Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, Vrin, 1988, p. 145.
-
[46]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 169.
-
[47]
J.-J. Rousseau, Manuscrit de Genève, op. cit., p. 288.
-
[48]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., pp. 175-176 ; J.-J. Rousseau, Manuscrit de Genève, op. cit., p. 282.
-
[49]
Ibid., pp. 282-283.
-
[50]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 191.
-
[51]
Ibid., p. 162.
-
[52]
J.-J. Rousseau, Manuscrit de Genève, op. cit., pp. 282-283.
-
[53]
Ibid., p. 282. Consulter également J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 176.
-
[54]
Blaise Bachofen, La condition de la liberté. Rousseau, critique des raisons politiques, Paris, Payot, 2002, p. 92.
-
[55]
J.-J. Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 365. Rousseau juge que le même type de confusion qui entoure la discussion du concept d’état de nature, entoure aussi la discussion de la notion de droit naturel. Ainsi le pur état de nature connaîtrait un « droit naturel proprement dit » – lequel n’exigerait d’être ni un grand raisonneur, ni un profond métaphysicien, J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 125 – alors que l’état de nature défini conventionnellement à la suite de Hobbes connaîtrait plutôt un droit naturel raisonné ; J.-J. Rousseau, Manuscrit de Genève, op. cit., p. 329. Sur l’importance de cette distinction, on consultera les remarques éclairantes de B. Bachofen, op. cit., pp. 112 et ss.
-
[56]
John Locke, Second Traité du gouvernement, Paris, Presses universitaires de France, 1994, pp. 24, 27.
-
[57]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 164.
-
[58]
Et, ajoute Rousseau, il transforme « la jouissance en propriété » ; J.-J. Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 367.
-
[59]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., pp. 140, 145 et 171.
-
[60]
Ibid., pp. 171, 173-175 et 194.
-
[61]
Ibid., p. 176.
-
[62]
Ibid., p. 126.
-
[63]
Ibid., p. 179.
-
[64]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., p. 605.
-
[65]
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’économie politique, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 248 ; J.-J. Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 367.
-
[66]
Consulter l’analyse de B. Bachofen, op. cit., pp. 156-159. Rousseau évoque quelques autres hypothèses fictives telles celles de la collectivisation des fonds, la redistribution équitable ou encore la taxation des biens et des héritages.
-
[67]
J.-J. Rousseau, Émile, op. cit., p. 467.
-
[68]
La formule est celle de Ernst Cassirer, Le problème Jean-Jacques Rousseau, Paris, Hachette, 1987, p. 43.
-
[69]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., p. 604.
-
[70]
Ibid., pp. 604-605. Rappelons que pour Rousseau, la terre est couverte d’États puisque la formation d’un État aura nécessairement signifié la formation des autres États du fait que les hommes exclus de la première formation durent décider de « l’imiter ou se laisser engloutir » par lui ; J.-J. Rousseau, Guerre et état de guerre, op. cit., p. 1899 et J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., p. 603.
-
[71]
J.-J. Rousseau, Fragments politiques, op. cit., p. 478.
-
[72]
J.-J. Rousseau, Guerre et état de guerre, op. cit., p. 1899.
-
[73]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., p. 604.
-
[74]
Jean-Jacques Rousseau, Extrait du projet de paix perpétuelle de monsieur l’abbé de Saint Pierre, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 564.
-
[75]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., p. 604.
-
[76]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine, op. cit., p. 176.
-
[77]
V. Goldschmidt, op. cit., p. 619. Ainsi y aurait-il une différence de nature plutôt que de degré « entre la création d’un État et la création de l’État mondial » ; Stanley Hoffmann, « Rousseau, la guerre et la paix », Annales de philosophie politique, vol. 5, Paris, Presses universitaires de France, 1965, p. 222.
-
[78]
Jean-Jacques Rousseau, Jugement sur le projet de paix perpétuelle, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., pp. 591-592.
-
[79]
Ibid., p. 592 ; Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa réformation projetée, dans J.-J. Rousseau, Oeuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 1037.
-
[80]
J.-J. Rousseau, Discours sur l’économie politique, op. cit., p. 245.
-
[81]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., p. 610.
-
[82]
J.-J. Rousseau, Extrait du projet de paix perpétuelle, op. cit., p. 568.
-
[83]
S. Goyard-Fabre, op. cit., p. 210.
-
[84]
J.-J. Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 357 ; J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., pp. 602, 604 et 607 ; J.-J. Rousseau, Guerre et état de guerre, op. cit., pp. 1902-1903. Rousseau précisera que le despotisme viendra nourrir cet état de guerre ; J.-J. Rousseau, Jugements, op. cit., p. 593.
-
[85]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., p. 605.
-
[86]
V. Goldschmidt, op. cit., pp. 623, 631 et 631 note 70.
-
[87]
J.-J. Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 470.
-
[88]
On lira avec profit l’analyse de Frédéric Ramel et Jean-Paul Joubert, Rousseau et les relations internationales, Paris, Harmattan, 2000, pp. 117-149.
-
[89]
J.-J. Rousseau, Émile, op. cit., p. 848.
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[90]
Ce déplacement du passé à l’avenir est noté par Agnès Lejbowicz, Philosophie du droit international. L’impossible capture de l’humanité, Paris, Presses universitaires de France, 1999, pp. 242-243.
-
[91]
Ibid., p. 246.
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[92]
Nous suivons ici l’analyse du concept d’aporia proposée par Rodolphe Gasché, « L’expérience aporétique aux origines de la pensée. Platon, Heidegger, Derrida », Études françaises, vol. 38, nos 1/2, 2002, p. 113.
-
[93]
J.-J. Rousseau, L’état de guerre, op. cit., pp. 607-608.
-
[94]
J.-J. Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 355.