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Les études féministes en relations internationales sont apparues au milieu des années 1980. Au départ, les recherches féministes portaient surtout sur le développement et la paix. Depuis son apparition, la littérature sur le genre n’a cessé de proliférer et s’est étendue à plusieurs autres thèmes des relations internationales tels la sécurité, les conflits et le maintien de la paix.
Men, Militarism & UN Peacekeeping, A Gendered Analysis est une analyse critique sur le maintien de la paix. Sandra Whitworth justifie le sujet de son analyse par la quasi-uniformité du support accordé au maintien de la paix dans la littérature. Elle cherche à confronter l’idée généralement admise que le maintien de la paix est une alternative efficace à la violence militaire. D’ailleurs, l’auteure souligne que la très grande dépendance des missions de maintien de la paix sur les soldats est un aspect négligé de la littérature. L’une des hypothèses de l’ouvrage est que les raisons qui justifient le maintien de la paix ont contribué à l’absence relative d’analyses critiques sur le sujet. De plus, l’auteure cherche à démontrer que le déploiement de soldats dans les opérations de maintien de la paix va contre le sentiment de sécurité désirée chez les populations visées.
L’auteure utilise comme cadre théorique le modèle culturel, les théories féministe et postcolonialiste. D’abord, on retrouve le concept des communautés imaginées de Benedict Anderson appliqué aux armées et aux institutions multilatérales, c’est-à-dire que celles-ci sont en partie constituées d’idées généralement admises. Puis, les modèles féministe et postcolonialiste s’appuient sur le modèle culturel pour affirmer que ces idées admises sont inévitablement influencées par les questions de genre et de race. Outre les représentations et les communautés imaginées, le discours et les pratiques discursives sont analysés. Dans le cadre de sa démonstration, l’auteure utilise deux études de cas : la mission de l’onu au Cambodge en 1991 et le déploiement du régiment aéroporté canadien en Somalie.
L’ouvrage comporte cinq chapitres, outre l’introduction et la conclusion. Le chapitre premier présente le sujet du livre, l’hypothèse et les modèles théoriques utilisés dans l’élaboration de l’analyse.
Le second chapitre aborde le maintien de la paix à travers son histoire et comment celui-ci a évolué, particulièrement depuis la fin de la guerre froide. Puis, l’auteure s’attarde à ce que le maintien de la paix a apporté aux Nations Unies et aux militaires. En effet, pour les militaires, le maintien de la paix apporte une source de financement ainsi qu’une certaine légitimité. Finalement, Whitworth avance la critique que le maintien de la paix est un exemple de la volonté du monde occidental d’imposer ses normes occidentales aux pays du tiers-monde en proie à des conflits, sans égard à la culture et aux traditions politiques et culturelles locales.
Le chapitre trois porte sur la première étude de cas soit la mission des Nations Unies au Cambodge en 1991. L’auteure souligne qu’il s’agissait de l’une des premières missions de paix dans la période post-guerre froide et que pour les Nations Unies, cette mission représentait une sorte de test, puisque ses résultats auraient un impact important sur les futures missions de grande envergure. Cette mission demeurait très militarisée et caractérisée par une forte présence d’hommes. La mission a été l’objet de critiques officielles répertoriées par l’auteure. Le chapitre s’attarde par la suite à la vision des Cambodgiens sur cette mission, suivie d’une relecture critique de cette mission du point de vue féministe.
Le chapitre quatre traite du Canada comme pays fournisseur de troupes de maintien de la paix lors de la mission en Somalie en 1993 où un jeune Somalien a trouvé la mort à la suite des blessures que lui ont infligées des soldats du régiment aéroporté. Le but de ce chapitre est de démontrer comment l’image que les Canadiens ont de la nation et de leur armée dépend de l’image du soldat de la paix, altruiste et gentil. Cela représente donc une contradiction puisque l’image du soldat violent est diamétralement opposée à ce qui est attendu de la part des militaires et de l’entraînement qu’ils reçoivent. En ce sens, l’auteure en déduit que la commission d’enquête mise sur pied pour faire la lumière sur la mort d’un jeune Somalien, ne portait pas tant sur ce qui était arrivé à ce jeune Somalien mais sur ce que ces événements révélaient aux Canadiens de leur armée.
Le cinquième chapitre analyse le rôle de l’onu dans les questions de genre, de paix et de sécurité. Dans ce chapitre, l’auteure présente les efforts entrepris par l’organisation et certains pays membres pour traiter des questions de genre. Le Conseil de sécurité a d’ailleurs adopté en 2000, la résolution 1325 reconnaissant l’impact des conflits armés sur les femmes et les enfants et le rôle de la femme dans le processus de paix et la résolution des conflits. Whitworth en arrive à la conclusion que le langage adopté par l’onu sur la question du genre met en valeur les priorités de l’organisation en termes de paix et de sécurité de manière à faire du genre, au mieux, un outil de résolution de problème. En même temps, le rapport Brahimi, publié la même année sur le maintien de la paix, est presque silencieux sur les questions du genre. L’auteure analyse quelques missions quant à la présence et à la reconnaissance du rôle des femmes dans le processus de résolution des conflits et du maintien de la paix. Whitworth prend pour exemple l’Afghanistan où les femmes étaient quasi absentes des accords de Bonn et quelques autres missions où l’on retrouvait des conseillers en matière de genre. L’auteure en arrive à la conclusion qu’il y a un manque important de ressources et des doutes quant à leur efficacité. D’ailleurs, elle souligne qu’il y a peu d’études qui ont été menées pour savoir si les engagements politiques pris par l’onu quant au genre avaient été respectés et s’il y avait eu un impact quelconque à ce sujet. De plus, Whitworth affirme que le genre comme outil critique a été transformé par les Nations Unies en un outil de résolution de problème rendant difficile la remise en question des pratiques existantes.
Le chapitre six aborde les questions liées à la masculinité en tentant d’éviter de verser dans l’essentialisme. Ce chapitre retourne à l’un des questionnements de ce livre, à savoir si les attitudes et les compétences associées à la fonction de soldat sont appropriées aux missions de maintien de la paix.
Le dernier chapitre englobe la conclusion résumant l’essentiel des critiques adressées aux Nations Unies et aux opérations de maintien de la paix. Les avantages de ces opérations portent sur les justifications qu’elles donnent aux militaires qui eux donnent du sens aux États en tant que nations. L’auteure souligne que certains États utilisent le maintien de la paix pour promouvoir leurs réputations internationales. En ce qui a trait aux questions de genre, le travail accompli par les Nations Unies sur le sujet se résume à rendre les pratiques existantes plus ouvertes.
Les étudiants ou chercheurs ayant un intérêt marqué pour les études critiques et plus spécialement les études féministes, les études du genre sur le maintien de la paix et, de manière plus générale, de la sécurité représente le public cible. Par sa clarté, cet ouvrage est facilement accessible à un public autre que le milieu universitaire.
Men, Militarism & UN Peacekeeping, A Gendered Analysis est un ouvrage très bien structuré. La démarche méthodologique de l’auteure est clairement expliquée et cohérente. Les questions soulevées par Whitworth sont pertinentes à la recherche sur le maintien de la paix et plus particulièrement sur le déploiement des missions. Par contre, l’utilisation de la mission du régiment aéroporté canadien en Somalie comme étude de cas n’était peut-être pas le choix idéal pour vérifier ses hypothèses. Une étude de cas complémentaire aurait permis de valider plus solidement les hypothèses de l’auteur.