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Les événements tragiques du 11 septembre 2001 font l’objet de nombreuses analyses chez les spécialistes des questions de sécurité. L’ouvrage sous la direction de Stanislav J. Kirschbaum s’inscrit dans cette filiation. Les contributions à ce collectif proviennent du viiie colloque de l’Association franco-canadienne d’études stratégiques qui eut lieu les 15 et 16 novembre 2002 à Toronto et qui avait pour thème Le nouvel environnement de sécurité internationale. Acteurs et défis. Avec onze contributions réparties en trois sections, l’ouvrage cherche à mettre l’accent sur le terrorisme comme facteur déstabilisateur du système international.
Dans la première partie intitulée « Ontologie », les contributions de Stanislav J. Kirschbaum et Yves Jeanclos s’attardent au phénomène terroriste et à la nouveauté qui semble se dégager des événements du 11 septembre 2001. Pour Kirschbaum, le terrorisme actuel s’inscrit dans une transformation particulière de ce type particulier de violence qu’il propose de dénommer terrorisme guerrier en raison des affinités importantes qu’il y a entre le terrorisme et la guerre moderne. En effet, il est qualifié de guerrier car il utilise les ressources des sociétés modernes et des guerres modernes et il s’attaque aux civils. Autrement dit, le terrorisme guerrier est l’exemple type de la guerre asymétrique : il peut sévir à grande échelle pouvant causer des dommages importants. Conséquemment, les États se trouvent en état de guerre (latente) face au terrorisme. Pour sa part, Yves Jeanclos présente une réflexion générale sur le terrorisme, ses multiples facettes, ses caractéristiques actuelles ainsi que sur les moyens de lutter contre ce phénomène qui se déploie selon la règle des cinq D : la déterritorialisation, la dénationalisation, la dénaturation, la dévalorisation et la déstructuration.
Pour sa part, la seconde partie comprend cinq textes regroupés sous le thème de « la lutte contre le terrorisme au niveau international ». Ceux-ci proposent des analyses sur plusieurs tableaux qui sont quelquefois très éloignés de ce thème. Tout d’abord, Josiane Tercinet analyse le rôle du Conseil de sécurité (cs) dans la lutte contre le terrorisme. Même si le cs n’a pas été conçu pour lutter contre ce type de menace, elle constate que le terrorisme a été une préoccupation du cs depuis la décennie 1970. Toutefois, le 11 septembre renouvelle sensiblement sa perception face au terrorisme et montre même une capacité certaine à répondre aux nouvelles menaces non prévues par les fondateurs. Cependant, certaines préoccupations apparaissent, principalement celle qui voit le cs devenir une sorte de législateur international, notamment avec la résolution 1373 du 28 septembre 2001 qui, à partir du chapitre vii de la Charte va au-delà des événements du 11 septembre et propose un texte général pour la prévention et la répression du terrorisme. Plus précisément, le problème devient le suivant : comment contester et contrôler les décisions prises par le cs ? Pour sa part, le texte de Michèle Bacot-Décriaud ouvre un débat beaucoup plus large et s’attarde à la capacité de l’Union européenne (ue) de gérer des crises importantes à travers la Politique européenne de sécurité et de défense (pesd). Elle présente un survol global de cette question bien que certains éléments ne soient plus d’actualité en raison du fait que le texte a été complété en novembre 2002. Malgré son titre, la contribution de Houchang Hassan-Yari et de Abdelkérim Ousman porte sur la politique de sécurité et de défense du Canada depuis septembre 2001 et subsidiairement sur les relations entre les États-Unis et le Canada. Les auteurs proposent un résumé assez complet de la question bien que certaines analyses, dont celle sur le bouclier antimissile, soient dépassées depuis lors. De son côté, Jean-Paul Hébert s’attarde à une question très pointue : celle des systèmes de production d’armements. Bien que le texte s’éloigne passablement de la thématique de cette section, son analyse est fort stimulante et bien documentée. Elle montre les forces du complexe américain et les difficultés européennes en la matière dans de nombreux systèmes comme l’A400 M (avion de transport tactique). Fait intéressant : l’auteur constate, en ce qui a trait à la production d’armement, que le nouveau cycle de dépenses militaires ne vient pas du 11 septembre mais débute plutôt en 1999. L’inflexion est davantage de l’ordre du discours. Le dernier texte de cette section vient de la plume de Ian Roberge. Ce jeune chercheur s’attaque à une question importante : comme freiner le financement du terrorisme. Son texte se divise en deux parties. Tout d’abord, il présente son cadre d’analyse qui repose sur une approche théorique en développement : celle de la gouvernance à plusieurs niveaux. Selon Roberge, la force de cette théorie est sa capacité à expliquer comment interagissent les réseaux verticaux et horizontaux dans la lutte contre le financement du terrorisme. La seconde partie est l’analyse empirique et principalement du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (gafi). Si l’action internationale contre le terrorisme a été rapide dans ce secteur, il n’en demeure pas moins que l’auteur fait l’impasse sur le mode de financement qui ne passe pas par les réseaux internationaux et qui est de plus en plus important pour le terrorisme islamique.
La dernière partie s’intitule « réactions nationales » et est composée de quatre articles assez diversifiés. Les textes deux premiers chapitres sont assez complémentaires. Ils s’intéressent à la réaction canadienne face aux attentats et en filigrane à la nécessité canadienne de satisfaire le besoin sécuritaire de son puissant voisin du sud : les États-Unis. Comme chez Roberge, la première partie du texte de Dumais-Lévesque et Durocher présente le cadre théorique utilisé pour démontrer que le Canada a voulu satisfaire les desiderata états-uniens en matière de sécurité par l’élaboration d’un périmètre de sécurité. Toutefois, l’adoption de ces mesures découle du maintien nécessaire des liens économiques entre les deux pays qui sont une condition essentielle à la vitalité de l’économie canadienne. Inspiré par le libéralisme, le constructivisme et l’ouvrage de Nils Brunsson, The Organizaton of Hypocrisy, les deux auteures constatent que malgré les discours canadiens, ceux-ci ont canadianisés les demandes de sécurité de leur puissant voisin pour mettre en place un périmètre de sécurité que les autorités canadiennes refusent de nommer ainsi. Pour leur part, Donneur et al. s’attaquent à analyser les principales mesures législatives adoptées par le Canada depuis septembre 2001 pour répondre à la menace terroriste. Il est à noter que la création d’un ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile n’est pas analysée ici. Les auteurs concluent que les mesures mises en place par le Canada sont des initiatives canadiennes. Malgré les pressions états-uniennes, le Canada a agi en fonction de ses préceptes propres et a adopté des mesures législatives différentes de son puissant voisin. De son côté, Alex Macleod se penche sur les réactions française et britannique aux attentats. Ce dernier adopte une démarche constructiviste pour démontrer que les bouleversements affirmés depuis le 11 septembre dans le système international doivent être relativisés. Si le contexte a changé, la France et la Grande-Bretagne ont maintenu leur tendance profonde à l’égard de l’otan, de l’Europe et des États-Unis. Le dernier texte est celui de Jean Angrand sur l’enfermement identitaire. Il propose une analyse quelquefois excessive sur la question, allant de l’ancienne Yougoslavie à la question kurde en passant par Chypre. Ses conclusions sont que pour réduire les tensions entre groupes opposés, il faut éviter autant que faire se peut les interventions internationales et favoriser la reconnaissance des droits individuels et collectifs.
Comme il est possible de le constater, ce livre couvre une panoplie de sujets qui, quelquefois, ont des liens ténus avec la thématique identifiée. L’absence d’une introduction et d’une conclusion se fait terriblement sentir. On peut aussi constater que les textes ne sont pas tous de même niveau : certains offrent des introductions intéressantes à des problématiques particulières, d’autres sont très spécialisés, certains proposent des analyses assez poussées et d’autres sont plutôt descriptifs. Dans ce genre de publication, l’hétérogénéité des propos l’emporte souvent sur la cohérence interne ; c’est malheureusement le cas ici. De plus, il y a de nombreuses coquilles qui deviennent lassantes à la longue pour le lecteur. Malgré tout, l’ouvrage peut intéresser des étudiants et un public informé qui s’intéressent aux terrorismes et aux questions de sécurité et de défense dans le cadre des bouleversements provoqués par les événements de septembre 2001.