Article body
Voilà un guide qui s’avère bien utile à tous ceux qui s’intéressent aux opérations de paix dans le monde. La période 2003-2004 a été fertile en événements dans le domaine des opérations de paix. En effet, les opérations, sous quelque forme que ce soit – coalitions des volontaires, missions classiques, forces multinationales intérimaires – se sont multipliées et le nombre de pays participants et de personnes engagées a augmenté. La pratique du maintien de la paix a été marquée une fois de plus par la régionalisation de ses opérations. Jocelyn Coulon qui dirige la publication montre bien dans son introduction que ce phénomène n’est pas nouveau. Il est apparu au milieu des années 1990 pour pallier les insuffisances logistiques et les tergiversations politiques de l’onu. Il s’accentue depuis trois ou quatre ans, et de plus en plus d’organisations régionales ou sous-régionales, certaines organisations de sécurité, comme l’otan, et des groupes d’États participent activement et parfois massivement à des opérations de paix. L’auteur signale à juste titre que le rôle croissant joué par les organisations régionales dans ces opérations est loin de faire l’unanimité et pose nombre d’interrogations, dont celles sur le désengagement des Occidentaux face aux missions de l’onu et sur la marginalisation du Conseil de sécurité.
La régionalisation est le thème du Guide du maintien de la paix 2005, et la majorité des textes y est consacrée. Cet ouvrage n’épuise évidemment pas le sujet. Jocelyn Coulon signale d’ailleurs que les textes portent essentiellement sur le rôle militaire de la régionalisation alors que de nombreuses institutions, telles l’Organisation des États américains (oea) ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (osce), consacrent temps et énergie à des aspects importants du maintien de la paix, comme la supervision des élections, la promotion de la démocratie, la défense des droits humains ou l’instauration de mesures de confiance.
La première partie de l’ouvrage est composée de neuf textes dont la majorité est consacrée au thème de la régionalisation. Une ligne de force se dégage à la lecture de plusieurs d’entre eux. En effet, les auteurs soulèvent tous la même interrogation : les opérations de paix régionales sont-elles menées au nom de grands principes ou répondent-elles à des impératifs d’intérêts nationaux ?
En guise d’introduction, Michel Liégeois, de l’Université catholique de Louvain en Belgique, met la table. Après avoir rappelé les fondements juridiques sous-jacents à la régionalisation, l’auteur souligne le contexte historique dans lequel elle s’est développée et décline les avantages et inconvénients du maintien de la paix régional. Le tableau qu’il brosse est tout en nuances, d’où la difficulté d’embrasser ou de rejeter d’un bloc la pratique de la régionalisation. Pour autant, signale l’auteur, le débat sur la régionalisation, est d’abord et avant tout une série de questions plus politiques que techniques – volonté des pays riches d’aider l’onu, rôle du Conseil de sécurité, etc. – et ne pourra s’achever qu’une fois des réponses trouvées.
Les trois textes qui suivent décrivent les actions entreprises par des organisations régionales ou par un groupe de pays pour mettre sur pied, déployer et gérer des opérations de paix. Thierry Tardy, du Centre de politique de sécurité de Genève, utilise le cas de la mission Artemis, au Congo en 2003, pour décrire les ambitions de l’Union européenne, acteur régional du maintien de la paix, mais également le jeu particulier de la France dont l’engagement a porté à bout de bras cette opération de paix. Il relève que la mission a été couronnée de succès mais que son caractère restreint ne peut, à l’instar des trois autres petites missions dans les Balkans menées par l’Union européenne, avoir valeur de précédent pour évaluer correctement l’efficacité politique et militaire des actions de l’Union dans la problématique du maintien de la paix. Charles van der Donckt, conseiller en relations internationales au Bureau du Conseil privé, à Ottawa, analyse le rôle déterminant de l’Australie dans les opérations de paix en Asie-Pacifique. Il constate que l’Australie, très discrète jusqu’au début des années 1990, est devenue très rapidement un acteur de premier plan en menant des opérations de paix au Timor oriental, à Bougainville et aux îles Salomon, en plus de participer activement aux guerres en Afghanistan et en Irak. Pour l’auteur, l’Australie n’a pas le choix de l’isolement. Dans une région en plein changement, elle doit se montrer proactive. Pierre Jolicoeur, chercheur associé au Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité de l’uqam, présente lui aussi un autre acteur fort discret du maintien de la paix, la Russie. En effet, suite à l’implosion de l’Union soviétique, des conflits ont éclaté dans de nombreuses républiques ex-soviétiques, et la Russie n’a pas tardé à y intervenir. D’abord avec agressivité, s’affichant même en faveur de certains protagonistes, puis avec plus de modération, tentant de jouer les médiateurs. Pour l’auteur, la Russie doit joindre le débat sur la nature changeante des opérations de paix dans le monde et tisser des liens avec l’ue à un moment où celle-ci s’apprête à prendre le relais des missions de l’otan dans les Balkans.
Les textes suivants concernent l’Afrique. Et c’est bien normal quand on sait que presque la moitié des États africains est touchée de près ou de loin par un ou des conflits. Pour bien comprendre la situation du continent africain, Mamoudou Gazibo et Patrick Emery Bakong, du département de science politique de l’Université de Montréal, proposent une nouvelle lecture des conflits en Afrique subsaharienne, identifient les principales zones de ces conflits et s’interrogent sur les défis à relever et sur les perspectives de sortie de crise. Pour sa part, Niagalé Bagayoko-Penone, chercheur à l’Institut de recherche sur le développement à Bruxelles, s’interroge sur les expériences de résolution des conflits sur le plan régional. Pascal Facon et Modibo Goïta, respectivement directeur des études et professeur de droit à l’École de maintien de la paix (emp) créée en 1999, présentent cette institution francophone installée au Mali.
Les deux derniers textes de cette section nous invitent à questionner l’histoire et aussi, à prendre connaissance des pratiques traditionnelles de résolution des conflits. Yves Tremblay, historien au ministère de la Défense nationale du Canada, rappelle comment la première mission de l’onu au Congo en 1960-1964, a mis fin avec l’usage de la force à la sécession du Katanga et, du coup, a bouleversé les règles du maintien de la paix telles qu’élaborées en 1956 par Lester B. Pearson et Dag Hammarskjöld. Pour sa part, Poussi Sawadogo, docteur en histoire de l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, décrit l’expérience de la palabre et de réunions de cour au royaume de Busma, dans son pays, pour souligner que le défi de la paix en Afrique est avant tout un défi de la communication traditionnelle qui est dialogue, compromis, consensus et démocratie.
La deuxième partie du Guide est consacrée à une chronologie détaillée et bien utile des événements significatifs qui se sont déroulés dans toutes les opérations de paix en cours ou terminées entre juillet 2003 et juillet 2004.
La troisième partie rassemble des données statistiques absolument essentielles pour la recherche. On y trouvera des tableaux sur les activités de maintien de la paix de l’onu et pour la première fois, de l’otan, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la cedeao, de la cemac, de la cei (Communauté des États indépendants) et de la force multinationale aux îles Salomon.
La quatrième partie est entièrement consacrée aux sites Internet. Mise à jour, elle propose les adresses électroniques des sites de plusieurs missions de paix, d’organisations régionales et internationales, de gouvernements, de glossaires et de bibliothèques, de centres spécialisés, etc.
Cette édition 2005 du Guide du maintien de la paix offre donc un menu copieux où le lecteur découvrira très certainement de l’information et des statistiques essentielles sur les opérations de paix menées dans le monde. Un ouvrage très certainement utile pour les étudiants et les chercheurs.